L'Autre . - L'autre qui est là, qui dort ou qui erre . Mais où ? Est-ce très loin ? tout près ? L'autre qui fut et qui s 'est endormi un jour, qui a dû perdre conscience, mais maintenant qui rêve ,. Faut-ïl l'appeler, l'éloi- gner ? „ o » Que désire-t-il ? Quel est son langage ? - Est-ce, en nous, l'étranger, ou le proche ? l'ennemi ou l'ami, le monstre ou le Saint ?.. . Peut-on le tenir à l'écart, ou bien devra-t-on céder, quoi qu'on fasse, à son insistance ?
L'oublier ? mais l'oubli n'est jamais qu'un effacement provisoire, un retrait précaire dans l'ombre. En fait, on n'oublie jamais rien. Tout est inscrit. Mais les commodités de la vie en atténuent les signes. Rien ne s'abolit en nous. De puissantes commotions peuvent faire remonter des abîmes ces maisons, ces temples, ces paysages, ces figures, ces pensées, ces songes, dont le dépôt était enseveli dans le sang encore vivant qui cir- cule sur notre épiderme «
J'ai dit : les temples. Car, en moi, ce que j'entrevois, ce que je pres- sens, pour mieux dire, au fond d'un immense oubli, ce qui reste,-ce sont les lampes et les temples . De graves temples où brûlent des lampes. Des lam- pes qui veillent dans les temples. Des temples au bord de la mer, puissam- ment assis sur la terre sombre. Des temples massifs, aux frontons soucieux, aux dramatiques colonnades. Des temples construits sur une pensée, la pen- sée de la lampe, et sans doute même d'une seule lampe, la lampe que l'on ne voit pas - et qui cependant soutient, toute seule, le mystérieux édifice.
Mystérieux, car aucune présence humaine ne se montre sur son parvis . Les lampes allumées n'éclairent que les temples. C'est lui qui est l'être, c'est lui qui a l'âme - et personne ne peut proposer sa présence à côté de ce sanctuaire où l'on n'entend jamais que le bruit de la mer pleurant sur le ri- vage. Solitude sacrée. Elle a perdu en moi le souvenir des Ombres qui hantaient ses portiques, si jamais figures humaines ont erré sur ces lieux qui, peut-être, ont été de tout temps solitaires ...
Et je ne sais pourquoi ces Ombres, je les ai perdues - et que ce temple soit resté tout seul dans une mémoire, où tant d'âmes sont revenues et re- viennent encore pour s'y perdre à jamais - qu'il y soit, sévère et voilé - par- fois comme un pressentiment bien plus qu'un souvenir, quel mystère l ...
Je ne sais pas si je le vois, mais sa masse énorme, sur moi, pèse. Elle couvre tout ce que je sais de la terre, tout ce que j'entends de la mer, tout ce que j'ai pu découvrir des figures célestes. Je ne peux contempler l'espace de l'Univers qu'à travers ce temple inconnu.
Tout ce que je viens d'écrire, immédiatement, ci-dessus, n'est pas littérature. J'ai raconté ce qui se passe. D'abord que j'ai la hantise de l'autre. Mes récits en font foi. Ensuite que l'oubli n'est, pour moi, qu'un
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