Titre : Le Journal
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1906-09-14
Contributeur : Xau, Fernand (1852-1899). Directeur de publication
Contributeur : Letellier, Henri (1867-1960). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34473289x
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 septembre 1906 14 septembre 1906
Description : 1906/09/14 (A15,N5097). 1906/09/14 (A15,N5097).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG87 Collection numérique : BIPFPIG87
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Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k76271977
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-220
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/11/2014
1.
QUINZIEME ANNEE» — N° 5007 : mass^L. 4• m kJlUliPAVjifc^ (Pariset Départements) — CINQ CHOTTIMBS t "r VENDREDI M SEPTEMBRE. 1906 -'
~JC~I~S~. ~TJTO~ : 100, RUE IUCHELIEU, PARIS
•
4 MJi » Prix des Abonnements t
Un ta Sis acte Troto ni»
cr. 'c ■ :- j.i' -
Stm* A Sawe.ET.OisE. 20. » 10 50 5.50
Ptr^rrnnorrs ET ALGÉRIE. 24. B 12. » 6. »
Jfrwureis fUmoN POSTALE) 24. ip 12. ib 6. e
J -' .:. 110'
"', * -",," ,- ..- LEPIIONS ! »'
tuœcnow. 102-96 | BiII.è'MJ' 103-10
[';■ Af*rnnsnuTTOîï.,.; 101-95
l •
Annonces, Réclames et Faits Divers
CHEZ LAGRANGE, CERF ET et
2 t
S, PLACE DE LA BOURSE
et aux bureaux du JOURNAL
ràHrt!sef Us mandats-poste a H. tt.tflml1,tlltfllteur,
: Aires* télégraphique : JOURNAL - RICHELIEU - PARU
tu manuscrits non intérêt ne sont pas Tenclua
L'ENNEMIE
Quand nous serons à cenl, nous fe-
tons une croix! Nous pourrons même
la. faire à Genève, où viennent de, se
tenir, :à. quelques jours d'intervalle, le
deuxième Congrès d'Espéranto et le
deuxième. jCongrès d'assainissement et
de salubrité de l'habitation., ;
J'aime trop le séjour de Genève et de
ses environs, en été, pour ne pas m'ex-
pliquer le choix des organisateurs qui
ont voulu joindre l'agréable à L'utile, la
lumièra (aUX lumières. C'est une des
Conditions du succès.
Grâce au docteut Javal, j'avais l'a-
vantage de dîner avec le Dr Zamenhof,
inventeur de l'esperanto, le jour même
dé l'ouverture du Congrès ; et quelques
joturs après, l'excellent professeur Au-
guste Reverdin, le chirurgien renom-
fié, vice-président du Congrès d'hygiè-
ne, voulait bien m'initier aux travaux
dés sections. - *
Mon collaborateur Jean Hébrard les a
résumas pour les lecteurs du Journal;
aussi* mca intention n'est-elle point
d'entrer comme lui dans le détail des
questions traitées. Mais il en est une au
moins, dont il n'a point parlé et qui,
secondaire, à la vérité, ne m'en parait
pas moins digne d'intérêt. J'ajouterai
que l'actualité l'imposerait à notre at-
tention, lors même que nul Congres ne
lui accorderait la sienne.
Je- suis bien sûfr de n'être pas démenti
par les légions de touristes qui parcou-
rent depuis deux mois, à pied ou à bi-
cyclette. les routes de France et d'ail-
leurs. Je n'étais pas à la campagne de-
puis huit jours, que je connaissais déjà
les inconvénients de la promenade, Un
ami qui m'accompagnait souvent me
les avait tout de suite signalés par le
désordre où le jetait le passage fréquent
des automobiles. La première fois qu'il
en aperçut une, très loin encore, dans
un petit nuage à l'horizon, il me quitta
brusquement, escalada le talus qui bor-
dait la route et s'enfuit dans les champs
comme en proie à un subit accès d'a-
liénation mentale. Je restai, moi, sur la
toute, pu il' vint me rejoindre, calmé,
lorsque- la voiture ayant disparu, le
tourbillon de poussière dont elle m'a-
urait enveloppé se fut dissipé. -
Je le plaisantai :
Comment, lui * dis-je, vous avez
peur à ce point d'être écrasé ? -' -
—' Non, me répondit-il. Je n'ai peur
que d'être couvert de poussière et d'eu
avaler tout mon saoul. Considérez cette
appréhension comme une phobie spé-
ciale, si vous voulez elle est réelle.
Ah ! vous êtes propre ! Je vous engage
 ao plus sortir sans un. cachxr-pous-
lière. Aussi bien, il n'eiupcohei-a. pas
yotre moustache de grisonner en une
peconde et vos cheveux de réarmer im-
piédiatement un énergique siSmpoing !
JI allait poursuivre, dans ^la même
gamme ; mais, tout à coup, il s'ébroua
de nouveau, me lâcha, courut au talus
et retourna chercher un refuge dans les
champs, tandis qu'une vingt-quatre che-
vaux me saupoudrait copieusement.
J'éternuai, je me frottai les yeux.
jtôon compagnon revint-et sourit :
— Ma gymnastique vous -amuse;
mais vous m'amusez bien davantage,
Sans le bel état où je vous vois 1
— Nous avons une année de sèche-
fesse exceptionnelle, dis-je à la déchar-
ge des routes et des automobiles. Vous
exagérez beaucoup les désagréments de
ia poussière ennemie : la plus légère
ondée les supprime. Prenez-vous-en plu-
ilôt à ce cruel soleil et à ce ciel implaca-
blement bleu !
.- 'Oui ? Eh bien ! je vous conseille de
iiire cela, pou-r les consoler, non seule-
ment aux promeneurs paisibles com-
me nous, mais encore aux locatàires et
propriétaires d'appartements, de cha-
lets, de villas,, de jardins, situés au bord
des routes fréquentées. Ils sont aujour-
d'hui découragés, comme la bonne mé-
nagère impuissante « à tenir propre
son intérieur M. Impossible de laisser
les fenêtres ouvertes. : tous les meu-
bles, au bout d'une îjeure, ont des hous-
ses ! La poussière se glisse partout et
tend les maisons inhabitables. En
maints endroits des environs de Paris
que je pourrais vous indiquer, les écri-
Icaux : 4 IPiïèv, attristent des seuils
maintenant déserts pendant, toute la
raison. Car il ny a pas que les inté-
rieurs qui soient ravagés : les jardins,
les parcs, les gazons, les parterres, les
feuillages, la' poussière flétrit tout pré-
maturément.
— Et vous croyez que ce sont les au-
tomobiles seulement qui la soulèvent ?
'-- Non, mais elles en soulèvent la plus
grande; quantité. Toutes les fleurs ont
des airs de perce-neige et, à aucune
heure de la journée, il ne faut plus son-
ger à prendre le frais dehors. Dans ces
conditions-là, on comprend que les ama-
teurs deviennent rares et se mettent en
quête d'endroits plus écartés, imprati-
cables pour les automobiles. Ou bien
encore, ils renoncent à la maison de
campagne et préfèrent, eux aussi, pas-
ser leurs vacances sur les routes.
— Ils font à autrui ce qu'ils n'aime-
rçjéfit pas qu'on leur lit à eux-mêmes.
C'èst justement un écho de ces do-
léances que fait entendre le début du
rapport de M. A. Navazza au Congrès
d'assainissement et de salubrité qui a
terminé ses travaux samedi dernier.
M. Navazza est le président de la Li-
gue suisse contre la poussière, une Li-
gue qui ne manque pas non plus à no-
tre collection.
-. Cette question, dit-il, à laquelle le
Développement qu'a pris la locomotion
automobile donne une importance con-
sidérable, cette question n'intéresse pas
seulement la commodité des usagers de
ta route, mais aussi la salubrité des
* habitatiops, qui n'offrent plus les ga-
ranties d'hygiène exigibles à l'époque
où nous vivons. L'étude des moyens de
supprimer la poussière des voiés publi-
ques est donc à sa place dans cm Con-
grès d'assainissement de l'habitation.
Je louerai M. Navazza de ne pas (lOUS
ayoft fait un Jâbleau teirifiaïlt des», dé-
sordres que la poussière peut produire
dans notre organisme. Francis Laur et
Emile Gautier ont dit, ici même, com-
bien était redoutable la poussière noire,
la poussière dos mines ; dINlis si la pous-H
sière blanche, la poussière des routes,
propage aussi des microbes, 1 je crois
tout de même leur action moins perni-
cieuse.
On a beau me dire que cette pous-
sière se compose pour i/5 de détritus
végétaux, de déjections et de débris or-
ganiques, la révélation ne m'affole pas.
La poussière est une ennemie parce
qu'elle rend l'atmosphère irrespirable,
parce qu'elle salit tout et parce qu'elle
contrarie le développement de la végé-
tation : n'est-ce pas assez pour aviser
aux moyens de la combattre ?
Il n'y en avait que trois, naguère en-
core : le balayage, l'arrosage et l'é-
bouage. --- -
Le - balayage sec est aujourd hui
proscrit presque partout. On a fini par
reconnaître—mais on y a mis le temps !
— qu'il déplaçait tout simplement la
poussière et ne la soulevait que pour la
faire retomber de plus haut.
1 L'arrosage est excellent, mais encore
faut-il le pratiquer méthodiquement. Un
arrosage trop abondant engendre la
boue, qui amollit les routes et contri-
bue à les user avant de redevenir pous-
sière. Il est donc recommandé d'arroser
rapidement et souvent. De cette tâche,
les tonneaux automobiles s'acquitte-
raient assez bien ; malheureusement,
leur prix élevé ne permet pas aux ad-
ministrations publiques de les substi-
tuer partout aux tonneaux hippomo-
biles..
Reste l'ébouage, opération qui con-
siste à brosser la chaussée pour en enle-
ver la boue, après la pluie ou un arro-
sage à profusion.
Voilà les procédés ordinairement em-
ployés. L'essor de l'automobilisme les
a rendus à peu près illusoires. Après
avoir songé à adapter aux automobiles
des dispositifs diminuant la production
de la poussière, l'inanité des tentatives
a démontré la nécessité d'améliorer non
pas les voitures, mais les routes trop
vite usées.
En Amérique, on les a pétrolées, au
moyen d'huiles lourdes, qui fixent la
poussière au sol. Mais ce mode de sup-
pression serait trop onéreux pour les
pays d'Europe, où la tonne de pétrole
coûte cinq ou six fois plus cher qu'en
Amérique.
A Genève, on a employé un mélange
de mazout et d'huile de Galicie, qui a
donné des résultats satisfaisants.
En France, ceux que l'on a obtenus
à l'aide de sels déliquescents et d'oléa-
gineux rendus solubles dans l'eau, n'ont
pas paru exempts de critique, et l'on
^hett lreni^air procédé qui a le plus de
partisans pour le moment : le goudron-
nage. Il remédie à l'usure des routes en
les protégeant contre l'humidité, et il
fixe la poussière en l'agglutinant.
Préconisé par la Ligue française con-
tre la poussière, le goudronnage le
meilleur est le goudronnage à chaud,
mais la réussite de l'opération dépend
de conditions atmosphériques assez dif-
ficiles à réunir dans un laps de temps
suffisant pour couvrir de grandes sur-
faces. ,
Quoi qu'il en soit, les personnes com-
pétentes sont d'accord pour conseiller le
goudronnage, à chaud ou à froid, de
toutes les voies empierrées fréquentées
par les automobilistes, aux abords des
villes, pour commencer. La dépense,
d'ailleurs minime, est largement com-
pensée par l'économie d'entretien que
réaliseront les services de voirie.
C'est la considération qu'il importe de
faire valoir pour les stimuler, car je
n'ose espérer qu'ils prendraient en pi-
tié, sans cela, les infortunés prome-
neurs et les propriétaires riverains, vic-
times de la poussière ennemie,
¡ .1'\ LUCIEN DESCAVES.
ECHOS
D
istincfcion méritée.
„ Le chef d'escadron Rimailho, du 13"
d'artillerie, est inscrit d'office au tableau de
concours pour le grade d'officier de la Légion
d'honneur (travaux concernant le matériel
d'artillerie).
On sait que le commandant Rimailho est
l'inventeur du nouveap canon de 155 dit
155 R qui vient, d'être définitivement expé-
rimenté aux manœuvres de forteresse de Lan-
gres. ---
L
'Agence, Fournier annonce que des dé-
marches sont faites en vue d'un voyage
de M. Fallières à Milan, avant la clôture de
l'Exposition.
Le Comité de cette Exposition insiste, en
effet, auprès du gouvernement italien, afin
que Celui-ci envoie une invitation officielle à
M." Fallières de venir visiter l'Italie. Il prie-
rait alors le Président de se rendre à l'Expo-
sition de Milan dès qu'il pourrait avoir la
certitude que l'invitation serait acceptée.
l' La visite du Président aurait donc un ca-
ractère officiel et politique.
L
'accident dont a été victime le gouverneur
général de l'Algérie ne présente, ainsi
que nous 1 avons annoncé, aucune gravite.
Mais M. Jonnart ne pourra quitter la cham-
bre avant une dizaine de jours. -
Il a fait savoir à M. Fallières combien il
était désolé de ne pouvoir lui faire à Mar-
seille les honneurs du pavillon algérien à
l'Exposition coloniale, et lui présenter les
'chefs indigènes venus,d'Algérie pour lui offrir
les hommages des populations musulmanes.
M.
Busoni, ancien secrétaire général des
préfectures des Vosges et du Var, s'est
pourvu devant le Conseil d Etat a l'effet de
faire prononcer l'annulation, pour excès de
pouvoir, du décret par lequel, le 29 mai der-
nier, M. Clemenceau l'a appelé à d'autres
fonctions. !.'
0
n a déclaré, au cours de l'année 1905,
385,019 successions, représentant un ac-
tif net de 5,746,888,713 francs. Dans le nom-
bre, il y en a eu 328 de 1 à 2 millions, 150
de 2 à 5 millions, 34 de 5 à 10 millions,
12 de 10 à 50 millions et 3 au-dessus de
j5QLmiiUoixsv<^s^troi^deraûères.,oiLL^éudédajj
rées dansée département de la Seine? et elfes
donnent un total de 373,640,000 francs. Les
successions qui fournissent le plus gros C~J
sont celles de ï 0,001 à 50,000 francs, donr J>-
HtemJ&rfreSkde 4^56^ raoUf de 9~o4~,<~~
francs.
L
r
e correspondant berlinois de 'la Tribune
de Londres dit tenir de bonne source
qui -est question d une visite de l'empereur
Guillaume en Angleterre au printemps pro-
chain.
M
Beau, gouverneur général de l'Indo-
Chine, repartira le 12 novembre pour
présider le, conseil supérieur de F Indo-Chine
qui s'ouvre à Hanoi le 12 décembre.
L
a Nuit de Philodore, le livre étonnant de
Pierre Corrard, fait le sujet de toutes
les discussions. Les théories étranges qui y
sont exposées effarent les uns, ravissent les
autres, passionnent tout le monde. La Nuit
de Philodore obtient un succès fout
JOINVILLE.
MORT DU PRINCE ALBERT DE PRUSSE
BERLIN, 13 septembre. -i- Le prince Albert
de Prusse, régent de Brunswick, est mort
ce matin. Il était né en 1837. Pendant la
guerre de 1869, il commandait la cavalerie
lourde de la-deuxième armée, et en 1S70. il
prit part, comme. chef de la 2e brig^d.?, :JllX
batailles de Gravelotte, Saint-Privat, Sedan
et au siège de Paris.
Depuis 1888, il avait le grade de feld-ma-
réchal et d'inspecteur de la première arm^c.
Il avait été nommé, en 1885, par l'As^m- iée
brunswickoise, régent du duché. Le prince
était veuf depuis peu de la princesse Marie
de Saxe-Altenbourg.
On se rappelle que le prince Albert repré-
sentait l'empereur au mariage du roi d'Es-
pagne, et il avait, parait-il, subi le contre-
coup de cette mission trop fatigante pour e, n
âge et ses forces. 1
La presse allemande se demande l'influen-
ce que peut exercer la mort du prince Albert
de Prusse sur la succession du duché de
Brunswick ; la Post résout la question et dit,
qu'à défaut du fils du duc de Cumberland,
qui ne renoncera probablement pas à ses
prétentions au sujet du Hanovre, l'Assem-
blée brunswickoise sera appelée à choisir un
nouveau régent parmi les princes d'une mai-
son souveraine allemande..
L'Assemblée brunswickoise mourrait bi --ri
ne pas choisir un fils du prince Albert CO.l:.
me régent et élire le prince Adolphe ::e
Schaumbourg-Lippe, le beau-frère de "em
pereur.
Nouveaux Engins d~ guerre
La manufacture d'armes de Saint-Etienne
travaille à la construction de six
mille mitrailleuses
SAINT-ETIENNE, 13 septembre. (Par dépê-
che fie notre correspondant particulier.) —
Plusieurs des ateliers cÎKJa Manufacture
nationale d'armes sont occupes à la réfec-
tion des tablés
La plupart des autres travaillent à l'éta-
blissement d'une mitrailleuse, dont serait,
prochainement, à l'imitation de ce qui se
fait en Allemagne, pourvue notre infante-
rie. Ce nouvel engin se compose essentiel-
lement de trois canons acier, doublechro-
me, épais de 45 millimètres, mais n'ayant
que 7 millimètres d'âme et pouvant donc
tirer la balle Lebel. Chaque canon peut ti-
rer jusqu'à 2,100 coups avant d'être assez
échauffé pour qu'un autre des deux ca-
nonff restant ait à le remplacer. L'ensemble,
pivotant sur un tube vertical, peut exécu-
ter un tir en éventail qui couvre de balles
une considérable étendue de terrain. Six
mille de ces mitrailleuses doivent, nous
dit-on, être livrées avant la fin de cette an-
née.
Carnet d'un Sauvage
Je parlais l'autre jour de l'argent que
chaque citoyen est obligé de donner à l'Etat
pour avoir le droit de travailler, autrement
dit des patentes. Voici que cette réflexion a
été ramassée, et qu'on remet sur le tapis
une vieille proposition de patente sur les
oisifs, qui, dans ce cas, juste retour des
choses, seraient imposés pour avoir le droit
de ne rien faire.
Cette mesure, infiniment plus juste que
l'autre, j'en conviens, n'a contre elle qu'un
argument ; mais il est sérieux. C'est qu'elle
est inapplicable/A quoi reconnaîtrez-vous
un oisif ? A ceci, qu'il n'exerce pas un mé-
tier, qu'il n'occupe pas un. emploi, qu'il
n'est pas classé, étiqueté, soit comme épi-
cier, soit comme fonctionnaire, soit comme
avocat ou médecin ? Mais qui vous dit que
cet homme traité par vous de paresseux
n'est pas le , plus travailleur de tous? A
coup sûr, lui le dira, et que lui répondrez-
vous, quand il s'expliquera en ces termes :
— Pardon, vous affirmez que je ne fais
rien parce que je ne suis ni commerçant,
ni affecté à une Académie quelconque. Or, j
sachez que cela ne m'empêche pas d'être
un grand savant. Je travaille depuis dix-
sept ans à un grand ouvrage, dont la publi-
cation devra transformer l'humanité.
Vainement, vous essayerez de lui repli-I
auer : 1
- Vous avez vraiment une drôle de façon
de travailler. On ne vous voit que dans les
brasseries, ou sur l'allée des Acacias.
— Je pourrais vous dire que c'est ma fa-
çon de travailler et que c'est là où je puise
l'inspiration; je me contente de vous ap-
prendre que ce ne sont pas mes heures,
et que je me mets à la besogne de trois à
cinq heures du matin. Ce ne sont point, Je
pense, vos affaires.
Remarquez que si cette déclaration est
fausse pour la plupart, elle peut être vraie
pour quelques-uns, et que "toute preuve
vous est impossible. Autrement, il faudrait
établir en principe que tout ce qui ne rap-
porte pas d'argent n'est pas considéré
comme un travail, ce qui serait bien digne
d'un siècle aussi pratique que le nôtre,
mais ce qui risquerait de le priver tout de
même de quelque chef-d'œuvre inconnu.
Plus j'y réfléchis, plus jervois qu'on fera
mieux de chercher autre chose.
Henry Marat.
LES CONTES DU JOURNAL
paraissent en tête de notre troisième
page. - Lire.aujourd'hui :.
Ll'EUNUQUK
J i « -
(' ..on..;.:, ':
: u EDMOND HARAUCOURT ",J
EN LIBERTÉ!
r- ,,-
Thérèse Humbert et son mari
quittent la Maison Centrale
A RENNES ET A THOUARB
Mme Kumbert affirme que les millions existent et qu'ils
f sont en lieu sûr ; elle promet de prochaines sur-
prises et de sensationnelles révélations.
La maison centrale de Rennes. - Thérèse Humbert en tenue de prisonnière
LAVAL, 13 septembre. (Par dépêche de
notre,envoyé spécial.) :.-.. (( Surtout, ne, dites
pas que je suis vieille, ni laide. »
Plus de dix fois, Mme Humbert m'a répété
ces paroles, cet après-midi, avec une. insis-
tance enfantine.
Paraître encore jeune; avoir garié quel-
que beauté ! Ce sont là, pour l'instant, les
seuls Soucis de Thérèse Humbert, et l'on
conviendra que de semblables propos tenus
par la fameuse-héritière des Crawford, au
moment où les portes de la maison centrale
venaient de s'ouvrir devant elle, étaient as-
sez imprévus pour me paraître inconsidérés
et - disons le mot - inquiétants.
D'ailleurs, toute la conversation que j'ai pu
avoir avec Mme Humnert a été empreinte
de ce même caractère de bizarrerie, dont
j'avais été frappé dès ses premières paroles.
Mais n'anticipons pas sur l'ordre des faits.
Comme nous l'avions annoncé, c'est aujour-
d'hui que Mme Humbert, détenue depuis le
15 novembre 1903 à la maison centrale de
Rennes, a été mise en liberté conditionnelle.
L'arrêté, signé hier par le ministre de l'in-
térieur, est arrivé ce matin même à Rennes
et, dès huit heures, le contrôleur général,
M. Boudet, en l'absence du directeur, en a
communiqué la bonne nouvelle à nntéres-
sée. •
Il la. fit venir à son bureau et là, sans au-
tre préparation, il lui apprit la décision prise
en sa faveur.
- A.partir de ce moment, vous êtes libre,
ajouta M. Boudet, et vous devez quitter la
maison dans la fournée. Faites donc vos pré-
paratifs pendant que, de mon côté, je vais
établir les papiers administratifs nécessai-
res.
Mme Humbert ne parut .point surprise et,
timidement, -elle répondit :
— Merci, monsieur. Je vais partir tout
de suite.
— A votre aise, répondit M. Baudet.,
La levée d'écrou.
L'héritière des Crawford ayant indiqué de-
puis plusieurs mois quen cas de libération
conditionnelle elle séjournerait à Paris, je
m'attendais à ce qu'elle prît l'express pas-
sant à Rennes à 11 h. 50. La détenue aussi
l'espérait ; mais, daine ! lorsque des geôliers
possèdent une prisonnière aussi notoire que
Thérèse Humbert, on conçoit qu'ils la lais-
sent avec peine s'en aller. Il semble même
qu'à la maison centrale de Rennes, on ait
usé de tant de précautions qu'on a paru sou-
lever toutes les difficultés pour la garder le
plus longtemps possible. Ce n'est, en effet,
qu'à midi que Thérèse Humbert a pu être
libre. Pendant cette longue attente, le con-
trôleur général allait de la prison à la pré-
fecture, revenait à la prison pour retourner
à la préfecture. Les cyclistes dé la Sûreté
ou de la police locale apportaient ou ve-
naient chercher des ordres. - Tout le monde
paraissait avoir perdu la tête, et Lorsque
l'on songea ..à remettre à Mme Humbert les
papiers dûment timbres, signés et parafés,
lui permettant de bénéficier, conformément
aux lois, de la liberté qui lui était donnée,
on s'aperçut qu'on avait oublié de faire ve-
nir; une voiture. Il eût été vraiment inhu-
main de laisser Mme Humbert s'en aller à
pied à la gare. Son état de santé ne le lui
permettait d'ailleurs pas, et deux ou trois
cents commères du quartier, accompagnées
d'une ribambelle de gamins, assiégeant la
porte, on redoutait des manifestations pos-
sibles.
On dépêcha donc un cycliste, à l'effet de
trouver une automobile. Il revint bredouille.
Un le renvoya à la recherche. d'un fiacre,
niais lorsque la voiture, attelée de deux su-
perbes chevaux, pénétra dans la prison, le
train de 11 h. 50, que l'on voulait faire pren-
dre à la libérée, quittait la gare de Rennes.
L'air fatigué et paraissant assez abattue,
Thérèse' Humbert attendait, à l'infirmerie,
qu'on la vînt chercher. Elle avait quitté
l'uniforme de la prison, consistant en une
jupe de bure bleu foncé, un corsage de même
couleur un bonnet et un mouchoir à car-
reaux blancs"et rouges, qui lui servait de.
châle, pour revêtir le costume qu'elle portait
à la Cour d'assises, c'est-à-dire une robe de
chambre-noire, serrée a la taille et, se fer-
mant sur le devant avec de gros boutons
d'écaillé. Comme chapeau, Mme Humbert
avait" coiffé le fameux boléro bleu marine
agrémenté, sur le devant, de deux roses,
avec lequel elle revint d'Espagne, et, à son
cou, s'enroulait une fine mantille. Enfin, i
l'héritière des Crawford était gantée dè blanc
et tenait à la main le porte-cartes en peau de
chamois qu'elle agita si souvent à l'audien-
ce, en protestant contre certaines déposi-
tions.
Mme Humbert touche cent francs
Sans dire un mot, Thérèse Humbert avait
signé les formules administratives qu'on lui
présenta et elle encaissa de même les cinq
pièces de 20 francs qui lui furent remises.
Le pecule de la prisonnière se composait,
en effet, de 180 francs, qui représentaient
exactement le travail de Mme Humbert du-
rant sa captivité, et de menues sommes qui
lui avaient été adressées par sa famille, mais
les règlements indiquant que, lorsque le pé-
cule d'un détenu dépasse 100 francs, le sur-
plus doit être conservé pour couvrir les frais
du procès, cinq pièces de 20 francs furent
seulement remises à Mnje,Humbert, et celle-
ci s'en montra enchantée. Que les temps
sont changés !
Cependant, la levée, d'écrou ne s'opérait
toujours pas et, au dehors, la foule gros-
sissait devant chacune des deux portes de
la prison. Les badauds devinrent même En
nombreux que le général Calvès, revenant,
d'une promenade à cheval,- avec ses offi-
ciers d'ordonnance, s'inquiéta de ce qui mo-
tivait une telle àffluence. Il fut renseigné par
M. Le Hérissé, le député d'Ille-et-Vilaine,
qui accomplit une période d'instruction dans
l'état-major du général Calvès. «Ces per-
sonnes, lui dit-on, attendent le départ de
Thérèse Humbert. » Et comme le général,
ainsi que ses officiers, croyaient que la sor-
tie allait avoir lieu immédiatement, ils sta-
tionnèrent, eux aussi,' durant quelques rnh
nutes au milieu des curieux.
Romain Daurignac n'est pas venu
Une chose m'étonnait. Je n'avais pas en-
core aperçu Romain Daurignac, et, parmi
le haut personnel de la prison, nul n'avait
fia igafeon centrale de Thouars. — Frédéric Humbtf*
été avisé de sa venue. Allait-il laisser sa
sœur, réellement souffrante, partir seule ?
Cependant, on avait prétendu qu'il devait:
venir chercher Thérèse pour l'emmener:
dans une villa. des bords il villégiature. Nous -l'attendions d'une toi-
Mlle à l'autre,. mais nous fûmes déçus, car.
à midi moins dix; le Sacre à galerie dans-
lequel devait prendre place Mme Humbert
pénétra dans la cour de la. prison, et Ro,,,'
main n'était pas encore apparu/ ,.
Mme Hum-frert remercia, brièvement Ifes*
Sœurs et le personnçl de la prison des soûia
dont elle avait" été l'objet et monta dans la»
voiture. A ses côtés furent placés trbifi co-
ulis : une valise jaune, un paquet assez lourd!
enveloppé dé papier et contenant divers us-*
tensiles de toiletté, et un carton à chai
peaux. Les chevaux s'engagèrent dans unor
cour où l'on ne passe jamais d'ordinaire, ett
une porte donnant sur une rue JateraJar
ayant, été brusquement, ouverte, la voitura
partit à fond de train sur la route poudreuse*
Peu de Rennais se trouvaient à ce moment
en cet endroit, mais cette sortie théâtrale,
ménagée seulement pour éviter, à Mmet
Humbert l'assaut des journalistes, avait pi.
tettsémertt échoué. 'En effet, subitement noa
fiacres « collèrent » derrière le sien, comme
disent les sportsmen. Ali ! ce fut une- bella
poursuite, mais bien inutile, ,' et un peu
triste, d'ailleurs. Mme Humbert n'avait nul-
lement manifesté le désir de nous échapper,
au contraire. N'empêche que, comme eils
avait manqué le train de 11 h. 50, passant
à Rennes, on avait résolu de la faire embar-v
quer pour Paris à 2 h. 50, en gare d'à Noyait
-Acigné. ;
Cette, petite localité se trouve à douze M<
lomutres -de Rennes ; mais, pour s'y rendre,
le cocher, se conformant aux ordres qu'il
avait reçus, emprunta un itinéraire ridicule
et parçourut à une allure anormale plus d*
vingt-cinq kilomètres, tout cela pour seme.
les journalistes,
Mine Humbert paraissait très abattue
quand elle descendit de voiture. Elle étout.
fait et comprimait les battements de soit
cœur, en disant à son cocher : « Je suis trèâc
malade, très malade. »
; Elle prit un billet de première classe pom?
Paris et alla s'asseoir sur un banc. A ors^
seulement, je pus me rendre < otiptî que.
l'héritière des Crawford, contrairement g, cîk
qu'on a dit, a très peu changé. La tlgurs
s'est peut-être un peu épaissie, mais le re,
gard est resté aussi vif qu'aux beaux joui î*
des réceptions de l'avenue de la Grandmée.
Je profitai de l'isolement de Mme Humbert
pour l'aborder.
Dès mes premiers mots, l'expression cat
sa physionomie se modifia ; ses yeux devjn.
rent ternes, et, péniblement, la l nérée aru-*
cula avec son zézaiement très doux :
— Ze vous en prie, monsieur, ne me ile-s
mandez rien. Je ne puis pae répondre. El
comme la moindre émotion peut me tuer,
vous, prie d'avoir pitié de moi. ,,'.
Elle avait l'air si affaissée, si exténuées
que je n'insistai pas. i
Le train stoppa bientôt en gare. Mm1
Humbert chercha une place, et, comme Ii n*
avait qu'un seul compartiment de première
classe, nous voyageâmes ensemble. j
La libérée est seule èk triste -
Ce fut ede, la première, qui reprit la con-
versation. Elle m'apprit que depuis deux
mois elle n'avait pas reçu une seule lettre,
de sa famille et que jamais Frédéric ne lui
avait écrit.
— Vous savez, lui dis-je, que votec mari
été libéré également aujourd'hui ?
— Non. Je ne le savais pas. Tant n.ieux-r
et je vous remercie de me l'apprend *e.
— Vous vous attendiez cependant à la tv-
veur dont vous êtes l'objet ?
— Du tout. Mon frère Romain m'avait bierl
parlé de démarches engagées én ce sens ;
mais, comme depuis deux mois je n'ai pas-
eu de ses nouvelles, je n'y pensais plus.
— Comment se fait-il que votre frère né
soit pas venu à votre rencontre ?
— Je me le demande, répond Mme HqiïH
bert avec une intonation éplorée dont 10 sin< *
cérité me frappe. r
— Et où allez-vous descendre à Paris ? ;
D'une voix entrecoupée par une émotionk
croissante : -
— Je l'ignore complètement, dit-elle. J'e81
père trouver un des membres de ma famille
à la gare. S'il n'y a personne, j'irai à l'hôtel.
Il y a une tristesse lamentable dans cettaf
déclaration faite avec la plus grande sim-
plicité, et cette perspective de ne trouvée
personne des siens à l'arrivée et d'en être
réduite à l'isolement d'une chambre d'hôtel
est un si lourd chagrin que ses yeux s'eny
plissent de larmes.,
Elle pardonne à tons
Il y a quelques minutes de silence, et Thé-*
rèse Humbert, après avoir respiré des sels.
continue :
— J'ai beaucoup souffert à la maison ceni
traie, beaucoup. Fort heureusement, j'ai été
admirablement soirée par les trois méde.
cins, qui ont été extrêmement bons à mon
égard 1ailleurs, si, dans la prison, le ré..
gime est sévère, il est, en même temps, fort
humain. Les bonnes sœurs sont admirables,
et le gouvernement,, ajoute sérieusement
Thérèse, se repentira de les remplacer pan
des laïques, car ces dernières ne seront ja..
mais aussi respectées que les religieuses.
Mais comme je préférerais parler un peu
des fameux millions, j'essaie de faire dévten
la conversation. La fine mouche devine mon
jeu, et subitement sa figure se transforme :
— Je souffre, dit-elle. Ne me faites pas
songer à ces journées de malheur, car, jo.
vous le répète, une trop forte émotion ma
peut tuer. ,'
Et marcompagne de voyage respire '4eIt
sels à nouveau.. *
— Quel âge me donnez-vous ? me deroan*
de-t-elle ensuite subitement. 4
J'évite de répondre à cette question inopi<
née et un peu embarrassante. .,
— Je croyais, voyez-.vous, que, lorsque je
sortirais de la centrale, j'aurais l'air d'avoin
soixante ans, et cela me désolait. Je n'ai paa
trop vieilli, mais j'ai eu de la chance. Lors-
qu'on a eu mes chagrins, on peut avoir les
cheveux blancs. Pourtant, les miens sont
restés noirs. Regardez, fait Mme Humbertenj
soulevant son chapeau, c'est à peiné si on y
distingue quelques fils d'argent.
Et de suite elle reprend : -'
— Oh! oui ! J'ai eu de la peine, et j'ai
lutté ! Je connais le malheur, et c'est pour"
quoi je ne sbuhaite de mal à personne, paa
même à ceux qui m'ont perdue. On a ta,
conté bien des choses inexactes. On m'a
blasphémée, on a menti. Eh bien! je leup
pardonne à tous. Je ne veux plus entendra
parler de ceux qui m'ont fait jeter en pri«
son. ✓ •
— Mais, madame, vous nous aviez annon-
cé que vous confondriez vos accusateurs. Le
moment n'est-il pas venu de vous expliquer?
— Non, non ! pas pour l'instant. Je veuit f
me guérir, me guérir pour vivre, encore
longtemps. Dès que je serai installée à Pa.
ris, je me soignerai. Après, je verrai.
En attendant, Mme Humbert se met soua
le nez son flacon de sels. Elle respire vio*
lemment, comme si elle allait s'évanouir.
Ce flacon devenait énervant. Chaque fois
que je faisais mine de poser à mon interlo*
cutnce une question un peu précisé, il sur-*
gissait,et je désespérais de recevoir une dé-
claration relative aux millions, lorsque, vèra
quatre heures et derme, pendant UQ- arré\
QUINZIEME ANNEE» — N° 5007 : mass^L. 4• m kJlUliPAVjifc^ (Pariset Départements) — CINQ CHOTTIMBS t "r VENDREDI M SEPTEMBRE. 1906 -'
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et aux bureaux du JOURNAL
ràHrt!sef Us mandats-poste a H. tt.tflml1,tlltfllteur,
: Aires* télégraphique : JOURNAL - RICHELIEU - PARU
tu manuscrits non intérêt ne sont pas Tenclua
L'ENNEMIE
Quand nous serons à cenl, nous fe-
tons une croix! Nous pourrons même
la. faire à Genève, où viennent de, se
tenir, :à. quelques jours d'intervalle, le
deuxième Congrès d'Espéranto et le
deuxième. jCongrès d'assainissement et
de salubrité de l'habitation., ;
J'aime trop le séjour de Genève et de
ses environs, en été, pour ne pas m'ex-
pliquer le choix des organisateurs qui
ont voulu joindre l'agréable à L'utile, la
lumièra (aUX lumières. C'est une des
Conditions du succès.
Grâce au docteut Javal, j'avais l'a-
vantage de dîner avec le Dr Zamenhof,
inventeur de l'esperanto, le jour même
dé l'ouverture du Congrès ; et quelques
joturs après, l'excellent professeur Au-
guste Reverdin, le chirurgien renom-
fié, vice-président du Congrès d'hygiè-
ne, voulait bien m'initier aux travaux
dés sections. - *
Mon collaborateur Jean Hébrard les a
résumas pour les lecteurs du Journal;
aussi* mca intention n'est-elle point
d'entrer comme lui dans le détail des
questions traitées. Mais il en est une au
moins, dont il n'a point parlé et qui,
secondaire, à la vérité, ne m'en parait
pas moins digne d'intérêt. J'ajouterai
que l'actualité l'imposerait à notre at-
tention, lors même que nul Congres ne
lui accorderait la sienne.
Je- suis bien sûfr de n'être pas démenti
par les légions de touristes qui parcou-
rent depuis deux mois, à pied ou à bi-
cyclette. les routes de France et d'ail-
leurs. Je n'étais pas à la campagne de-
puis huit jours, que je connaissais déjà
les inconvénients de la promenade, Un
ami qui m'accompagnait souvent me
les avait tout de suite signalés par le
désordre où le jetait le passage fréquent
des automobiles. La première fois qu'il
en aperçut une, très loin encore, dans
un petit nuage à l'horizon, il me quitta
brusquement, escalada le talus qui bor-
dait la route et s'enfuit dans les champs
comme en proie à un subit accès d'a-
liénation mentale. Je restai, moi, sur la
toute, pu il' vint me rejoindre, calmé,
lorsque- la voiture ayant disparu, le
tourbillon de poussière dont elle m'a-
urait enveloppé se fut dissipé. -
Je le plaisantai :
Comment, lui * dis-je, vous avez
peur à ce point d'être écrasé ? -' -
—' Non, me répondit-il. Je n'ai peur
que d'être couvert de poussière et d'eu
avaler tout mon saoul. Considérez cette
appréhension comme une phobie spé-
ciale, si vous voulez elle est réelle.
Ah ! vous êtes propre ! Je vous engage
 ao plus sortir sans un. cachxr-pous-
lière. Aussi bien, il n'eiupcohei-a. pas
yotre moustache de grisonner en une
peconde et vos cheveux de réarmer im-
piédiatement un énergique siSmpoing !
JI allait poursuivre, dans ^la même
gamme ; mais, tout à coup, il s'ébroua
de nouveau, me lâcha, courut au talus
et retourna chercher un refuge dans les
champs, tandis qu'une vingt-quatre che-
vaux me saupoudrait copieusement.
J'éternuai, je me frottai les yeux.
jtôon compagnon revint-et sourit :
— Ma gymnastique vous -amuse;
mais vous m'amusez bien davantage,
Sans le bel état où je vous vois 1
— Nous avons une année de sèche-
fesse exceptionnelle, dis-je à la déchar-
ge des routes et des automobiles. Vous
exagérez beaucoup les désagréments de
ia poussière ennemie : la plus légère
ondée les supprime. Prenez-vous-en plu-
ilôt à ce cruel soleil et à ce ciel implaca-
blement bleu !
.- 'Oui ? Eh bien ! je vous conseille de
iiire cela, pou-r les consoler, non seule-
ment aux promeneurs paisibles com-
me nous, mais encore aux locatàires et
propriétaires d'appartements, de cha-
lets, de villas,, de jardins, situés au bord
des routes fréquentées. Ils sont aujour-
d'hui découragés, comme la bonne mé-
nagère impuissante « à tenir propre
son intérieur M. Impossible de laisser
les fenêtres ouvertes. : tous les meu-
bles, au bout d'une îjeure, ont des hous-
ses ! La poussière se glisse partout et
tend les maisons inhabitables. En
maints endroits des environs de Paris
que je pourrais vous indiquer, les écri-
Icaux : 4 IPiïèv, attristent des seuils
maintenant déserts pendant, toute la
raison. Car il ny a pas que les inté-
rieurs qui soient ravagés : les jardins,
les parcs, les gazons, les parterres, les
feuillages, la' poussière flétrit tout pré-
maturément.
— Et vous croyez que ce sont les au-
tomobiles seulement qui la soulèvent ?
'-- Non, mais elles en soulèvent la plus
grande; quantité. Toutes les fleurs ont
des airs de perce-neige et, à aucune
heure de la journée, il ne faut plus son-
ger à prendre le frais dehors. Dans ces
conditions-là, on comprend que les ama-
teurs deviennent rares et se mettent en
quête d'endroits plus écartés, imprati-
cables pour les automobiles. Ou bien
encore, ils renoncent à la maison de
campagne et préfèrent, eux aussi, pas-
ser leurs vacances sur les routes.
— Ils font à autrui ce qu'ils n'aime-
rçjéfit pas qu'on leur lit à eux-mêmes.
C'èst justement un écho de ces do-
léances que fait entendre le début du
rapport de M. A. Navazza au Congrès
d'assainissement et de salubrité qui a
terminé ses travaux samedi dernier.
M. Navazza est le président de la Li-
gue suisse contre la poussière, une Li-
gue qui ne manque pas non plus à no-
tre collection.
-. Cette question, dit-il, à laquelle le
Développement qu'a pris la locomotion
automobile donne une importance con-
sidérable, cette question n'intéresse pas
seulement la commodité des usagers de
ta route, mais aussi la salubrité des
* habitatiops, qui n'offrent plus les ga-
ranties d'hygiène exigibles à l'époque
où nous vivons. L'étude des moyens de
supprimer la poussière des voiés publi-
ques est donc à sa place dans cm Con-
grès d'assainissement de l'habitation.
Je louerai M. Navazza de ne pas (lOUS
ayoft fait un Jâbleau teirifiaïlt des», dé-
sordres que la poussière peut produire
dans notre organisme. Francis Laur et
Emile Gautier ont dit, ici même, com-
bien était redoutable la poussière noire,
la poussière dos mines ; dINlis si la pous-H
sière blanche, la poussière des routes,
propage aussi des microbes, 1 je crois
tout de même leur action moins perni-
cieuse.
On a beau me dire que cette pous-
sière se compose pour i/5 de détritus
végétaux, de déjections et de débris or-
ganiques, la révélation ne m'affole pas.
La poussière est une ennemie parce
qu'elle rend l'atmosphère irrespirable,
parce qu'elle salit tout et parce qu'elle
contrarie le développement de la végé-
tation : n'est-ce pas assez pour aviser
aux moyens de la combattre ?
Il n'y en avait que trois, naguère en-
core : le balayage, l'arrosage et l'é-
bouage. --- -
Le - balayage sec est aujourd hui
proscrit presque partout. On a fini par
reconnaître—mais on y a mis le temps !
— qu'il déplaçait tout simplement la
poussière et ne la soulevait que pour la
faire retomber de plus haut.
1 L'arrosage est excellent, mais encore
faut-il le pratiquer méthodiquement. Un
arrosage trop abondant engendre la
boue, qui amollit les routes et contri-
bue à les user avant de redevenir pous-
sière. Il est donc recommandé d'arroser
rapidement et souvent. De cette tâche,
les tonneaux automobiles s'acquitte-
raient assez bien ; malheureusement,
leur prix élevé ne permet pas aux ad-
ministrations publiques de les substi-
tuer partout aux tonneaux hippomo-
biles..
Reste l'ébouage, opération qui con-
siste à brosser la chaussée pour en enle-
ver la boue, après la pluie ou un arro-
sage à profusion.
Voilà les procédés ordinairement em-
ployés. L'essor de l'automobilisme les
a rendus à peu près illusoires. Après
avoir songé à adapter aux automobiles
des dispositifs diminuant la production
de la poussière, l'inanité des tentatives
a démontré la nécessité d'améliorer non
pas les voitures, mais les routes trop
vite usées.
En Amérique, on les a pétrolées, au
moyen d'huiles lourdes, qui fixent la
poussière au sol. Mais ce mode de sup-
pression serait trop onéreux pour les
pays d'Europe, où la tonne de pétrole
coûte cinq ou six fois plus cher qu'en
Amérique.
A Genève, on a employé un mélange
de mazout et d'huile de Galicie, qui a
donné des résultats satisfaisants.
En France, ceux que l'on a obtenus
à l'aide de sels déliquescents et d'oléa-
gineux rendus solubles dans l'eau, n'ont
pas paru exempts de critique, et l'on
^hett lreni^air procédé qui a le plus de
partisans pour le moment : le goudron-
nage. Il remédie à l'usure des routes en
les protégeant contre l'humidité, et il
fixe la poussière en l'agglutinant.
Préconisé par la Ligue française con-
tre la poussière, le goudronnage le
meilleur est le goudronnage à chaud,
mais la réussite de l'opération dépend
de conditions atmosphériques assez dif-
ficiles à réunir dans un laps de temps
suffisant pour couvrir de grandes sur-
faces. ,
Quoi qu'il en soit, les personnes com-
pétentes sont d'accord pour conseiller le
goudronnage, à chaud ou à froid, de
toutes les voies empierrées fréquentées
par les automobilistes, aux abords des
villes, pour commencer. La dépense,
d'ailleurs minime, est largement com-
pensée par l'économie d'entretien que
réaliseront les services de voirie.
C'est la considération qu'il importe de
faire valoir pour les stimuler, car je
n'ose espérer qu'ils prendraient en pi-
tié, sans cela, les infortunés prome-
neurs et les propriétaires riverains, vic-
times de la poussière ennemie,
¡ .1'\ LUCIEN DESCAVES.
ECHOS
D
istincfcion méritée.
„ Le chef d'escadron Rimailho, du 13"
d'artillerie, est inscrit d'office au tableau de
concours pour le grade d'officier de la Légion
d'honneur (travaux concernant le matériel
d'artillerie).
On sait que le commandant Rimailho est
l'inventeur du nouveap canon de 155 dit
155 R qui vient, d'être définitivement expé-
rimenté aux manœuvres de forteresse de Lan-
gres. ---
L
'Agence, Fournier annonce que des dé-
marches sont faites en vue d'un voyage
de M. Fallières à Milan, avant la clôture de
l'Exposition.
Le Comité de cette Exposition insiste, en
effet, auprès du gouvernement italien, afin
que Celui-ci envoie une invitation officielle à
M." Fallières de venir visiter l'Italie. Il prie-
rait alors le Président de se rendre à l'Expo-
sition de Milan dès qu'il pourrait avoir la
certitude que l'invitation serait acceptée.
l' La visite du Président aurait donc un ca-
ractère officiel et politique.
L
'accident dont a été victime le gouverneur
général de l'Algérie ne présente, ainsi
que nous 1 avons annoncé, aucune gravite.
Mais M. Jonnart ne pourra quitter la cham-
bre avant une dizaine de jours. -
Il a fait savoir à M. Fallières combien il
était désolé de ne pouvoir lui faire à Mar-
seille les honneurs du pavillon algérien à
l'Exposition coloniale, et lui présenter les
'chefs indigènes venus,d'Algérie pour lui offrir
les hommages des populations musulmanes.
M.
Busoni, ancien secrétaire général des
préfectures des Vosges et du Var, s'est
pourvu devant le Conseil d Etat a l'effet de
faire prononcer l'annulation, pour excès de
pouvoir, du décret par lequel, le 29 mai der-
nier, M. Clemenceau l'a appelé à d'autres
fonctions. !.'
0
n a déclaré, au cours de l'année 1905,
385,019 successions, représentant un ac-
tif net de 5,746,888,713 francs. Dans le nom-
bre, il y en a eu 328 de 1 à 2 millions, 150
de 2 à 5 millions, 34 de 5 à 10 millions,
12 de 10 à 50 millions et 3 au-dessus de
j5QLmiiUoixsv<^s^troi^deraûères.,oiLL^éudédajj
rées dansée département de la Seine? et elfes
donnent un total de 373,640,000 francs. Les
successions qui fournissent le plus gros C~J
sont celles de ï 0,001 à 50,000 francs, donr J>-
HtemJ&rfreSkde 4^56^ raoUf de 9~o4~,<~~
francs.
L
r
e correspondant berlinois de 'la Tribune
de Londres dit tenir de bonne source
qui -est question d une visite de l'empereur
Guillaume en Angleterre au printemps pro-
chain.
M
Beau, gouverneur général de l'Indo-
Chine, repartira le 12 novembre pour
présider le, conseil supérieur de F Indo-Chine
qui s'ouvre à Hanoi le 12 décembre.
L
a Nuit de Philodore, le livre étonnant de
Pierre Corrard, fait le sujet de toutes
les discussions. Les théories étranges qui y
sont exposées effarent les uns, ravissent les
autres, passionnent tout le monde. La Nuit
de Philodore obtient un succès fout
JOINVILLE.
MORT DU PRINCE ALBERT DE PRUSSE
BERLIN, 13 septembre. -i- Le prince Albert
de Prusse, régent de Brunswick, est mort
ce matin. Il était né en 1837. Pendant la
guerre de 1869, il commandait la cavalerie
lourde de la-deuxième armée, et en 1S70. il
prit part, comme. chef de la 2e brig^d.?, :JllX
batailles de Gravelotte, Saint-Privat, Sedan
et au siège de Paris.
Depuis 1888, il avait le grade de feld-ma-
réchal et d'inspecteur de la première arm^c.
Il avait été nommé, en 1885, par l'As^m- iée
brunswickoise, régent du duché. Le prince
était veuf depuis peu de la princesse Marie
de Saxe-Altenbourg.
On se rappelle que le prince Albert repré-
sentait l'empereur au mariage du roi d'Es-
pagne, et il avait, parait-il, subi le contre-
coup de cette mission trop fatigante pour e, n
âge et ses forces. 1
La presse allemande se demande l'influen-
ce que peut exercer la mort du prince Albert
de Prusse sur la succession du duché de
Brunswick ; la Post résout la question et dit,
qu'à défaut du fils du duc de Cumberland,
qui ne renoncera probablement pas à ses
prétentions au sujet du Hanovre, l'Assem-
blée brunswickoise sera appelée à choisir un
nouveau régent parmi les princes d'une mai-
son souveraine allemande..
L'Assemblée brunswickoise mourrait bi --ri
ne pas choisir un fils du prince Albert CO.l:.
me régent et élire le prince Adolphe ::e
Schaumbourg-Lippe, le beau-frère de "em
pereur.
Nouveaux Engins d~ guerre
La manufacture d'armes de Saint-Etienne
travaille à la construction de six
mille mitrailleuses
SAINT-ETIENNE, 13 septembre. (Par dépê-
che fie notre correspondant particulier.) —
Plusieurs des ateliers cÎKJa Manufacture
nationale d'armes sont occupes à la réfec-
tion des tablés
La plupart des autres travaillent à l'éta-
blissement d'une mitrailleuse, dont serait,
prochainement, à l'imitation de ce qui se
fait en Allemagne, pourvue notre infante-
rie. Ce nouvel engin se compose essentiel-
lement de trois canons acier, doublechro-
me, épais de 45 millimètres, mais n'ayant
que 7 millimètres d'âme et pouvant donc
tirer la balle Lebel. Chaque canon peut ti-
rer jusqu'à 2,100 coups avant d'être assez
échauffé pour qu'un autre des deux ca-
nonff restant ait à le remplacer. L'ensemble,
pivotant sur un tube vertical, peut exécu-
ter un tir en éventail qui couvre de balles
une considérable étendue de terrain. Six
mille de ces mitrailleuses doivent, nous
dit-on, être livrées avant la fin de cette an-
née.
Carnet d'un Sauvage
Je parlais l'autre jour de l'argent que
chaque citoyen est obligé de donner à l'Etat
pour avoir le droit de travailler, autrement
dit des patentes. Voici que cette réflexion a
été ramassée, et qu'on remet sur le tapis
une vieille proposition de patente sur les
oisifs, qui, dans ce cas, juste retour des
choses, seraient imposés pour avoir le droit
de ne rien faire.
Cette mesure, infiniment plus juste que
l'autre, j'en conviens, n'a contre elle qu'un
argument ; mais il est sérieux. C'est qu'elle
est inapplicable/A quoi reconnaîtrez-vous
un oisif ? A ceci, qu'il n'exerce pas un mé-
tier, qu'il n'occupe pas un. emploi, qu'il
n'est pas classé, étiqueté, soit comme épi-
cier, soit comme fonctionnaire, soit comme
avocat ou médecin ? Mais qui vous dit que
cet homme traité par vous de paresseux
n'est pas le , plus travailleur de tous? A
coup sûr, lui le dira, et que lui répondrez-
vous, quand il s'expliquera en ces termes :
— Pardon, vous affirmez que je ne fais
rien parce que je ne suis ni commerçant,
ni affecté à une Académie quelconque. Or, j
sachez que cela ne m'empêche pas d'être
un grand savant. Je travaille depuis dix-
sept ans à un grand ouvrage, dont la publi-
cation devra transformer l'humanité.
Vainement, vous essayerez de lui repli-I
auer : 1
- Vous avez vraiment une drôle de façon
de travailler. On ne vous voit que dans les
brasseries, ou sur l'allée des Acacias.
— Je pourrais vous dire que c'est ma fa-
çon de travailler et que c'est là où je puise
l'inspiration; je me contente de vous ap-
prendre que ce ne sont pas mes heures,
et que je me mets à la besogne de trois à
cinq heures du matin. Ce ne sont point, Je
pense, vos affaires.
Remarquez que si cette déclaration est
fausse pour la plupart, elle peut être vraie
pour quelques-uns, et que "toute preuve
vous est impossible. Autrement, il faudrait
établir en principe que tout ce qui ne rap-
porte pas d'argent n'est pas considéré
comme un travail, ce qui serait bien digne
d'un siècle aussi pratique que le nôtre,
mais ce qui risquerait de le priver tout de
même de quelque chef-d'œuvre inconnu.
Plus j'y réfléchis, plus jervois qu'on fera
mieux de chercher autre chose.
Henry Marat.
LES CONTES DU JOURNAL
paraissent en tête de notre troisième
page. - Lire.aujourd'hui :.
Ll'EUNUQUK
J i « -
(' ..on..;.:, ':
: u EDMOND HARAUCOURT ",J
EN LIBERTÉ!
r- ,,-
Thérèse Humbert et son mari
quittent la Maison Centrale
A RENNES ET A THOUARB
Mme Kumbert affirme que les millions existent et qu'ils
f sont en lieu sûr ; elle promet de prochaines sur-
prises et de sensationnelles révélations.
La maison centrale de Rennes. - Thérèse Humbert en tenue de prisonnière
LAVAL, 13 septembre. (Par dépêche de
notre,envoyé spécial.) :.-.. (( Surtout, ne, dites
pas que je suis vieille, ni laide. »
Plus de dix fois, Mme Humbert m'a répété
ces paroles, cet après-midi, avec une. insis-
tance enfantine.
Paraître encore jeune; avoir garié quel-
que beauté ! Ce sont là, pour l'instant, les
seuls Soucis de Thérèse Humbert, et l'on
conviendra que de semblables propos tenus
par la fameuse-héritière des Crawford, au
moment où les portes de la maison centrale
venaient de s'ouvrir devant elle, étaient as-
sez imprévus pour me paraître inconsidérés
et - disons le mot - inquiétants.
D'ailleurs, toute la conversation que j'ai pu
avoir avec Mme Humnert a été empreinte
de ce même caractère de bizarrerie, dont
j'avais été frappé dès ses premières paroles.
Mais n'anticipons pas sur l'ordre des faits.
Comme nous l'avions annoncé, c'est aujour-
d'hui que Mme Humbert, détenue depuis le
15 novembre 1903 à la maison centrale de
Rennes, a été mise en liberté conditionnelle.
L'arrêté, signé hier par le ministre de l'in-
térieur, est arrivé ce matin même à Rennes
et, dès huit heures, le contrôleur général,
M. Boudet, en l'absence du directeur, en a
communiqué la bonne nouvelle à nntéres-
sée. •
Il la. fit venir à son bureau et là, sans au-
tre préparation, il lui apprit la décision prise
en sa faveur.
- A.partir de ce moment, vous êtes libre,
ajouta M. Boudet, et vous devez quitter la
maison dans la fournée. Faites donc vos pré-
paratifs pendant que, de mon côté, je vais
établir les papiers administratifs nécessai-
res.
Mme Humbert ne parut .point surprise et,
timidement, -elle répondit :
— Merci, monsieur. Je vais partir tout
de suite.
— A votre aise, répondit M. Baudet.,
La levée d'écrou.
L'héritière des Crawford ayant indiqué de-
puis plusieurs mois quen cas de libération
conditionnelle elle séjournerait à Paris, je
m'attendais à ce qu'elle prît l'express pas-
sant à Rennes à 11 h. 50. La détenue aussi
l'espérait ; mais, daine ! lorsque des geôliers
possèdent une prisonnière aussi notoire que
Thérèse Humbert, on conçoit qu'ils la lais-
sent avec peine s'en aller. Il semble même
qu'à la maison centrale de Rennes, on ait
usé de tant de précautions qu'on a paru sou-
lever toutes les difficultés pour la garder le
plus longtemps possible. Ce n'est, en effet,
qu'à midi que Thérèse Humbert a pu être
libre. Pendant cette longue attente, le con-
trôleur général allait de la prison à la pré-
fecture, revenait à la prison pour retourner
à la préfecture. Les cyclistes dé la Sûreté
ou de la police locale apportaient ou ve-
naient chercher des ordres. - Tout le monde
paraissait avoir perdu la tête, et Lorsque
l'on songea ..à remettre à Mme Humbert les
papiers dûment timbres, signés et parafés,
lui permettant de bénéficier, conformément
aux lois, de la liberté qui lui était donnée,
on s'aperçut qu'on avait oublié de faire ve-
nir; une voiture. Il eût été vraiment inhu-
main de laisser Mme Humbert s'en aller à
pied à la gare. Son état de santé ne le lui
permettait d'ailleurs pas, et deux ou trois
cents commères du quartier, accompagnées
d'une ribambelle de gamins, assiégeant la
porte, on redoutait des manifestations pos-
sibles.
On dépêcha donc un cycliste, à l'effet de
trouver une automobile. Il revint bredouille.
Un le renvoya à la recherche. d'un fiacre,
niais lorsque la voiture, attelée de deux su-
perbes chevaux, pénétra dans la prison, le
train de 11 h. 50, que l'on voulait faire pren-
dre à la libérée, quittait la gare de Rennes.
L'air fatigué et paraissant assez abattue,
Thérèse' Humbert attendait, à l'infirmerie,
qu'on la vînt chercher. Elle avait quitté
l'uniforme de la prison, consistant en une
jupe de bure bleu foncé, un corsage de même
couleur un bonnet et un mouchoir à car-
reaux blancs"et rouges, qui lui servait de.
châle, pour revêtir le costume qu'elle portait
à la Cour d'assises, c'est-à-dire une robe de
chambre-noire, serrée a la taille et, se fer-
mant sur le devant avec de gros boutons
d'écaillé. Comme chapeau, Mme Humbert
avait" coiffé le fameux boléro bleu marine
agrémenté, sur le devant, de deux roses,
avec lequel elle revint d'Espagne, et, à son
cou, s'enroulait une fine mantille. Enfin, i
l'héritière des Crawford était gantée dè blanc
et tenait à la main le porte-cartes en peau de
chamois qu'elle agita si souvent à l'audien-
ce, en protestant contre certaines déposi-
tions.
Mme Humbert touche cent francs
Sans dire un mot, Thérèse Humbert avait
signé les formules administratives qu'on lui
présenta et elle encaissa de même les cinq
pièces de 20 francs qui lui furent remises.
Le pecule de la prisonnière se composait,
en effet, de 180 francs, qui représentaient
exactement le travail de Mme Humbert du-
rant sa captivité, et de menues sommes qui
lui avaient été adressées par sa famille, mais
les règlements indiquant que, lorsque le pé-
cule d'un détenu dépasse 100 francs, le sur-
plus doit être conservé pour couvrir les frais
du procès, cinq pièces de 20 francs furent
seulement remises à Mnje,Humbert, et celle-
ci s'en montra enchantée. Que les temps
sont changés !
Cependant, la levée, d'écrou ne s'opérait
toujours pas et, au dehors, la foule gros-
sissait devant chacune des deux portes de
la prison. Les badauds devinrent même En
nombreux que le général Calvès, revenant,
d'une promenade à cheval,- avec ses offi-
ciers d'ordonnance, s'inquiéta de ce qui mo-
tivait une telle àffluence. Il fut renseigné par
M. Le Hérissé, le député d'Ille-et-Vilaine,
qui accomplit une période d'instruction dans
l'état-major du général Calvès. «Ces per-
sonnes, lui dit-on, attendent le départ de
Thérèse Humbert. » Et comme le général,
ainsi que ses officiers, croyaient que la sor-
tie allait avoir lieu immédiatement, ils sta-
tionnèrent, eux aussi,' durant quelques rnh
nutes au milieu des curieux.
Romain Daurignac n'est pas venu
Une chose m'étonnait. Je n'avais pas en-
core aperçu Romain Daurignac, et, parmi
le haut personnel de la prison, nul n'avait
fia igafeon centrale de Thouars. — Frédéric Humbtf*
été avisé de sa venue. Allait-il laisser sa
sœur, réellement souffrante, partir seule ?
Cependant, on avait prétendu qu'il devait:
venir chercher Thérèse pour l'emmener:
dans une villa. des bords
Mlle à l'autre,. mais nous fûmes déçus, car.
à midi moins dix; le Sacre à galerie dans-
lequel devait prendre place Mme Humbert
pénétra dans la cour de la. prison, et Ro,,,'
main n'était pas encore apparu/ ,.
Mme Hum-frert remercia, brièvement Ifes*
Sœurs et le personnçl de la prison des soûia
dont elle avait" été l'objet et monta dans la»
voiture. A ses côtés furent placés trbifi co-
ulis : une valise jaune, un paquet assez lourd!
enveloppé dé papier et contenant divers us-*
tensiles de toiletté, et un carton à chai
peaux. Les chevaux s'engagèrent dans unor
cour où l'on ne passe jamais d'ordinaire, ett
une porte donnant sur une rue JateraJar
ayant, été brusquement, ouverte, la voitura
partit à fond de train sur la route poudreuse*
Peu de Rennais se trouvaient à ce moment
en cet endroit, mais cette sortie théâtrale,
ménagée seulement pour éviter, à Mmet
Humbert l'assaut des journalistes, avait pi.
tettsémertt échoué. 'En effet, subitement noa
fiacres « collèrent » derrière le sien, comme
disent les sportsmen. Ali ! ce fut une- bella
poursuite, mais bien inutile, ,' et un peu
triste, d'ailleurs. Mme Humbert n'avait nul-
lement manifesté le désir de nous échapper,
au contraire. N'empêche que, comme eils
avait manqué le train de 11 h. 50, passant
à Rennes, on avait résolu de la faire embar-v
quer pour Paris à 2 h. 50, en gare d'à Noyait
-Acigné. ;
Cette, petite localité se trouve à douze M<
lomutres -de Rennes ; mais, pour s'y rendre,
le cocher, se conformant aux ordres qu'il
avait reçus, emprunta un itinéraire ridicule
et parçourut à une allure anormale plus d*
vingt-cinq kilomètres, tout cela pour seme.
les journalistes,
Mine Humbert paraissait très abattue
quand elle descendit de voiture. Elle étout.
fait et comprimait les battements de soit
cœur, en disant à son cocher : « Je suis trèâc
malade, très malade. »
; Elle prit un billet de première classe pom?
Paris et alla s'asseoir sur un banc. A ors^
seulement, je pus me rendre < otiptî que.
l'héritière des Crawford, contrairement g, cîk
qu'on a dit, a très peu changé. La tlgurs
s'est peut-être un peu épaissie, mais le re,
gard est resté aussi vif qu'aux beaux joui î*
des réceptions de l'avenue de la Grand
Je profitai de l'isolement de Mme Humbert
pour l'aborder.
Dès mes premiers mots, l'expression cat
sa physionomie se modifia ; ses yeux devjn.
rent ternes, et, péniblement, la l nérée aru-*
cula avec son zézaiement très doux :
— Ze vous en prie, monsieur, ne me ile-s
mandez rien. Je ne puis pae répondre. El
comme la moindre émotion peut me tuer,
vous, prie d'avoir pitié de moi. ,,'.
Elle avait l'air si affaissée, si exténuées
que je n'insistai pas. i
Le train stoppa bientôt en gare. Mm1
Humbert chercha une place, et, comme Ii n*
avait qu'un seul compartiment de première
classe, nous voyageâmes ensemble. j
La libérée est seule èk triste -
Ce fut ede, la première, qui reprit la con-
versation. Elle m'apprit que depuis deux
mois elle n'avait pas reçu une seule lettre,
de sa famille et que jamais Frédéric ne lui
avait écrit.
— Vous savez, lui dis-je, que votec mari
été libéré également aujourd'hui ?
— Non. Je ne le savais pas. Tant n.ieux-r
et je vous remercie de me l'apprend *e.
— Vous vous attendiez cependant à la tv-
veur dont vous êtes l'objet ?
— Du tout. Mon frère Romain m'avait bierl
parlé de démarches engagées én ce sens ;
mais, comme depuis deux mois je n'ai pas-
eu de ses nouvelles, je n'y pensais plus.
— Comment se fait-il que votre frère né
soit pas venu à votre rencontre ?
— Je me le demande, répond Mme HqiïH
bert avec une intonation éplorée dont 10 sin< *
cérité me frappe. r
— Et où allez-vous descendre à Paris ? ;
D'une voix entrecoupée par une émotionk
croissante : -
— Je l'ignore complètement, dit-elle. J'e81
père trouver un des membres de ma famille
à la gare. S'il n'y a personne, j'irai à l'hôtel.
Il y a une tristesse lamentable dans cettaf
déclaration faite avec la plus grande sim-
plicité, et cette perspective de ne trouvée
personne des siens à l'arrivée et d'en être
réduite à l'isolement d'une chambre d'hôtel
est un si lourd chagrin que ses yeux s'eny
plissent de larmes.,
Elle pardonne à tons
Il y a quelques minutes de silence, et Thé-*
rèse Humbert, après avoir respiré des sels.
continue :
— J'ai beaucoup souffert à la maison ceni
traie, beaucoup. Fort heureusement, j'ai été
admirablement soirée par les trois méde.
cins, qui ont été extrêmement bons à mon
égard 1ailleurs, si, dans la prison, le ré..
gime est sévère, il est, en même temps, fort
humain. Les bonnes sœurs sont admirables,
et le gouvernement,, ajoute sérieusement
Thérèse, se repentira de les remplacer pan
des laïques, car ces dernières ne seront ja..
mais aussi respectées que les religieuses.
Mais comme je préférerais parler un peu
des fameux millions, j'essaie de faire dévten
la conversation. La fine mouche devine mon
jeu, et subitement sa figure se transforme :
— Je souffre, dit-elle. Ne me faites pas
songer à ces journées de malheur, car, jo.
vous le répète, une trop forte émotion ma
peut tuer. ,'
Et marcompagne de voyage respire '4eIt
sels à nouveau.. *
— Quel âge me donnez-vous ? me deroan*
de-t-elle ensuite subitement. 4
J'évite de répondre à cette question inopi<
née et un peu embarrassante. .,
— Je croyais, voyez-.vous, que, lorsque je
sortirais de la centrale, j'aurais l'air d'avoin
soixante ans, et cela me désolait. Je n'ai paa
trop vieilli, mais j'ai eu de la chance. Lors-
qu'on a eu mes chagrins, on peut avoir les
cheveux blancs. Pourtant, les miens sont
restés noirs. Regardez, fait Mme Humbertenj
soulevant son chapeau, c'est à peiné si on y
distingue quelques fils d'argent.
Et de suite elle reprend : -'
— Oh! oui ! J'ai eu de la peine, et j'ai
lutté ! Je connais le malheur, et c'est pour"
quoi je ne sbuhaite de mal à personne, paa
même à ceux qui m'ont perdue. On a ta,
conté bien des choses inexactes. On m'a
blasphémée, on a menti. Eh bien! je leup
pardonne à tous. Je ne veux plus entendra
parler de ceux qui m'ont fait jeter en pri«
son. ✓ •
— Mais, madame, vous nous aviez annon-
cé que vous confondriez vos accusateurs. Le
moment n'est-il pas venu de vous expliquer?
— Non, non ! pas pour l'instant. Je veuit f
me guérir, me guérir pour vivre, encore
longtemps. Dès que je serai installée à Pa.
ris, je me soignerai. Après, je verrai.
En attendant, Mme Humbert se met soua
le nez son flacon de sels. Elle respire vio*
lemment, comme si elle allait s'évanouir.
Ce flacon devenait énervant. Chaque fois
que je faisais mine de poser à mon interlo*
cutnce une question un peu précisé, il sur-*
gissait,et je désespérais de recevoir une dé-
claration relative aux millions, lorsque, vèra
quatre heures et derme, pendant UQ- arré\
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