Titre : Floréal : l'hebdomadaire illustré du monde du travail / directeur Paul-Boncour ; éditeur-fondateur Aristide Quillet
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1920-12-04
Contributeur : Quillet, Aristide (1880-1955). Éditeur scientifique
Contributeur : Jean-Lorris (1879-1932). Éditeur scientifique
Contributeur : Paul-Boncour, Joseph (1873-1972). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32776014f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 décembre 1920 04 décembre 1920
Description : 1920/12/04 (N44,T2). 1920/12/04 (N44,T2).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62811380
Source : CODHOS / OURS, 2012-81221
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
c
LES DRAMES DU TRAVAIL
SANS LAISSER DE TRACES
Sur la passerelle qui va du plateau au gueulard
empesté du haut fourneau, toute la nuit il a roulé,
tour à tour, les wagonnets de minerai, et les wagon-
nets de coke, et les wagonnets vides, en un va-et-
vient sombre qu'enveloppent de bruit les sourds rou-
lements du plancher de fer et les rugissements du
vieux monstre essoufflé crachant des gaz de toutes
parts et les halètements des pilons dont l'haleine de
vapeur blanchit la nuit, tout en bas.
Il fait sa « double », José l'espagnol, malgré les
lois et les règlements, car
sa paye est maigre et le
patron complice, et José
voudrait bien retourner
vers son aride terre d'Es-
pagne avec quelques éco-
nomies. Aussi, sa journée
finie, s'est-il offert ce soir
pour occuper tout de suite
un poste vacant de char-
geur.
Et il roule le coke, le
minerai ou la castine,
sous la nuit sans étoiles
qui s'embrase toute, par-
fois, aux heures de cou-
lée, puis redevient plus
noire. Sa tête bourdonne
comme le pont de fer et
les gaz l'étreignent à la
gorge, lorsqu'il approche
du gueulard. Mais il faut
pousser le wagon bien
au centre, malgré les
fuites de fumées empoi-
sonnées, puis déclancher
le fond mobile, et brasser
la charge avec un crochet
de fer, pour qu'elle ne
s'engorge pas. Alors
l'homme chargé de la ma-
nœuvre du treuil baisse
le cône et la matière s'écoule sur le lisse métal pen-
dant que d'épais tourbillons de gaz envahissent la
plate-forme.
La nuit n'avance pas et José est bien las. Sa tête
est pleine de métal sonore, sa poitrine halète et sime
comme la vapeur des pilons d'en bas, sa gorge flambe
et toute sa peau douloureuse se tend sous la morsure
des gaz brûlants. Le deuxième chargeur s'est éloigne
un instant, José reste seul avec l'homme du treuil.
Un coup de vent retourne vers lui le nuage empoi-
sonné. Sa tête tourbillonne dans un cercle de feu,
il chancelle, accroche au passage le levier qui déclanche
le fond mobile et le minerai tombe avec fracas sur
le cône de métal. A ce bruit, l'homme de la manœuvre
a compris qu'il est temps, et déroule son treuil.
On chercha José un instant sur la passerelle, dans
le parc à minerai. Puis, le chargeur aperçut une cas-
quette accrochée au wagonnet vide. Une affreuse
lueur le heurta au cerveau. Fébrile, il ouvrit tout
grand le cône, hurla qu'on arrêtât le vent. Par les
roides échelles de fer, ce fut une descente éperdue. On
cria au secours ; on courut dans la nuit.
Les premières lueurs de l'aube blanchissent l'orient.
Sur le fourneau, à présent silencieux, des ombres
vont, se penchent. Des lampes électriques clignotent.
Là, dans ce puits vers lequel attire un double enton-
noir de métal, à quatre mètres de profondeur, sur le
fond sombrement rougeoyant du dernier lit de fusion,
une masse se profile plus sombre. Voilà quatre heures
qu'il cuit, José l'Espagnol.
Ils sont tous là, maintenant, les machinistes, les
fondeurs, l'ingénieur, le directeur lui-même. Les veux
dilatés d'épouvanté, la
gorge torturée de l'hor-
rible odeur de chair gril-
lée, penchés sur la fosse
mortelle, ils regardent
noircir et décroître la
pauvre défroque humaine.
On a essayé en vain de la
retirer de sa couche
ardente. Les cordes mouil-
lées ont brûlé; sous le
croc de fer, le corps cal-
ciné s'est effrité affreuse-
m'ent. Le directeur
hagard, se démène. Des
larmes, de rage coulent
sur ses joues. Il faut, à
tout prix, retirer ce corps.
Et, affolé, il donna un
ordre qui eût pu être
fatal.
Bientôt, des hommes
amenaient un wagonnet
plein d'eau, le versaient
par le gueulard ouvert.
Ils eurent à peine le temps
de se retirer, une formi-
dable explosion secoua la
terre, le fourneau dispa-
rut dans un nuage de
vapeur.
Il fallut se résigner.
Les hommes à qui, jusque-là, l'action avait évité
de penser, restaient atterrés. Ils refusèrent de conti-
nuer leur service. On remonta le cône et toute la
matinée le haut fourneau resta funèbrement silencieux.
Les bonnes femmes, sur la route voisine, passaient
vite avec de furtifs signes de croix.
La nuit suivante, sous les lampes, ce fut la coulée
funèbre. Dans un grand rougeoiement, la fonte jail-
lit, et les fondeurs frissonnèrent obscurément en gui-
dant ce ruisseau de feu qui était une tombe d'homme.
On coula une urne funéraire, qu'on remplit du laitier
de la même coulée. Les pauvres gens, parents et frères
du disparu, à qui étaient destinés ces restes, ne purent
arriver à comprendre qu'il y eût là tout ce qui restait
de celui qui vivait près d'eux, naguère, et leur épou-
vante de simples était poignante.
Un service solennel fut célébré à l'église du village.
Puis, dès le lendemain, on oublia pieusement.
E. BLANC.
— 1025 —
LES DRAMES DU TRAVAIL
SANS LAISSER DE TRACES
Sur la passerelle qui va du plateau au gueulard
empesté du haut fourneau, toute la nuit il a roulé,
tour à tour, les wagonnets de minerai, et les wagon-
nets de coke, et les wagonnets vides, en un va-et-
vient sombre qu'enveloppent de bruit les sourds rou-
lements du plancher de fer et les rugissements du
vieux monstre essoufflé crachant des gaz de toutes
parts et les halètements des pilons dont l'haleine de
vapeur blanchit la nuit, tout en bas.
Il fait sa « double », José l'espagnol, malgré les
lois et les règlements, car
sa paye est maigre et le
patron complice, et José
voudrait bien retourner
vers son aride terre d'Es-
pagne avec quelques éco-
nomies. Aussi, sa journée
finie, s'est-il offert ce soir
pour occuper tout de suite
un poste vacant de char-
geur.
Et il roule le coke, le
minerai ou la castine,
sous la nuit sans étoiles
qui s'embrase toute, par-
fois, aux heures de cou-
lée, puis redevient plus
noire. Sa tête bourdonne
comme le pont de fer et
les gaz l'étreignent à la
gorge, lorsqu'il approche
du gueulard. Mais il faut
pousser le wagon bien
au centre, malgré les
fuites de fumées empoi-
sonnées, puis déclancher
le fond mobile, et brasser
la charge avec un crochet
de fer, pour qu'elle ne
s'engorge pas. Alors
l'homme chargé de la ma-
nœuvre du treuil baisse
le cône et la matière s'écoule sur le lisse métal pen-
dant que d'épais tourbillons de gaz envahissent la
plate-forme.
La nuit n'avance pas et José est bien las. Sa tête
est pleine de métal sonore, sa poitrine halète et sime
comme la vapeur des pilons d'en bas, sa gorge flambe
et toute sa peau douloureuse se tend sous la morsure
des gaz brûlants. Le deuxième chargeur s'est éloigne
un instant, José reste seul avec l'homme du treuil.
Un coup de vent retourne vers lui le nuage empoi-
sonné. Sa tête tourbillonne dans un cercle de feu,
il chancelle, accroche au passage le levier qui déclanche
le fond mobile et le minerai tombe avec fracas sur
le cône de métal. A ce bruit, l'homme de la manœuvre
a compris qu'il est temps, et déroule son treuil.
On chercha José un instant sur la passerelle, dans
le parc à minerai. Puis, le chargeur aperçut une cas-
quette accrochée au wagonnet vide. Une affreuse
lueur le heurta au cerveau. Fébrile, il ouvrit tout
grand le cône, hurla qu'on arrêtât le vent. Par les
roides échelles de fer, ce fut une descente éperdue. On
cria au secours ; on courut dans la nuit.
Les premières lueurs de l'aube blanchissent l'orient.
Sur le fourneau, à présent silencieux, des ombres
vont, se penchent. Des lampes électriques clignotent.
Là, dans ce puits vers lequel attire un double enton-
noir de métal, à quatre mètres de profondeur, sur le
fond sombrement rougeoyant du dernier lit de fusion,
une masse se profile plus sombre. Voilà quatre heures
qu'il cuit, José l'Espagnol.
Ils sont tous là, maintenant, les machinistes, les
fondeurs, l'ingénieur, le directeur lui-même. Les veux
dilatés d'épouvanté, la
gorge torturée de l'hor-
rible odeur de chair gril-
lée, penchés sur la fosse
mortelle, ils regardent
noircir et décroître la
pauvre défroque humaine.
On a essayé en vain de la
retirer de sa couche
ardente. Les cordes mouil-
lées ont brûlé; sous le
croc de fer, le corps cal-
ciné s'est effrité affreuse-
m'ent. Le directeur
hagard, se démène. Des
larmes, de rage coulent
sur ses joues. Il faut, à
tout prix, retirer ce corps.
Et, affolé, il donna un
ordre qui eût pu être
fatal.
Bientôt, des hommes
amenaient un wagonnet
plein d'eau, le versaient
par le gueulard ouvert.
Ils eurent à peine le temps
de se retirer, une formi-
dable explosion secoua la
terre, le fourneau dispa-
rut dans un nuage de
vapeur.
Il fallut se résigner.
Les hommes à qui, jusque-là, l'action avait évité
de penser, restaient atterrés. Ils refusèrent de conti-
nuer leur service. On remonta le cône et toute la
matinée le haut fourneau resta funèbrement silencieux.
Les bonnes femmes, sur la route voisine, passaient
vite avec de furtifs signes de croix.
La nuit suivante, sous les lampes, ce fut la coulée
funèbre. Dans un grand rougeoiement, la fonte jail-
lit, et les fondeurs frissonnèrent obscurément en gui-
dant ce ruisseau de feu qui était une tombe d'homme.
On coula une urne funéraire, qu'on remplit du laitier
de la même coulée. Les pauvres gens, parents et frères
du disparu, à qui étaient destinés ces restes, ne purent
arriver à comprendre qu'il y eût là tout ce qui restait
de celui qui vivait près d'eux, naguère, et leur épou-
vante de simples était poignante.
Un service solennel fut célébré à l'église du village.
Puis, dès le lendemain, on oublia pieusement.
E. BLANC.
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