Titre : Floréal : l'hebdomadaire illustré du monde du travail / directeur Paul-Boncour ; éditeur-fondateur Aristide Quillet
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1920-07-24
Contributeur : Quillet, Aristide (1880-1955). Éditeur scientifique
Contributeur : Jean-Lorris (1879-1932). Éditeur scientifique
Contributeur : Paul-Boncour, Joseph (1873-1972). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32776014f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 24 juillet 1920 24 juillet 1920
Description : 1920/07/24 (N25,T2). 1920/07/24 (N25,T2).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6281119n
Source : CODHOS / OURS, 2012-81221
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
UN AUTEUR TRAGIQUE
H.-R. LENORMAND
Il arriva un jour qu'au Théâtre des Arts des in-
connus vinrent jouer la pièce d'un inconnu. Le fait
en lui-même était déjà rare, et ce fut une révélation.
En moins d'une heure le résultat était là, indiscutable :
les acteurs s'étaient, de haute lutte, imposés au public
effaré, et l'œuvre l'avait conquis et subjugué.
La pièce s'appelait Le Temps est un songe et l'acteur
principal Pitoeff, fondateur à Genève de cet étonnant
théâtre a d'avant-garde » (on n'ose plus même écrire
ce mot ridiculisé) qui porte son nom.
Presque unanimement la presse constata le succès.
On fit quelques réserves sur la « noirceur » du drame,
mais on dut bien reconnaître le fait incontestable de
sa réussite.
A la vérité, on avait à nouveau éprouvé le prestige
étrange qui est la marque du théâtre d'Ibsen. Des
critiques sérieux, consciencieux, dignes de considéra-
tion, ont vingt fois essayé de montrer « qu'il n'y a
rien » dans la théâtre d'Ibsen ou plutôt qu'il n'y a que
« ce que le public s'imagine qu'il y voit ».
C'est facile à dire. Mais admettons ce jugement
rapide : d'où vient cependant que ce public imaginatif
s'imagine toujours voir « quelque chose » dans les
pièces d'Ibsen alors qu'il est bien sûr de ne voir rien
dans les neuf dixièmes de notre mercantile théâtre
contemporain ?
A cela on ne répond pas — et pour cause ! - et
c'est cela même qui explique le succès que je veux
appeler « intime » de M. H.-R. Lenormand.
Le Temps est un songe met en scène un jeune homme
maladif cérébralement, qu'une sorte de vigueur de
raisonnement conduit implacablement au suicide. Dès
les premières scènes on devine le dénouement. Mais
c'est précisément de l'approche logique et nécessaire
de ce dénouement qu'est faite l'emprise du drame sur
le spectateur. Aucun effet de surprise, mais un effet
permanent et grandissant de terreur mathématique.
Or, de même que dans l'Ibsen décrié par nos analystes,
il y a aussi, dans la pièce de Lenormand, ce « quel-
que chose » par quoi il lui est, qu'il l'ait voulu ou non,
qu'il l'accepte ou s'en défende, si étroitement appa-
renté.
Nous tenons, quant à nous, cette constatation pour
un éloge. Car, s'il peut appartenir à tout le monde —
comme ce fut la mode jadis — de « faire de l'Ibsen »,
bien rares sont ceux que le grand souvenir et la com-
paraison n'écrasent pas. Si rares même que Lenor-
mand semble seul de son espèce !
*
* *
Toutes les caractéristiques internes et subjectives
de Le Temps est un songe, nous les avons retrouvées
dans Les Ratés, imposés avec la même maîtrise par le
même Pitoeff au public du Théâtre des Arts.
Mauvais titre, trop général, et qui ne convient pas
à la pièce. Le mot « raté » a un sens spécial, nettement
défini, et ce ne sont, proprement, pas des ratés que
M. H.-R. Lenormand met en scène : un auteur qu'un
premier insuccès décourage et qui tombe rapidement
à l'alcoolisme, et une petite actrice aussi dénuée de
talent que pleine de cœur. Tous deux, en effet, sont,
dans leur infortune, socialement à leur place logique
(dans la société actuelle, du moins) et le tort est de
présenter comme anormale ou injuste une série de
malheurs dont tant d'autres s'accommodent et forment
leur ordinaire. On trouve exagéré que si vite la pauvre
actrice tombe à la prostitution, que si rapidement
l'auteur tombe à l'alcoolisme total, et qu'en quelques
semaines il n'y ait plus d'issue pour eux que le meurtre
et le suicide. Mais précisément, de cette anecdote qui
serait ténue ou banale, le génie (c'est le mot qu'il faut,
employé dans son sens vrai) dramatique de Lenormand
fait une chose énorme, accablante, tragique jusqu'à la
plus extrême angoisse.
Il est plus facile assurément de le constater que de
l'expliquer. Sinon par ceci qui s'applique à Ibsen :
qu'en dehors du talent plastique de l'auteur drama-
tique, en dehors de ses manifestations tangibles et
matériellement constatables, il y a — ou il n'y a pas-
un élément impondérable, spirituel, « ésotérique », di-
sent les précieux, qui en multiplie et en transforme
l'effet. La peur, l'inexplicable et terrible peur — qui
n'a presque pas de rapports avec la crainte raisonnée
et raisonnable d'un danger connu — appelle des com-
mentaires parallèles et de même ordre.
Or, M. H.-R. Lenormand a publié récemment un
volume de contes et récits, qui porte le titre du pre-
mier d'entre eux, le Penseur et la Crétine. Récits
extrêmement divers : l'un se passe en Suisse, l'autre
au Maroc, l'un dans la tourmente de neige, l'autre
en plein océan. Qualités puissantes de conteur qu'on
ne connaît plus depuis Marcel Schwob, style nerveux
et évocateur, intérêt soutenu. Mais ce qui domine, ce
qu'on veut noter ici, parce que cela précise ce qu'on
disait plus haut à propos des deux drames, c'est le
caractère tragique essentiel de ces épisodes. Toute
catastrophe renferme un élément de mystère : dans
Cœur Double et le Roi au Masque d'Or Marcel Schwob
a excellé à la dégager. Ainsi de Lenormand qui — par
don ou parcalcul, c'est tout un— imprègne d'angoisse et
de douleur le fait d'apparence le plus normalement
attristant. Il écrit des choses terribles entre les lignes,
exactement comme les personnages de ses drames sem-
blent dire des choses qui ne sont pas contenues aux
mots qu'ils emploient.
Lenormand est un pessimiste. Un pessimiste ou-
trancier, et on veut dire par là que, pour exprimer son
sentiment général, il use d'un « procédé ». Mais encore
ce procédé lui appartient-il en propre. Et si son
pessimisme explique le voile noir dont toute son œuvre
parait endeuillée, il n'est pas la seule cause de sa qua-
lité tragique. Celle-ci n'a sa source que dans le talent
même de Lenormand. Talent qui a, si on peut s'expri-
mer de la sorte, la chance de s'adapter au tempéra-
ment, à la vision, aux tendances de l'auteur : mais
n'est-ce pas là un simple altruisme car précisément
n'est-ce pas de cela qu'est fait le talent ?.
Ce qu'on voulait indiquer ici c'est que pour la pre-
mière fois, depuis longtemps, on a la surprise et la
plaisir d'assister à l'affirmation catégorique d'une
vraie personnalité. Les rapprochements littéraires
avec deux morts qu'on fait invinciblement à son pro-
pos empêcheront peut-être de la qualifier encore d'ori-
ginale. Et pourtant elle l'est. Elle l'est, certainement,
comme elle est puissante et émouvante ! La modestie
de M. H.-R. Lenormand le fait peut-être douter de
lui-même. Mais qu'il se rassure : il est d'ores et déjà
jugé, pesé - et marqué pour les grands succès futurs.
C'est peut-être le seul tragique que nous ayons
actuellement.
VICTOR SNELL.
— 681 —
H.-R. LENORMAND
Il arriva un jour qu'au Théâtre des Arts des in-
connus vinrent jouer la pièce d'un inconnu. Le fait
en lui-même était déjà rare, et ce fut une révélation.
En moins d'une heure le résultat était là, indiscutable :
les acteurs s'étaient, de haute lutte, imposés au public
effaré, et l'œuvre l'avait conquis et subjugué.
La pièce s'appelait Le Temps est un songe et l'acteur
principal Pitoeff, fondateur à Genève de cet étonnant
théâtre a d'avant-garde » (on n'ose plus même écrire
ce mot ridiculisé) qui porte son nom.
Presque unanimement la presse constata le succès.
On fit quelques réserves sur la « noirceur » du drame,
mais on dut bien reconnaître le fait incontestable de
sa réussite.
A la vérité, on avait à nouveau éprouvé le prestige
étrange qui est la marque du théâtre d'Ibsen. Des
critiques sérieux, consciencieux, dignes de considéra-
tion, ont vingt fois essayé de montrer « qu'il n'y a
rien » dans la théâtre d'Ibsen ou plutôt qu'il n'y a que
« ce que le public s'imagine qu'il y voit ».
C'est facile à dire. Mais admettons ce jugement
rapide : d'où vient cependant que ce public imaginatif
s'imagine toujours voir « quelque chose » dans les
pièces d'Ibsen alors qu'il est bien sûr de ne voir rien
dans les neuf dixièmes de notre mercantile théâtre
contemporain ?
A cela on ne répond pas — et pour cause ! - et
c'est cela même qui explique le succès que je veux
appeler « intime » de M. H.-R. Lenormand.
Le Temps est un songe met en scène un jeune homme
maladif cérébralement, qu'une sorte de vigueur de
raisonnement conduit implacablement au suicide. Dès
les premières scènes on devine le dénouement. Mais
c'est précisément de l'approche logique et nécessaire
de ce dénouement qu'est faite l'emprise du drame sur
le spectateur. Aucun effet de surprise, mais un effet
permanent et grandissant de terreur mathématique.
Or, de même que dans l'Ibsen décrié par nos analystes,
il y a aussi, dans la pièce de Lenormand, ce « quel-
que chose » par quoi il lui est, qu'il l'ait voulu ou non,
qu'il l'accepte ou s'en défende, si étroitement appa-
renté.
Nous tenons, quant à nous, cette constatation pour
un éloge. Car, s'il peut appartenir à tout le monde —
comme ce fut la mode jadis — de « faire de l'Ibsen »,
bien rares sont ceux que le grand souvenir et la com-
paraison n'écrasent pas. Si rares même que Lenor-
mand semble seul de son espèce !
*
* *
Toutes les caractéristiques internes et subjectives
de Le Temps est un songe, nous les avons retrouvées
dans Les Ratés, imposés avec la même maîtrise par le
même Pitoeff au public du Théâtre des Arts.
Mauvais titre, trop général, et qui ne convient pas
à la pièce. Le mot « raté » a un sens spécial, nettement
défini, et ce ne sont, proprement, pas des ratés que
M. H.-R. Lenormand met en scène : un auteur qu'un
premier insuccès décourage et qui tombe rapidement
à l'alcoolisme, et une petite actrice aussi dénuée de
talent que pleine de cœur. Tous deux, en effet, sont,
dans leur infortune, socialement à leur place logique
(dans la société actuelle, du moins) et le tort est de
présenter comme anormale ou injuste une série de
malheurs dont tant d'autres s'accommodent et forment
leur ordinaire. On trouve exagéré que si vite la pauvre
actrice tombe à la prostitution, que si rapidement
l'auteur tombe à l'alcoolisme total, et qu'en quelques
semaines il n'y ait plus d'issue pour eux que le meurtre
et le suicide. Mais précisément, de cette anecdote qui
serait ténue ou banale, le génie (c'est le mot qu'il faut,
employé dans son sens vrai) dramatique de Lenormand
fait une chose énorme, accablante, tragique jusqu'à la
plus extrême angoisse.
Il est plus facile assurément de le constater que de
l'expliquer. Sinon par ceci qui s'applique à Ibsen :
qu'en dehors du talent plastique de l'auteur drama-
tique, en dehors de ses manifestations tangibles et
matériellement constatables, il y a — ou il n'y a pas-
un élément impondérable, spirituel, « ésotérique », di-
sent les précieux, qui en multiplie et en transforme
l'effet. La peur, l'inexplicable et terrible peur — qui
n'a presque pas de rapports avec la crainte raisonnée
et raisonnable d'un danger connu — appelle des com-
mentaires parallèles et de même ordre.
Or, M. H.-R. Lenormand a publié récemment un
volume de contes et récits, qui porte le titre du pre-
mier d'entre eux, le Penseur et la Crétine. Récits
extrêmement divers : l'un se passe en Suisse, l'autre
au Maroc, l'un dans la tourmente de neige, l'autre
en plein océan. Qualités puissantes de conteur qu'on
ne connaît plus depuis Marcel Schwob, style nerveux
et évocateur, intérêt soutenu. Mais ce qui domine, ce
qu'on veut noter ici, parce que cela précise ce qu'on
disait plus haut à propos des deux drames, c'est le
caractère tragique essentiel de ces épisodes. Toute
catastrophe renferme un élément de mystère : dans
Cœur Double et le Roi au Masque d'Or Marcel Schwob
a excellé à la dégager. Ainsi de Lenormand qui — par
don ou parcalcul, c'est tout un— imprègne d'angoisse et
de douleur le fait d'apparence le plus normalement
attristant. Il écrit des choses terribles entre les lignes,
exactement comme les personnages de ses drames sem-
blent dire des choses qui ne sont pas contenues aux
mots qu'ils emploient.
Lenormand est un pessimiste. Un pessimiste ou-
trancier, et on veut dire par là que, pour exprimer son
sentiment général, il use d'un « procédé ». Mais encore
ce procédé lui appartient-il en propre. Et si son
pessimisme explique le voile noir dont toute son œuvre
parait endeuillée, il n'est pas la seule cause de sa qua-
lité tragique. Celle-ci n'a sa source que dans le talent
même de Lenormand. Talent qui a, si on peut s'expri-
mer de la sorte, la chance de s'adapter au tempéra-
ment, à la vision, aux tendances de l'auteur : mais
n'est-ce pas là un simple altruisme car précisément
n'est-ce pas de cela qu'est fait le talent ?.
Ce qu'on voulait indiquer ici c'est que pour la pre-
mière fois, depuis longtemps, on a la surprise et la
plaisir d'assister à l'affirmation catégorique d'une
vraie personnalité. Les rapprochements littéraires
avec deux morts qu'on fait invinciblement à son pro-
pos empêcheront peut-être de la qualifier encore d'ori-
ginale. Et pourtant elle l'est. Elle l'est, certainement,
comme elle est puissante et émouvante ! La modestie
de M. H.-R. Lenormand le fait peut-être douter de
lui-même. Mais qu'il se rassure : il est d'ores et déjà
jugé, pesé - et marqué pour les grands succès futurs.
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