Titre : Floréal : l'hebdomadaire illustré du monde du travail / directeur Paul-Boncour ; éditeur-fondateur Aristide Quillet
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1920-11-13
Contributeur : Quillet, Aristide (1880-1955). Éditeur scientifique
Contributeur : Jean-Lorris (1879-1932). Éditeur scientifique
Contributeur : Paul-Boncour, Joseph (1873-1972). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32776014f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 5091 Nombre total de vues : 5091
Description : 13 novembre 1920 13 novembre 1920
Description : 1920/11/13 (N41,T2). 1920/11/13 (N41,T2).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6281135r
Source : CODHOS / OURS, 2012-81221
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
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HISTOIRE D'IL Y A VINGT MILLE ANS, par R. DUNAN
Dans la nuit compacte et lourde, une lueur légère
s épandit de l'Orient. Une mousseline ténue semblait
envelopper l'obscurité et la dissoudre. Le jour fluait,
en ondes insaisissables, de la plaie lumineuse qui s'élar-
gissait au levant. Ce fut une lame rigide, couleur de
rouille, puis une nuée oscillante et violette qui vaguait
vers le zénith.
Le monde se dévoilait peu à peu sous la clarté.
D abord la masse tumultueuse des rocs et des pics
lancéola de jaillissements aigus l'ombre atténuée.
Puis s'étendit la brutale grisaille des granits et des
schistes ascendant vers le Sud jusqu'aux horizons
fermés. Enfin, l'immense forêt aux teintes bleues
répandit au Nord et à l'Est son infini pullulement de
chlorophylles. La rumeur qui s'en élevait semblait
gonfler l'énorme coupole du ciel où d'énormes nuages
ocre vaguaient dans l'éther.
, Sur un pic rocheux dominant la forêt géante, à
1 orée d'une caverne encore ignorée de la clarté, une
forme animale veillait dans un fouillis de pelages. Sous
la lumière jaillissant intarissablement de l'orient,
les contours des choses s'avéraient peu à peu. Les
sentiers et chemins qui conduisaient à la caverne
devinrent nets. Alors la forme se leva et vint s'ac-
couder sur une saillie de roc. La vue s'étendait de-
puis les débris rocheux et hostiles qui formaient les
pentes menant à la caverne, jusqu'aux lointains
verts et bleus où pâturaient les herbivores, où cou-
laient les fleuves, où la vie régnait dans le désordre et
la lutte. L'homme regarda.
La bête véritable de ce temps-là possédait déjà une
incroyable variété de formes Le nègre et la négroïde
aux narines déprimées, le prognate d'Australasie, le
jaune et le blanc se différenciaient depuis des millénaires.
Des centaines de siècles d'évolution sur elles-mêmes
avaient creusé entre les races de prodigieux abîmes.
L'être qui surveillait la sylve au pied de cette chaîne
qui devait un jour se nommer les Pyrénées, était un
des derniers survivants de la race artiste qui peuplait
immémorialement le sol que bien plus tard on nom-
merait la France. Depuis longtemps, l'abaissement
de la température après des pluies gigantesques,
avait chassé les troupeaux du sol où le Magdalénien
vivait. Les grands ruminants eux-mêmes avaient dis-
paru, et l'homme, pour qui la chasse était devenue
ingrate et dure, avait dû quitter les cavernes prodi-
gieuses où, pendant des milliers de générations, ses
aïeux s'étaient prolongés. A la recherche du gibier, il
avait gagné vers le Sud, mais l'énorme masse pyré-
néenne arrêtait la marche et depuis un demi-siècle, la
tribu vivait là.
L'homme qui inspectait les abords de l'habitat eut
un cri bref et rauque. De l'ombre sortit un autre
homme et tous deux s'absorbèrent sans parler devant
le soleil levant.
Une sphère géante apparaissait au ras de l'horizon;
orange et violette, elle semblait tourner sur elle-même
en jetant des étincelles. Les rayons venaient se poser
sur les choses comme des flèches aiguës. Une vie débor-
dante emplissait le monde.. Les oiseaux pépiaient
avec bruit.
Les deux hommes étaient de haute stature avec un
torse puissant et des jambes courtes. Leur masque
creux et ravagé quoiqu'ils fussent jeunes, avait cette
expression de douleur méditée qui devait, cent siècles
plus tard, être un élément de beauté. Une vitalité
hargneuse et rapide se manifestait en chacun de leurs
gestes. Les muscles obéissants possédaient cette réac-
tivité immédiate que seules les bêtes devaient conserver
lorsque la civilisation naquit. Leurs vêtements étaient
savants et commodes. C'étaient des peaux de bêtes
cousues avec des tendons. Les bras seuls étaient libres
et les jambes à partir de mi-cuisse. Leurs oreilles
mobiles cherchaient les bruits et les captaient avec pré-
cision ; sous le miroir lumineux des yeux, les na-
rines épiaient, en aspirations régulières, les odeurs
que charriait le vent. Ces hommes n'étaient point,
alors, comme devaient le juger plus tard leurs
descendants, de faibles animaux mal armés et peu
désignés pour la conquête du globe. C'étaient d'admi-
rables machines, intelligentes et souples, puissantes
et despotiques, qui ne craignaient ni les félins ni les
plantigrades carnivores. Seule, la redoutable question
des nourritures, qui demeurera vingt mille ans plus
tard le tourment des cités, se posait sans cesse devant
eux comme un terrible problème. Il fallait à l'homme
primitif, pour qu'il développât son humanité latente,
que la chasse lui fût à la fois délicate et facile, qu'il eût
des loisirs et que toute son activité ne fût pas utilisée
en besognes vaines. Or, la fuite des Magdaléniens vers
le Sud avait détruit les habitudes anciennes; un demi-
siècle n'avait pas encore donné à ceux-ci cette fa-
cilité de vie sans quoi l'homme ne fût jamais issu du
grand singe ancestral.
Et voilà que depuis un mois, en ce pays perdu et
isolé, entre la montagne farouche et la sylve désertée
des événements redoutables avaient remis en question
l'existence même de la tribu. Partis quérir des co-
quillages à la mer qui déroulait non loin ses volutes
— 963 —
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HISTOIRE D'IL Y A VINGT MILLE ANS, par R. DUNAN
Dans la nuit compacte et lourde, une lueur légère
s épandit de l'Orient. Une mousseline ténue semblait
envelopper l'obscurité et la dissoudre. Le jour fluait,
en ondes insaisissables, de la plaie lumineuse qui s'élar-
gissait au levant. Ce fut une lame rigide, couleur de
rouille, puis une nuée oscillante et violette qui vaguait
vers le zénith.
Le monde se dévoilait peu à peu sous la clarté.
D abord la masse tumultueuse des rocs et des pics
lancéola de jaillissements aigus l'ombre atténuée.
Puis s'étendit la brutale grisaille des granits et des
schistes ascendant vers le Sud jusqu'aux horizons
fermés. Enfin, l'immense forêt aux teintes bleues
répandit au Nord et à l'Est son infini pullulement de
chlorophylles. La rumeur qui s'en élevait semblait
gonfler l'énorme coupole du ciel où d'énormes nuages
ocre vaguaient dans l'éther.
, Sur un pic rocheux dominant la forêt géante, à
1 orée d'une caverne encore ignorée de la clarté, une
forme animale veillait dans un fouillis de pelages. Sous
la lumière jaillissant intarissablement de l'orient,
les contours des choses s'avéraient peu à peu. Les
sentiers et chemins qui conduisaient à la caverne
devinrent nets. Alors la forme se leva et vint s'ac-
couder sur une saillie de roc. La vue s'étendait de-
puis les débris rocheux et hostiles qui formaient les
pentes menant à la caverne, jusqu'aux lointains
verts et bleus où pâturaient les herbivores, où cou-
laient les fleuves, où la vie régnait dans le désordre et
la lutte. L'homme regarda.
La bête véritable de ce temps-là possédait déjà une
incroyable variété de formes Le nègre et la négroïde
aux narines déprimées, le prognate d'Australasie, le
jaune et le blanc se différenciaient depuis des millénaires.
Des centaines de siècles d'évolution sur elles-mêmes
avaient creusé entre les races de prodigieux abîmes.
L'être qui surveillait la sylve au pied de cette chaîne
qui devait un jour se nommer les Pyrénées, était un
des derniers survivants de la race artiste qui peuplait
immémorialement le sol que bien plus tard on nom-
merait la France. Depuis longtemps, l'abaissement
de la température après des pluies gigantesques,
avait chassé les troupeaux du sol où le Magdalénien
vivait. Les grands ruminants eux-mêmes avaient dis-
paru, et l'homme, pour qui la chasse était devenue
ingrate et dure, avait dû quitter les cavernes prodi-
gieuses où, pendant des milliers de générations, ses
aïeux s'étaient prolongés. A la recherche du gibier, il
avait gagné vers le Sud, mais l'énorme masse pyré-
néenne arrêtait la marche et depuis un demi-siècle, la
tribu vivait là.
L'homme qui inspectait les abords de l'habitat eut
un cri bref et rauque. De l'ombre sortit un autre
homme et tous deux s'absorbèrent sans parler devant
le soleil levant.
Une sphère géante apparaissait au ras de l'horizon;
orange et violette, elle semblait tourner sur elle-même
en jetant des étincelles. Les rayons venaient se poser
sur les choses comme des flèches aiguës. Une vie débor-
dante emplissait le monde.. Les oiseaux pépiaient
avec bruit.
Les deux hommes étaient de haute stature avec un
torse puissant et des jambes courtes. Leur masque
creux et ravagé quoiqu'ils fussent jeunes, avait cette
expression de douleur méditée qui devait, cent siècles
plus tard, être un élément de beauté. Une vitalité
hargneuse et rapide se manifestait en chacun de leurs
gestes. Les muscles obéissants possédaient cette réac-
tivité immédiate que seules les bêtes devaient conserver
lorsque la civilisation naquit. Leurs vêtements étaient
savants et commodes. C'étaient des peaux de bêtes
cousues avec des tendons. Les bras seuls étaient libres
et les jambes à partir de mi-cuisse. Leurs oreilles
mobiles cherchaient les bruits et les captaient avec pré-
cision ; sous le miroir lumineux des yeux, les na-
rines épiaient, en aspirations régulières, les odeurs
que charriait le vent. Ces hommes n'étaient point,
alors, comme devaient le juger plus tard leurs
descendants, de faibles animaux mal armés et peu
désignés pour la conquête du globe. C'étaient d'admi-
rables machines, intelligentes et souples, puissantes
et despotiques, qui ne craignaient ni les félins ni les
plantigrades carnivores. Seule, la redoutable question
des nourritures, qui demeurera vingt mille ans plus
tard le tourment des cités, se posait sans cesse devant
eux comme un terrible problème. Il fallait à l'homme
primitif, pour qu'il développât son humanité latente,
que la chasse lui fût à la fois délicate et facile, qu'il eût
des loisirs et que toute son activité ne fût pas utilisée
en besognes vaines. Or, la fuite des Magdaléniens vers
le Sud avait détruit les habitudes anciennes; un demi-
siècle n'avait pas encore donné à ceux-ci cette fa-
cilité de vie sans quoi l'homme ne fût jamais issu du
grand singe ancestral.
Et voilà que depuis un mois, en ce pays perdu et
isolé, entre la montagne farouche et la sylve désertée
des événements redoutables avaient remis en question
l'existence même de la tribu. Partis quérir des co-
quillages à la mer qui déroulait non loin ses volutes
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