FLOREAL
sacrifiées. Ils sont condamnés à rester en friche et
ils nourrissent contre la société dont ils sont les vic-
times, des rancœurs et des colères bien légitimes.
J'évoque la pièce de Saint-Georges de Bouhélier, Les
Esclaves. Le soldat. La prostituée. Le poète drama-
tique n'en a-t-il pas fait des enfants assistés, car lui, le
garçon, on « l'engage » ou il « s'engage », et elle, la
fille, quand elle en a assez d'être « bonne », elle devient
ce qu'on appelle « une fille » ?
Ah ! misère, tout n'est pas romantique, allez, dans
le sort des enfants trouvés 1
Eh ! bien, ces petits parias, ces petits « de trop »,
comme eût dit Tourguéneff, il est possible de les re-
comme eût
cueillir, il est possible de les adopter, il est possible
de dire à l'Assistance Publique : « Donnez-les moi. »
La loi est formelle.
Article 18 de la loi de 1904 :
« Toute remise de l'enfant à d'autres qu'à ses parents
ou grands-parents, même quand il est confié en vue d'une
adoption ultérieure, ne peut avoir lieu que sous réserve
de la tutelle administrative. Toutefois, lorsque l'enfant
a été confié pendant trois ans à titre gratuit à un parti-
culier, ce dernier, même s'il est âgé de moins de cin-
quante ans et l'enfant de plus de quinze ans, peut, en
obtenant le consentement du conseil de famille, devenir
le tuteur officieux de l'enfant. »
La tutelle officieuse est un acte juridique par lequel
une personne, en se soumettant aux obligations de la
tutelle ordinaire, s'impose de plus l'obligation de
nourrir, entretenir et apprendre un métier à son pupille
en vue de l'adopter plus lard.
Il y a en France un nombre considérable de ménages
inconsolables de n'avoir pas d'enfants — car la stéri-
lité n'est pas toujours volontaire, quoi qu'en pensent
nos repopulateurs - il y a un nombre considérable
de femmes restées célibataires et qui souffrent encore
plus de n'avoir pas été mères que de n'avoir pas été
amantes. Et voilà que le sentiment paternel et mater-
nel inemployé de ces maris et de ces épouses, de ces
femmes solitaires a fait explosion lorsque j'ai offert
à leur tendresse, à leur dévouement, des petits des-
tinés à l'Assistance Publique. Rien n'a été plus facile,
dans ma province encore patriarcale, et où j'ai ren-
contré un inspecteur de l'Assistance Publique intelli-
gent et bon, que la remise de ces petites créatures
humaines abandonnées entre les bras des femmes qui
voulaient bien devenir leurs mères.
Or, un camarade parisien est venu me trouver :
— Nous voudrions, ma femme et moi, élever une
petite fille m'a-t-il dit, mais à l'Assistance Publique,
pour nous en donner une, on exige que nous versions
une somme de trois mille francs.
Stupéfaite et incrédule, j'ai dit : « C'est inexact » ;
j'ai dit : « Vous n'avez pas compris. »
'Mais j'ai la preuve entre les mains. C'est une feuille
administrative écrite à la machine qui commence,
bien entendu, par ces mots sacro-saints :
République Française
Liberté, Egalité, Fraternité
et qui se garde bien de porter la moindre signature.
Voici les deux premiers paragraphes de cette cir-
culaire :
« 1° Toute personne qui désire élever gratuitement un
pupille de l'administration en vue d'adoption ultérieure
doit fournir des références à l'appui de sa demande et
établir sa situation.
« 2° Ces placements ne sont consentis que sous la con-
dition expresse du versement préalable au profil de
l'enfant d'une somme à déterminer (3.000 francs). »
Il n'y a rien à critiquer du paragraphe premier.
Il est juste et prudent. Mais que signifie le second ?
Où est-ce écrit dans la loi cette condition expresse et
préalable ? Je dénonce le scandale et je demande des
explications.
Comment, il se trouve des hommes et des femmes de
cœur et de bonne volonté qui s'offrent pour élever
gratuitement vos pupilles - et qui, par cela même,
vous font réaliser des économies — et vous réclamez
d'eux, par-dessus le marché une telle somme d'argent !
Quels sont les ménages d'ouvriers, d'employés, de
fonctionnaires, qui peuvent disposer de trois mille ,
francs ? Ils peuvent élever un enfant, le faire instruire, i
avec leurs salaires et leurs appointements ; ils ne peu-
vent sacrifier d'avance et tout d'un coup une somme
pareille. ,
Encore une fois, quel est l'article de loi qui justifie
cette mesure ; quelle est cette interprétation des textes, -
quel est cet abus indigne de la générosité et du dévoue-
ment ? j.
Je comprends que les parents adoptifs soient tenus
de constituer à leur enfant adopté un pécule annuel,
proportionné à leurs ressources, de même qu'ils sont
tenus de le mettre en état de gagner sa vie selon ses
goûts et ses aptitudes ; mais ce versement préalable
est inadmissible autant qu'illégal.
N'oublions pas que, pendant trois ans, l'enfant reste
sous la tutelle administrative, qu'au bout de ces trois
ans, il peut être rendu à l'Assistance et qu'il est un
peu cher de payer trois mille francs un enfant qu'on a
défrayé de tout pendant trois ans.
Vous comprenez qu'à ce taux-là, les pupilles de
l'Assistance Publique de la Seine restent chez leurs nour-
riciers, c'est-à-dire à leurs porcheries et à leurs vache-
ries — voir l'Œuvre du 25 juin 1920 — et que les foyers
qui pourraient s'ouvrir pour eux restent fermés.
Voilà comment en France on encourage l'assistance
privée dans ce qu'elle a de plus touchant, de plus
noble, et de plus désintéressé.
Et puis, lorsqu'ils ont reçu cette circulaire, ils se le
tiennent pour dit, l'ouvrier, le petit commerçant,
l'employé, l'institutrice assez audacieux pour désirer f
élever à leurs frais un enfant assisté. Le rond-de-cuir
peut dormir tranquille : il n'aura ni l'ennui, ni la
fatigue de chercher, parmi ses" 'gosses, celui qu'il
pourrait bien remettre à ces phénomènes qui, ayant la
veine de n'avoir pas d'enfants, sont assez naïfs pour
en désirer un ; le rond-de-cuir est paré.
Etonnez-vous après cela de la considération dis-
tinguée dont jouit dans l'opinion l'Assistance Publique
de la Seine.
LOUISE BODIN.
HONNÊTETÉ
Le vol étant la loi commune en la Cité,
» Chacun de son côté,
Dans son trou, son bureau, son bazar, son usine *
Creusait discrètement sa mine,
Dressait sa chausse-trappe et tendait son filet,
Où le labeur d'autrui, comme chien au sifflet,
Venait sans se défendre
Se faire prendre.
Ce n'était pas l'attaque au coin du bois,
Mais bien le guet-apens dans la forêt des lois,
Sous l'œil sans larmes
Et toujours protecteur de Messieurs les gendarmes.
Or, on voyait parfois ce peuple de brigands
Sortir d'entre ses rangs ;
Un pauvre diable
(En général le moins coupable)
Que l'on traînait de geôle en cachot
Et qu'on menait devant un vieux grelot
De juge
Dont la mentalité remontait au déluge,
El qui, parlant du nez,
Avait tôt fait de mâchonner
Une sentence
Contre le malheureux prostré devant sa panset
Laquelle avait pour but, en condamnant
Le délinquant,
De prouver d'une façon nette
Aux autres brigands
Qu'ils étaient honnêtes l
ÉMILE GUÉRINON.
- 760.
sacrifiées. Ils sont condamnés à rester en friche et
ils nourrissent contre la société dont ils sont les vic-
times, des rancœurs et des colères bien légitimes.
J'évoque la pièce de Saint-Georges de Bouhélier, Les
Esclaves. Le soldat. La prostituée. Le poète drama-
tique n'en a-t-il pas fait des enfants assistés, car lui, le
garçon, on « l'engage » ou il « s'engage », et elle, la
fille, quand elle en a assez d'être « bonne », elle devient
ce qu'on appelle « une fille » ?
Ah ! misère, tout n'est pas romantique, allez, dans
le sort des enfants trouvés 1
Eh ! bien, ces petits parias, ces petits « de trop »,
comme eût dit Tourguéneff, il est possible de les re-
comme eût
cueillir, il est possible de les adopter, il est possible
de dire à l'Assistance Publique : « Donnez-les moi. »
La loi est formelle.
Article 18 de la loi de 1904 :
« Toute remise de l'enfant à d'autres qu'à ses parents
ou grands-parents, même quand il est confié en vue d'une
adoption ultérieure, ne peut avoir lieu que sous réserve
de la tutelle administrative. Toutefois, lorsque l'enfant
a été confié pendant trois ans à titre gratuit à un parti-
culier, ce dernier, même s'il est âgé de moins de cin-
quante ans et l'enfant de plus de quinze ans, peut, en
obtenant le consentement du conseil de famille, devenir
le tuteur officieux de l'enfant. »
La tutelle officieuse est un acte juridique par lequel
une personne, en se soumettant aux obligations de la
tutelle ordinaire, s'impose de plus l'obligation de
nourrir, entretenir et apprendre un métier à son pupille
en vue de l'adopter plus lard.
Il y a en France un nombre considérable de ménages
inconsolables de n'avoir pas d'enfants — car la stéri-
lité n'est pas toujours volontaire, quoi qu'en pensent
nos repopulateurs - il y a un nombre considérable
de femmes restées célibataires et qui souffrent encore
plus de n'avoir pas été mères que de n'avoir pas été
amantes. Et voilà que le sentiment paternel et mater-
nel inemployé de ces maris et de ces épouses, de ces
femmes solitaires a fait explosion lorsque j'ai offert
à leur tendresse, à leur dévouement, des petits des-
tinés à l'Assistance Publique. Rien n'a été plus facile,
dans ma province encore patriarcale, et où j'ai ren-
contré un inspecteur de l'Assistance Publique intelli-
gent et bon, que la remise de ces petites créatures
humaines abandonnées entre les bras des femmes qui
voulaient bien devenir leurs mères.
Or, un camarade parisien est venu me trouver :
— Nous voudrions, ma femme et moi, élever une
petite fille m'a-t-il dit, mais à l'Assistance Publique,
pour nous en donner une, on exige que nous versions
une somme de trois mille francs.
Stupéfaite et incrédule, j'ai dit : « C'est inexact » ;
j'ai dit : « Vous n'avez pas compris. »
'Mais j'ai la preuve entre les mains. C'est une feuille
administrative écrite à la machine qui commence,
bien entendu, par ces mots sacro-saints :
République Française
Liberté, Egalité, Fraternité
et qui se garde bien de porter la moindre signature.
Voici les deux premiers paragraphes de cette cir-
culaire :
« 1° Toute personne qui désire élever gratuitement un
pupille de l'administration en vue d'adoption ultérieure
doit fournir des références à l'appui de sa demande et
établir sa situation.
« 2° Ces placements ne sont consentis que sous la con-
dition expresse du versement préalable au profil de
l'enfant d'une somme à déterminer (3.000 francs). »
Il n'y a rien à critiquer du paragraphe premier.
Il est juste et prudent. Mais que signifie le second ?
Où est-ce écrit dans la loi cette condition expresse et
préalable ? Je dénonce le scandale et je demande des
explications.
Comment, il se trouve des hommes et des femmes de
cœur et de bonne volonté qui s'offrent pour élever
gratuitement vos pupilles - et qui, par cela même,
vous font réaliser des économies — et vous réclamez
d'eux, par-dessus le marché une telle somme d'argent !
Quels sont les ménages d'ouvriers, d'employés, de
fonctionnaires, qui peuvent disposer de trois mille ,
francs ? Ils peuvent élever un enfant, le faire instruire, i
avec leurs salaires et leurs appointements ; ils ne peu-
vent sacrifier d'avance et tout d'un coup une somme
pareille. ,
Encore une fois, quel est l'article de loi qui justifie
cette mesure ; quelle est cette interprétation des textes, -
quel est cet abus indigne de la générosité et du dévoue-
ment ? j.
Je comprends que les parents adoptifs soient tenus
de constituer à leur enfant adopté un pécule annuel,
proportionné à leurs ressources, de même qu'ils sont
tenus de le mettre en état de gagner sa vie selon ses
goûts et ses aptitudes ; mais ce versement préalable
est inadmissible autant qu'illégal.
N'oublions pas que, pendant trois ans, l'enfant reste
sous la tutelle administrative, qu'au bout de ces trois
ans, il peut être rendu à l'Assistance et qu'il est un
peu cher de payer trois mille francs un enfant qu'on a
défrayé de tout pendant trois ans.
Vous comprenez qu'à ce taux-là, les pupilles de
l'Assistance Publique de la Seine restent chez leurs nour-
riciers, c'est-à-dire à leurs porcheries et à leurs vache-
ries — voir l'Œuvre du 25 juin 1920 — et que les foyers
qui pourraient s'ouvrir pour eux restent fermés.
Voilà comment en France on encourage l'assistance
privée dans ce qu'elle a de plus touchant, de plus
noble, et de plus désintéressé.
Et puis, lorsqu'ils ont reçu cette circulaire, ils se le
tiennent pour dit, l'ouvrier, le petit commerçant,
l'employé, l'institutrice assez audacieux pour désirer f
élever à leurs frais un enfant assisté. Le rond-de-cuir
peut dormir tranquille : il n'aura ni l'ennui, ni la
fatigue de chercher, parmi ses" 'gosses, celui qu'il
pourrait bien remettre à ces phénomènes qui, ayant la
veine de n'avoir pas d'enfants, sont assez naïfs pour
en désirer un ; le rond-de-cuir est paré.
Etonnez-vous après cela de la considération dis-
tinguée dont jouit dans l'opinion l'Assistance Publique
de la Seine.
LOUISE BODIN.
HONNÊTETÉ
Le vol étant la loi commune en la Cité,
» Chacun de son côté,
Dans son trou, son bureau, son bazar, son usine *
Creusait discrètement sa mine,
Dressait sa chausse-trappe et tendait son filet,
Où le labeur d'autrui, comme chien au sifflet,
Venait sans se défendre
Se faire prendre.
Ce n'était pas l'attaque au coin du bois,
Mais bien le guet-apens dans la forêt des lois,
Sous l'œil sans larmes
Et toujours protecteur de Messieurs les gendarmes.
Or, on voyait parfois ce peuple de brigands
Sortir d'entre ses rangs ;
Un pauvre diable
(En général le moins coupable)
Que l'on traînait de geôle en cachot
Et qu'on menait devant un vieux grelot
De juge
Dont la mentalité remontait au déluge,
El qui, parlant du nez,
Avait tôt fait de mâchonner
Une sentence
Contre le malheureux prostré devant sa panset
Laquelle avait pour but, en condamnant
Le délinquant,
De prouver d'une façon nette
Aux autres brigands
Qu'ils étaient honnêtes l
ÉMILE GUÉRINON.
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