Pleurez, doux alcyons ! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez !
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine !
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine :
Les Bucoliques (1788)
Sur cette gravure, tout pensif, est-il dans la même situation que sa Jeune Captive, son dernier amour, Aimée de Coigny, qui, elle, échappa de justesse à la guillotine ? Dans l’attente de son sort funeste à la prison Saint-Lazare ou plus simplement en proie à quelque inspiration poétique et à ses chères et récurrentes rêveries hellènes ? Mort à 32 ans sous une lame de la Terreur, on perçoit avec André Chénier une vie bientôt détruite et une grande œuvre en devenir.
Car, à sa mort, seulement deux de ses poèmes ont été publiés, cette fameuse Captive et aussi La Jeune Tarentine, passée à la postérité grâce à ces premiers vers que nous citons en exergue, vers mystérieux et d’une infinie musicalité qui constituent comme l’étendard même de Chénier (aucun de nous ne sait par cœur quelque passage de Chénier, si ce n’est ce fameux quatrain) et il faudra des décennies pour que, peu à peu, se constitue son œuvre par les éditions de plus en plus complètes qui la fonderont. L’Ode sur le Jeu de Paume dédiée au peintre David et son Hymne aux Suisses de Chateauvieux , texte militant contre les Jacobins qui lui coûtera cher - «"Quarante meurtriers, chéris de Robespierre..." ne saurait trop plaire ! - sont seuls vraiment connus de son vivant.
Illustration pour Théâtre de la scala: André Chénier, drame historique en quatre actes
extrait du Monde artiste. Succès dramatiques à l'étranger
Le texte versifié présenté dans l’exposition a été composé au seuil du trépas, la veille de sa mort sur l’échafaud, le 6 thermidor (24 juillet) alors que la Terreur est à son comble. Glissés dans du linge, de fragiles bandelettes de papier seront pour finir transmises à son père. Mais ce n’est pas le poète que l’on guillotine, même si la postérité veut se complaire dans cette vision quelque peu romantique, c’est bien le pamphlétaire du parti beaucoup plus modéré des Feuillants qui gêne, c’est le monarchiste constitutionnel qui diffère grandement de son frère, lui aussi écrivain, Marie-Joseph (1764-1811), fervent républicain, auteur du Chant du départ, qui survivra à cette époque terrible et qui sera même accusé de fratricide moral !
Portrait d'André Chénier par J.B. Suvée
Deux poèmes édités, c’est si peu pour celui qui, finalement, s’avère être le grand poète de son siècle… Fort heureusement, ses textes pieusement rassemblés par son père, sa famille, vont assez rapidement susciter l’envie de les faire connaître au public.
Cela démarre dès 1819 et un siècle plus tard, en 1919, on en sera à la 9ème édition plus ou moins augmentée, remaniée, critique, complète. L’engouement et l’admiration, notamment des Romantiques, puis des Parnassiens, entre autres, ne cesseront pas : Hugo, Stendhal, Lamartine, Vigny, Chateaubriand… voient rapidement chez ce jeune homme fougueux, qui n’a jamais transigé, qui a intensément aimé, un frère de la grande tourmente qui les a juste précédés.
Henri de Latouche, tout d'abord, s’essaie à un premier rassemblement d’œuvres en 1819.
Puis, ce sera le travail de Louis Becq de Fouquières avec Poésies de André Chénier, une édition critique, et, sur la vie et les œuvres du poète, une bibliographie des œuvres posthumes, des variantes, des notes, un index… L’œuvre enfle donc et commence à prendre forme. Gabriel de Chénier prend ensuite le relai par les Œuvres poétiques de André de Chénier, chez A. Lemerre en 1874, en 5 volumes. La grande édition, avant la Pléiade, sera encore celle de Paul Dimoff des Œuvres complètes de André Chénier chez Delagrave, en 1919.
André Chénier connaît une réelle postérité à travers les arts, tant sa destinée a marqué les esprits artistes, ne serait-ce que par certaines de ses attitudes, peut-être légendaires, comme celle de monter à l’échafaud en lisant Sophocle et en prenant la peine de corner la page de son livre et de le glisser dans sa poche juste avant de trépasser !
Maquette de costume par Marcel Multzer
Des sculptures diverses évoquant des poèmes, un poème dramatique à son nom de Jean-Marie Mestrallet en 1910, mais surtout Andrea Chénier, l’opéra vériste d’Umberto Giordano sur un livret de Luigi Illica, dont la première eut lieu à La Scala de Milan, en 1896. Le grand air pour ténor, Improvviso di Chènier : Un di all'azzurro spazio a été passé par toutes les plus grandes voix. Cette improvisation loin d’être poésie légère et à la mode devient une ardente défense des plus pauvres au point de heurter la belle assemblée très choisie par la mère d’Aimée de Coigny, toutes gens qui se détournent du poète enflammé. José Carreras y a sans doute trouvé l’un de ses plus beaux rôles…
S’il vous prenait l’envie de songer à nouveau à la destinée de Chénier en faisant une promenade dans Paris, rendez-vous à la maison où il demeurait en 1793, 97 rue de Cléry, photographiée par le grand Eugène Atget.
Pour en savoir plus :
André Chénier à la BnF (data.bnf),
André Chénier à l'agrégation de lettres modernes 2018,
Exposition André Chénier à la Bibliothèque nationale, 1962.
Commentaires
Petite coquille...
... dans la légende de la photo de la rue de Cléry par Atget : "Eugène Atjet, Rue de Cléry, 1909". C'est bien Atget, comme le rappelle le texte du post, et non pas Atjet.
Et merci pour cette note sur Chénier.
coquille
Bonjour,
Merci pour votre lecture attentive, la coquille est corrigée.
Bien cordialement,
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