Titre : La Revue du bien dans la vie et dans l'art / dir. Marc Legrand
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1902-12-01
Contributeur : Legrand, Marc (1865-1908). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328589908
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 01 décembre 1902 01 décembre 1902
Description : 1902/12/01 (A2,N12). 1902/12/01 (A2,N12).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5523468n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-Z-1499
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/01/2011
La ^evue du ^Bien
dans la Vie et dans ïaArt
1er Décembre 1902 2e Année. N° 12
MARYA KONOPNICKA
Poète polonais.
.TEZ un regard sur l'ensemble
des écrivains polonais contem-
porains, vous serez étonné du
nombre de femmes qu'on y
rencontre. Il ne serait pas dif-
ficile d'en nommer une soixan-
taine. Patriotes ard- nies,esprits
souples et se pi étant à la plus
haute culture, très impression-
nables et très enthousiastes, les
femmes polonaises jouissent,
dans les luttes et 'es duretés de
la vie quotidienne, de plus de
loisirs que les hommes. Aussi,
depuis te partage ae ta roiogne, a cote ces neroismes et
des vertus civiques dont elles font preuve à chaque occa-
sion, elles montrent le plus sûr, le plus jaloux amour des
traditions nationales ; ce sont elles surtout qui inculquent
à leurs enfants cette belle langue, chassée des écoles et de
tous les établissements publics, et qui reste quand même
un merveilleux instrument d'expression écrite pour tant
d'oeuvres et de chefs-d'oeuvres.
Ce rôle d'intermédiaires entre deux générations ren-
force encore leurs capacités créatrices Le siècle dernier a vu
naître entre autres en Pologne (en 1846) une femme qui,
par certaines de ses qualités, touche au génie. Mme MARYA
KONOPNICKA. dont la nation entière fêtait hier le jubilé
littéraire, doit être mise plus qu'au premier rang, hors
du rang, comme chef du bataillon sacré de nos poètes
contemporains.
L'époque où elle a commencé à chanter, vers 1877,
semblait demander un véritable poète. La prostration
fort naturelle qui suivit le désastre de la dernière insur-
rection polonaise (1863), avait suggéré à quelques publi-
cistes, séduits par une science, que d'ailleurs ils ne con-
naissaient guère, une philosophie bourgeoise qui pourrait
se résumer en ce voea : « Enrichissons-nous, c'est le seul
salut 1 » Ce n'était point là l'opinion du pays entier, ni
même de ses meilleurs esprits. Mais ce système de sau-
vetage, militariste fit un tel bruit, souleva un tel scandale,
que queiques-uns y virent l'expression même de la con-
science nationale. Heureusement cette conscience n'a été
ni endormie, ni étouffée ; elle se recueillait pour s'affermir.
Evitant cet errement matérialiste, Mme Konopnicka est
allée « la nuit, par un chemin marqué de larmes hu-
maines», elle est allée « directement à cette pauvre chau-
mière qui, par sa misère, se détache d'une manière tran-
chante des mots d'ordre criards, des divisions et des
querelles ». Elle a vu, là, chez le paysan polonais, tant
de larmes, de peines et de tristesses, que, dès lors, son
coeur ne connaîtra plus la tranquillité, il reviendra tou-
jours et de partout à cette pauvre chaumière et le chant
qui sortira de son luth passera par toute la gamme infinie
des plaintes, depuis les vagissements souffrants jusqu'aux
sanglots longs, monotones, désespérée Sa sensibilité, in-
fluencée impérieusement par la misère des humbles et des
délaissés, a introduit dans la poésie polonaise uu ton qui,
s'il n'était pas tout à fait nouveau, a sonné pour la pre-
mière fois avec une telle amplitude. M™<= Konopnicka l'a
enrichi, d'jilleurs, d'une note toute spéciale qui, jamais
jusque-là, ne s'était révélée en Pologne avre une telle
perfection : c'est une immense tendresse féminine qui
enveloppe toutes les manifes'àtiqris brutales et cruelles
de la vie, d'un profond et doux sentiment, de gémisse-
ments en sourdine, de plaintes chuçhotées, de mélopées
touchantes. « Je, parcourrai — d.t-élle — chaque man-
sarde de misère. |e passerai sur les'eceurs, comme un
songe serein, sur les pensées, comme une étoile qui-eli-i
gnote au loin. Et je ferai ainsi le tour de la terre entière,
et je cueillerai des larmes comme ùiie; amère rosée et les
porterai dans mes mains aux rayons lointains de l'aurore
matinale. » Elle voudrait être un bouleau planté, près de
la chaumière, un bouleau qui « frissonne avec la chanson
de la chaumière et pleure avec ses pleurs ». Infatigable,
elle suit le paysan dans son champ, elle est aux écoutes
des noslalgies et des eraintts de la mère, elle recueille les
plaintes et les chagrins de l'enfant, connaît toutes les
pensées du peuple, entend le battement dé son coeur, se
façonne a son rythme et s'accoutume si bien à son lan-
gage qu'une grande partie de ses s;rophes pourraient être
chantées par. le peuple.
Cette communion intime avec la misère aurait pu don-
ner au lyrisme de Mme Konopnicka le sens d'une aveugle
soumission à la destinée, d'une nécessité obscure, sou-
mettant à l'exploitation ceux qui « restent muets et forts
de leur mutisme ». Mais la poétesse est partie d'une classe
sociale élevée pour descendre jusqu'à la misère et elle ne
l'oublie jamais. Elle oppose constamment le monde des
puissants au monde des miséreux; et ce lui est le motif
d'une grande quantité de superbes « tableaux » poétiques.
L'antithèse y est quelquefois trop visible. Mais ces petits
poèmes de portée sociale sont très populaires en Po-
logne.
Les images de misère cachent à la poétesse tout ce qui
se passe au monde. Le charme du printemps la blesse,
puisque partout « des.milliers de plaintes sourdes trem-
blent sans paroles », puisque « des esprits maltraités
gémissent dans les chaînes ». Elle crie sa lamentation,
dans la Vie et dans ïaArt
1er Décembre 1902 2e Année. N° 12
MARYA KONOPNICKA
Poète polonais.
.TEZ un regard sur l'ensemble
des écrivains polonais contem-
porains, vous serez étonné du
nombre de femmes qu'on y
rencontre. Il ne serait pas dif-
ficile d'en nommer une soixan-
taine. Patriotes ard- nies,esprits
souples et se pi étant à la plus
haute culture, très impression-
nables et très enthousiastes, les
femmes polonaises jouissent,
dans les luttes et 'es duretés de
la vie quotidienne, de plus de
loisirs que les hommes. Aussi,
depuis te partage ae ta roiogne, a cote ces neroismes et
des vertus civiques dont elles font preuve à chaque occa-
sion, elles montrent le plus sûr, le plus jaloux amour des
traditions nationales ; ce sont elles surtout qui inculquent
à leurs enfants cette belle langue, chassée des écoles et de
tous les établissements publics, et qui reste quand même
un merveilleux instrument d'expression écrite pour tant
d'oeuvres et de chefs-d'oeuvres.
Ce rôle d'intermédiaires entre deux générations ren-
force encore leurs capacités créatrices Le siècle dernier a vu
naître entre autres en Pologne (en 1846) une femme qui,
par certaines de ses qualités, touche au génie. Mme MARYA
KONOPNICKA. dont la nation entière fêtait hier le jubilé
littéraire, doit être mise plus qu'au premier rang, hors
du rang, comme chef du bataillon sacré de nos poètes
contemporains.
L'époque où elle a commencé à chanter, vers 1877,
semblait demander un véritable poète. La prostration
fort naturelle qui suivit le désastre de la dernière insur-
rection polonaise (1863), avait suggéré à quelques publi-
cistes, séduits par une science, que d'ailleurs ils ne con-
naissaient guère, une philosophie bourgeoise qui pourrait
se résumer en ce voea : « Enrichissons-nous, c'est le seul
salut 1 » Ce n'était point là l'opinion du pays entier, ni
même de ses meilleurs esprits. Mais ce système de sau-
vetage, militariste fit un tel bruit, souleva un tel scandale,
que queiques-uns y virent l'expression même de la con-
science nationale. Heureusement cette conscience n'a été
ni endormie, ni étouffée ; elle se recueillait pour s'affermir.
Evitant cet errement matérialiste, Mme Konopnicka est
allée « la nuit, par un chemin marqué de larmes hu-
maines», elle est allée « directement à cette pauvre chau-
mière qui, par sa misère, se détache d'une manière tran-
chante des mots d'ordre criards, des divisions et des
querelles ». Elle a vu, là, chez le paysan polonais, tant
de larmes, de peines et de tristesses, que, dès lors, son
coeur ne connaîtra plus la tranquillité, il reviendra tou-
jours et de partout à cette pauvre chaumière et le chant
qui sortira de son luth passera par toute la gamme infinie
des plaintes, depuis les vagissements souffrants jusqu'aux
sanglots longs, monotones, désespérée Sa sensibilité, in-
fluencée impérieusement par la misère des humbles et des
délaissés, a introduit dans la poésie polonaise uu ton qui,
s'il n'était pas tout à fait nouveau, a sonné pour la pre-
mière fois avec une telle amplitude. M™<= Konopnicka l'a
enrichi, d'jilleurs, d'une note toute spéciale qui, jamais
jusque-là, ne s'était révélée en Pologne avre une telle
perfection : c'est une immense tendresse féminine qui
enveloppe toutes les manifes'àtiqris brutales et cruelles
de la vie, d'un profond et doux sentiment, de gémisse-
ments en sourdine, de plaintes chuçhotées, de mélopées
touchantes. « Je, parcourrai — d.t-élle — chaque man-
sarde de misère. |e passerai sur les'eceurs, comme un
songe serein, sur les pensées, comme une étoile qui-eli-i
gnote au loin. Et je ferai ainsi le tour de la terre entière,
et je cueillerai des larmes comme ùiie; amère rosée et les
porterai dans mes mains aux rayons lointains de l'aurore
matinale. » Elle voudrait être un bouleau planté, près de
la chaumière, un bouleau qui « frissonne avec la chanson
de la chaumière et pleure avec ses pleurs ». Infatigable,
elle suit le paysan dans son champ, elle est aux écoutes
des noslalgies et des eraintts de la mère, elle recueille les
plaintes et les chagrins de l'enfant, connaît toutes les
pensées du peuple, entend le battement dé son coeur, se
façonne a son rythme et s'accoutume si bien à son lan-
gage qu'une grande partie de ses s;rophes pourraient être
chantées par. le peuple.
Cette communion intime avec la misère aurait pu don-
ner au lyrisme de Mme Konopnicka le sens d'une aveugle
soumission à la destinée, d'une nécessité obscure, sou-
mettant à l'exploitation ceux qui « restent muets et forts
de leur mutisme ». Mais la poétesse est partie d'une classe
sociale élevée pour descendre jusqu'à la misère et elle ne
l'oublie jamais. Elle oppose constamment le monde des
puissants au monde des miséreux; et ce lui est le motif
d'une grande quantité de superbes « tableaux » poétiques.
L'antithèse y est quelquefois trop visible. Mais ces petits
poèmes de portée sociale sont très populaires en Po-
logne.
Les images de misère cachent à la poétesse tout ce qui
se passe au monde. Le charme du printemps la blesse,
puisque partout « des.milliers de plaintes sourdes trem-
blent sans paroles », puisque « des esprits maltraités
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