Le Tour de France de Gallica, étape 6 : Vesoul
Il faut bien le reconnaître : en France, Vesoul doit surtout sa renommée à Jacques Brel et à sa chanson éponyme (alors que c’est Vierzon qui est citée au début de la chanson, pas Vesoul….). Hélas, si elle en sort célèbre, Vesoul n’en sort pas forcément grandie. Pourtant, même si le Tour de France y passe peu, elle mérite le détour.
Etienne Martellange. Veüe du Vesoul, du Clôs des Capucins, en 1615
Certes, dans Le Tour de France par deux enfants de Bruno (1878), Vesoul n’apparaît pas forcément attrayante. Mais l’époque est à la mise en valeur de la puissance de la France : « Vesoul est une petite ville de dix mille âmes située au pied d’une haute colline dans une vallée fertile et verdoyante. Le département de la Haute-Saône, dont elle est le chef-lieu, est peut-être le plus riche de France en mines de fer, et de nombreux ouvriers travaillent à arracher le minerai de fer dans les profondes galeries creusées sous le sol ». Et ce n’est pas l’image qui accompagne le texte qui va encourager les potentiels visiteurs…
Mais, si l’on considère aujourd’hui que Vesoul fait partie de la France des marges, au XVIIe siècle, comme le montre cette étonnante carte, elle était plutôt au centre d’un réseau.
Et c’est donc comme partout en France la gastronomie, et plus précisément les fromages, qui différencie Vesoul et sa région du reste du territoire. Car il est un sujet avec lequel on ne rigole pas en Haute-Saône : c’est la cancoillotte ! La Revue des eaux et forêts nous renseigne sur son étymologie : « conconctum lacte ». Sur la préparation, le Journal d’agriculture pratique, de jardinage et d’économie domestique nous apprend tout en 1909, notamment la fermentation du « metton ». Une trentaine d’années plus tard, La Croix, avant une présentation plus précise de la préparation, prévient ses lecteurs : « La pâte a l’aspect et la consistance du miel. Sa viscosité en fait un produit peu flatteur pour l’œil mais qui n’en est pas moins apprécié dans les régions où on sait bien le préparer ».
Il faut ajouter à cela qu’au début du siècle dernier la cancoillotte était apparemment plus forte que celle que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce. Il suffit de lire le Journal des débats politiques et littéraires en 1914 : « la cancoillotte, le roi des fromages comtois qui est une crème verte et onctueuse qui fleure le roquefort, le Pont-l’Evêque et toutes les essences fromagères combinées. C’est une étonnante chose » ou plus récemment Ethnozootechnie qui parle d’une préparation « particulièrement appréciée, vers 1900, dans les quartiers des cités ouvrières, achetée par les femmes, recherchant ce fromage de "haut goût" pour le casse-croûte de leurs hommes ». Elle voisine en effet avec le « puant de Béthune » et autres « véritables bourreaux des bouches gourmandes et délicates ». En tout cas, cela n’empêchera pas « les senteurs pénétrantes » de cette préparation de faire les délices de La Bienheureuse Jeanne Antide Thouret, fondatrice de la Congrégation des sœurs de la charité de Besançon et de Naples.
Lors de la Première Guerre mondiale, la cancoillotte aidera aussi les poilus à tenir dans les tranchées en leur rappelant le pays natal ; elle sera rationnée lors de la guerre suivante et mise à l’honneur dans la rubrique « L’art d’accommoder les restrictions », même si l’on n’obtient qu’un succédané ou, comme on commençait à le dire à l’époque, qu’un « ersatz ». Dans l’entre-deux-guerres, sa renommée dépasse largement les frontières de sa région d’origine : on en parle à Madagascar où elle participe activement à la réussite d’un banquet (« La cancoillotte fit son entrée triomphale en son temps ») ; en Indochine où l’on est formel « L’unanimité n’existe que sur la cancoillotte » ; en Afrique du Nord où elle est présentée comme « un fromage blanc très égoutté ».
Du fromage blanc à celui qui fleure le roquefort et le Pont-l’Evêque, l’éventail est large… Il faut dire que les débats font rage ! La Revue des fraudes et des produits purs et d'origine ne va-t-elle pas jusqu’à affirmer en 1938, citant la circulaire du Directeur de la Répression des Fraudes du 22 novembre 1937 : « La Cancoillotte n’est pas un fromage » ? Si la revue regrette que la circulaire ne s’étende « pas sur les raisons de cette classification », elle reconnaît que « la cancoillotte est restée produit de la ferme, peu commercialisé, régional, sinon local, et qu’un vrai Comtois affectionne même dans ses fantaisies et ses imperfections ». Nous voilà au moins éclairés sur les raisons de telles variations dans la cancoillotte.
Il est toutefois une qualité de la cancoillotte peu évoquée jusqu’à maintenant : son rôle dans la « gaudriole ». En témoigne « La Mésaventure d’Achille » parue dans Le « Petit Echo » en campagne en juin 1918 et destinée elle aussi à remonter le moral des poilus. Hubert-Félix Thiéfaine (un régional de l’étape comme on dit dans les pelotons) s’en est peut-être souvenu quand il a écrit sa chanson La Cancoillotte à la fin des années 1970. Elle est en tout cas plus suggestive que la chanson folklorique reprise au début des années 1960.
Quoi qu’il en soit la cancoillotte apparaît comme un stimulant aussi naturel qu’efficace : puissent les coureurs du Tour de France s’en souvenir et s’en régaler au matin du 6 juillet !
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