Franchir La Porte des rêves
L’ouvrage que je vous présente pour ma part aujourd’hui est donc issu du travail de deux hommes qui, chacun à leur manière, chacun avec leurs outils et sensibilité, cherchèrent à repousser l’ordinaire et à toucher à l’extraordinaire. C’est dans cet état d’esprit que je voudrais vous faire passer la porte des rêves... L’auteur, Marcel Schwob est un homme de lettres de la fin du XIXe siècle. Né dans une famille d’intellectuels, il baigne dès sa jeunesse dans un milieu où le verbe est roi. Un de ses compagnons d’école n’est autre que le fils d’Alphonse Daudet, auteur des célèbres Lettres de mon moulin, qui le soutiendra dans ses débuts. Il écrit pour des journaux avant d’être reconnu pour ses poésies et contes aux teintes fantastiques.
D’une santé précaire, Schwob décède en 1905 après avoir passé ses dernières années à essayer de fuir la maladie. On retrouve d’ailleurs en ouverture de La Porte des rêves une dédicace à Samuel Pozzi, médecin l’ayant soigné, comme de nombreux artistes au tournant du XXe siècle, et qui participera d’ailleurs à fonder la gynécologie moderne.
Difficile de ne pas remarquer dès ces premiers mots toute l’exaltation et la verve symboliste de Schwob, ainsi qu’une sensibilité particulière à la mort… Cette dédicace est une excellente introduction à l’ambiance et l’univers de Schwob qui, dans les écrits choisis ici, tisse une toile faite de mystères, leçons de vie apprises dans la douleur et autres drames dont les protagonistes peuvent être hauts en couleurs ou froid comme la glace, mais jamais d’une légèreté qui prêterait à rire. D’ailleurs, plusieurs de ses personnages féminins ne possèdent qu’un nom lié à un objet auquel elles sont associées : Cruchette, Buchette, Bargette. Ceci est un indice plutôt probant que ce n’est pas la personnalité qui prime mais l’idée ou le symbole derrière le personnage.Mon cher Docteur. Les Anciens croyaient que deux portes s’ouvrent sur le royaume noir de l’Erèbe ; l’une, légère, laisse s’envoler parmi nous les songes ailés ; l’autre, massive, se referme sur ceux qui l’ont franchie, pour toujours. J’étais descendu jusqu’au seuil de la porte inexorable. Vous m’avez saisi de votre main "qui guérit tout ce qu’elle touche" et vous m’avez ramené vers le soleil. Grâce à vous, j’ai pu encore rêver ces rêves. Qu’ils vous soient donnés comme un faible témoignage de ma reconnaissance éternelle. Votre ami. Marcel Schwob
Schwob passa son enfance à Nantes, comme Jules Verne, fasciné par ce port ouvert sur l’océan (La flûte) et le monde, cet étrange "ailleurs" où tant de ses contes vont prendre place. L’idée même du voyage était un sujet en soi, incarné dans le conte éponyme par le personnage de Bargette, petite fille ne pensant qu’à s’en aller voir les merveilles des terres lointaines. Cette thématique aux accents symbolistes, puisqu’elle permet d’évoquer les attentes, rêves et espoirs, se retrouve d’ailleurs à de multiples reprises dans La porte des rêves.
Ses œuvres empreintes de symbolisme, d’une charge érotique souvent latente (Béatrice), Éros rarement bien loin de Thanatos, et son amour du langage argotique (Le Loup), attirèrent et inspirèrent nombre de grands auteurs qu’il ne manquait pas d’encourager également tels que Paul Valéry, Alfred Jarry ou André Gide.
Chaque conte est d’abord introduit par un titre mis en image. Prenons l’exemple de Cruchette.
Si vous souhaitez découvrir d’autres écrits de la plume de Marcel Schwob, je vous conseille un autre un recueil illustré (on ne se refait pas) : Coeur double.
Mealin (Thomas Godfrin)