Titre : Figaro : journal non politique
Éditeur : Figaro (Paris)
Date d'édition : 1905-09-12
Contributeur : Villemessant, Hippolyte de (1810-1879). Directeur de publication
Contributeur : Jouvin, Benoît (1810-1886). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 12 septembre 1905 12 septembre 1905
Description : 1905/09/12 (Numéro 255). 1905/09/12 (Numéro 255).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
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UK FIGARO - MARDI 12 SEPTEMBRE 1905
partisan convaincu des beaux livres do-
rés qu'on donne en récompense aux'
-élèves qui furent travailleurs ou heu-
! reux, et il nous donne à l'appui de son
opinion des arguments d'une sérieuse et
sobre philosophie. Je n'en attendais pas
moins du poète inspiré, si largement et
si noblement humain de l'Or des mi-
nutes :
Mes projets littéraires pour la prochaine
saison ?
Puisqu'il vous plaît de le savoir, je publie-
rai des poèmes nouveaux dans plusieurs re-
vues, et il est possible que je songe à une
pièce de théâtre. :
Le Concours général '? Je ne comprends pas
pourquoi on l'a supprimé. C'était une vieille
institution, un peu hasardeuse sans doute,
mais jolie et populaire, - et en tous cas inof-
fensive.
Si j'ai'eu des prix au lycée et au Concours
général ? Hélas ! que me demandez-vous là ?
Aujourd'hui, aux yeux de nos naïfs « révol-
tés », survivants du mauvais romantisme et
qui en sont restés à l'antique Désordre et Gé-
nie, de Dumas père, avoir été un cancre sur
les bancs de la classe est une condition né-
cessaire pour être quelqu'un dans la vie. Il
m'est donc très pénible d'avouer en public que
j'ai eu des prix au lycée, et même, au « grand
Concours » en rhétorique, un premier prix de
discours français. Circonstance atténuante, le
sujet m'avait favorisé : il fallait « dévelop-
per » cette pensée de Bersot : « La poésie ne
défigure pas, elle transfigure. » - Ce dont j'é-
tais déjà bien persuadé.
La suppression des distributions de prix?
- Là, non plus, je ne comprends pas. Si
j'en juge par mes souvenirs, les lycéens y pre-
naient du plaisir, quoi qu'on en dise. Au lycée
Michelet, pour les mélancoliques internes que
nous étions,la distribution des prix était, avec
la Saint-Charlemagne et la première commu-
nion, une des trois cérémonies de l'année,
une fête joyouse et pompeuse, une grande
liesse et la meilleure d'être la dernière. Au
? lycée Condorcet, où les externes sont déjà
plus blasés sur les joies de ce monde, n'y ve-
naient guère que ceux qui avaient chance
d'être nommés ;.les élèves moins heureux s'é-
taient déjà dispersés dans les villégiatures
où ils se reposaient sur les lauriers des au-
tres ; et ainsi tous étaient contents.
La Solution qui consisterait à remplacer
'les livres de prix par des prix en espèces
n'est vraiment pas assez idéaliste. On ne peut
récompenser un enfant qui traduit vingt vers
de Pindare sans contresens, comme un cy-
cliste qui, avec ses jambes et sur une bonne
machine, bat le record de l'heure. Il faut tout
de même que le prix attribué fasse sentir que
cela est d'un autre ordre que ceci. Et les
vieux bouquins dorés sur tranche avaient l'a-
vantage de récompenser, si je puis dire, l'es-
prit par l'esprit.
Sans compter que certains étaient les très
bienvenus pour nos adolescences avides de
lecture, mais à qui nos « économies » per-
mettaient rarement d'acheter des livres : c'est
dans un volume de prix qu'en troisième j'ai
lu pour la première fois les Harmonies poé-
tiques. Et d'ailleurs, c'est encore dans mon
exemplaire du Concours général avec les no-
tes de Marty-Laveaux, que je relis le plus
fréquemment Racine, l'un dés plus grands
poètes du monde, où beaucoup d'entre nous
pourraient encore prendre utilement la noble
maladie de la perfection.
Voilà, je crois, votre questionnaire épuisé,
mon cher confrère, et mon devoir de vacan-
ces terminé.
: Fernand GREGH.
' ***
M. le comte Robert de Montesquiou,
dont les Professionnelles Beautés eurent
la saison dernière tant de retentisse-
ment, et dont je n'ai pu dire assez, à bette
place, tout le piquant intérêt - qu'au-
rais-je pu dire après la page vibrante
qu'elles inspirèrent à M. Henry Bataille?
- professe à l'égard des prix une olym-
pienne indifférence, et il ne faut pas
compter sur le poète des Odeurs suaves
et des Chauves-Souris pour les attaquer
ni pour les défendre...
Quelques lignes de réponse à vos questions
obligeantes.
Je me souviens d'avoir lu, dans une ré-
plique de Barrés à des demandes du même
genre, quelque chose d'équivalent à ceci :
« Un auteur a toujours dix volumes en train. »
-"Il ne s'ensuit pas que le meilleur ne soit
pas le onzième. Qu'importe ? Les autres lui
peuvent céder le pas.
Rien n'est fait aujourd'hui, tout sera fait demain.
En ce qui me concerne, j'achève les « Recueils
d'Essais» qui font suite à ceux-ci, déjà publiés :
Roseaux pensants, Autels privilégiés, Profes-
sionnelles Beautés. - Puissent ceux qui vont
suivre retrouver le petit nombre de lecteurs
choisis, dont l'attention est une faveur !
Flots d'amis renaissants, puissent mes destinées
Vous amener à moi, de dix en dix années,
attentifs à mon oeuvre... et, pour moi, c'est assez !
Ce n'est rien annoncer de bien nouveau,
que de reparler d'un mien travail sur Mme de
Castiglione, duquel plusieurs veulent bien
avoir souci.
Puisse-t-il ne s'inspirer ni de Quiquen-
grogne, ni des Polichinelles,- deux chefs-
d'oeuvre qui s'obstinèrent à demeurer in-
connus.
Des vers, aussi, probablement; encore un
peu; plus beaucoup. - L'heure ne s'appro-
che-t-elle pas plutôt, pour moi, de jeter un
regard, sinon sévère, du moins sérieux, sur
ceux de mes poèmes anciens, qui réclament
encore,
Avant de descendre au cercueil,
Un peu de rouge à la pommette,
Un peu de noir au bord de l'oeil"?
Et ce me fut une joie récente, de me ren-
contrer, sur ce point, avec Henry Bataille,
dans l'intéressant article qu'il a bien voulu
me consacrer, ici même, à propos de mon
dernier ouvrage, lorsqu'il écrivit : Il est à
souhaiter que l'Auteur fasse, un jour, une édi-
tion de ses oeuvres complètes, épurées, débar-
rassées des scories et des fantaisies de jeu-
nesse : - elle sera déjà considérable et passa-
blement diaprée.
Puis, plus tard, des souvenirs, des por-
traits.
Mais tout cela doit, pour le moment, s'ef-
facer devant le livre que je veux consacrer à
l'éloge d'un Ami défunt.
Celui-là, j'appelle sur lui les grâces des
Moires, le deuil des mémoires et le parfum
de Thanastô !
Quant aux distributions de prix, ce ne serait
non plus rien vous eh dire de bien neuf, cons-
tater avec, et après bien d'autres, que leurs
lauriers de papier vert peuvent se poser sur
des têtes prédestinées, non moins que sur des
caboches sans avenir. - Tout comme les
verdoyantes palmes des habits académiques
se peuvent broder sur des cols de cygnes; et,
aussi, sur d'autres, moins précieux, moins
gracieux.
Comte Robert de MONTESQUIOU.
***
M. Maurice Leblanc, le très alerte et
très moderne écrivain qui maria na-
guère les sports et la littérature dans son
curieux recueil de nouvelles, Gueule
rouge, 80 chevaux, est bien dur pour les
prix que lui décernèrent sans lésiner ses
professeurs, - il en a 88 dans sa carrière
d'écolier! - Sans doute ils furent trop,
et c'est pourquoi M. Maurice Leblanc les
méprise à ce point...
lo A la rentrée, une pièce en trois actes
chez Antoine, la Pitié, déjà répétée, mais que
les destins du théâtre ont retardée à la saison
prochaine.
Dans le courant de l'hiver, un roman au-
quel je travaille depuis trois ans. Puis un
.livre de contes, les Lèvres jointes, seconde
série.
En outre, deux pièces à peu près achevées
- quelle bonne nouvelle pour les directeurs !
2° Je crois que les prix et les récompenses
n'ont jamais stimulé aucun collégien, pas
plus que les punitions, d'ailleurs. Le seul
travail utile est celui qu'on accomplit pour le
seul plaisir de travailler.
Quant aux 88 prix que j'ai obtenus en pen-
sion et au lycée, je n'y pense jamais que pour
regretter les efforts qu'ils m'ont coûtés. Que
de temps perdu, que j'aurais mieux employé
à jouer ou h ne rien faire !
Et pour les livres qu'on nous donnait !
Tous, trop sérieux, ennuyeux ou imbéciles.
Un seul a laissé quelque trace dans mon
souvenir, les Pensées de Pascal, édition
expurgée (?) et illustrée ! Une vignette repré-
sentait l'homme sous la forme d'un roseau,
avec cette explication : « Mais c'est un roseau
pensant 1
Maurice LEBLANC.
***
Guy Chantepleure est le pseudonyme
- fort connu et apprécié - d'une, des
femmes de lettres les plus sympathiques
et les plus douéesqui soient dans la jeune
génération. Guy Chantepleure est une
jeune: fille, mais c'est loin d'être une dé-
butante, et il y a déjà quelques années
que l'Académie couronna son premier
roman, ainsi qu'elle nous le rappèlle fort
gentiment :
Votre lettre me trouve à la campagne,
assez souffrante et, malheureusement, tout à
fait oisive.
1» Lorsqu'il me sera permis de le faire, je
consacrerai tout mon effort et toutes mes
heures de travail à un roman dont le scénario
est prêt et qui devrait être en oeuvre, depuis
longtemps, pour avoir son tour dans une
revue ou un grand journal, avant de paraî-
tre en librairie. Titre provisoire : Dans la
vie.
2° Mes bonnes notes d'enfant n'ont pas eu
la consécration des brillants volumes gravés
d'or et des couronnes couleur d'espérance.
Ayant pris, d'abord, des leçons particulières
et suivi, plus tard, les classes supérieures
d'un cours où les témoignages de satisfaction
gardaient une forme abstraite, je n'avais en-
core jamais reçu de prix, quand l'Académie
française s'avisa de réparer cette injustice du
sort et de m'en accorder un pour mon livre
de début...
Mon contentement ravi fut bien run peu
celui d'une écolière qu'on récompense...J'étais
très jeune et j'avais assez de bon sens pour
ne pas exagérer, au bénéfice de ma vanité, la
portée de l'encouragement qui m'était donné ;
mais quelle confiance, quelle ardeur, quels
beaux espoirs il éveillait ou renouvelait en
moi!... Les récompenses qui font crédit,
parce qu'on a devant soi tout l'avenir, sont de
toutes, peut-être les plus douces, sinon les
plus glorieuses...
Et mes impressions de lauréat m'ont laissé
le souvenir d'une joie si fraîche et si sincère
que je me sentirais très hypocrite, si je n'étais
pas, aujourd'hui, tout acquise à la cause des
enfants qui veulent avoir des prix et au parti
des hommes qui jugent aimable et sage la
coutume de leur en donner.
Guy CHANTEPLEURE.
*
Pour Mme Jeanne Marni il n'est pas
besoin, je pense, de redire ici l'estime
profonde dans laquelle nous tenons son
remarquable talent, si prenant, si dou-
loureux etsi profond, aussi je me conten-
terai pour une fois de lui faire un re-
proche, celui d'avoir répondu un peu
brièvement aux questions que je lui po-
sais :
Votre lettre me parvient ici, ce qui vous
expliquera et excusera, sans doute, le retard
de ma réponse.
Voici ce que je prépare pour la saison pro-
chaine :
Pierre Tisserand, roman, 2e partie du Li-
vre d'une amoureuse, pour lequel vous vous
êtes montré si bienveillant.
Deux comédies en collaboration, un vo-
lume de dialogues : Théâtre de Madame, les-
quels dialogues paraissent, en ce moment,
dans le Temps.
Enfin, trois actes, les Averties.
C'est tout.
C'est tout! nous dit Mme Marni, - je
ne le vois que trop, et nos lecteurs aussi,
condamnés à ignorer son opinion sur les
lauriers scolaires...
Ph.-Emmanuel Glaser.
(A suivre.)
Quelques conseils
pour vivre vieux w
Comment il faut se vêtir
Signe des temps, la mode, moins ca-
pricieuse, incline à se soumettre aux lois
de l'hygiène. Sans doute ne le fait-elle
pas exprès : qu'importe, si le résultat est
acquis. Les robes de ville ont mainte-
nant des jupes courtes qui découvrent le
pied ; et l'on voit, quel que soit le temps,
des hommes élégants s'en aller par les
rues le bas de leur pantalon retroussé
d'un beau pli. C'est, j'en conviens, un
genre qu'on se donne; mais c'est aussi,
qu'on le veuille expressément ou non,
une bonne manière de ne point ramas-
ser, chemin faisant, ces boues et ces
poussières surchargées de microbes par
la coupable désinvolture des tubercu-
leux que n'ont point convaincus les
exhortations de la Société de préserva-
tion par l'éducation populaire.
Et Voyez le corset. Jadis il ne s'atta-
chait qu'à vous faire, mesdames, une
taille arrondie et aussi mince qu'il pou-
vait. Un mot affreux, mais expressif,
donne idée de son action malfaisante : à
la lettre, « il vous étripait », gênant la res-
piration, et refoulant en bas, d'une pous-
sée impitoyable et continue, de délicats
organes, que la nature n'a pas très soli-
dement suspendus. A présent, il se
préoccupe de ne point tant donner d'ou-
vrage aux médecins des ptôses et aux
gynécologues. Il s'applique à tout main-
tenir dans un équilibre normal. Le cor-
set droit - heureuse invention d'une
femme-médecin, - est la victoire du bon
sens sur l'incohérence des modes. Il
triomphe partout, et l'esthétique n'y
perd rien.
Pour tout le reste, nos vêtements mo-
dernes ne sont point trop déraisonna-
bles; et je ne vois guère à redire qu'à
ceux-là mêmes qui sont en contact per-
manent avec votre épiderme.
Hormis le cas de maladie, je ne crois
[1) Voir lé Figaro des 10, 15, 19, 23 aout, l 4 septembre.,
point qu'il faille se vêtir de flanelles et
de lainages aux molles tiédeurs. Dans sa
Lysistrata, Maurice Donnay nous mont
tre, douillettement vêtu de vêtements en
édredon, Taraxion, le mol époux de
Lampita l'impétueuse. C'est un juste
symbole. Les peuples que M. Roosevelt
nomme les peuples à types flasques sont
cagnards et frileux. Tâchons de n'en pas
être. Un ancien officier du génie danois
- en Danemark, les officiers s'occupent
volontiers d'hygiène, et le colonel Thù-
rebrand est l'inventeur célèbre d'un
mode de massage - le lieutenant en re-
traite J. P.Muller, est l'auteur d'un petit
livre vendu dans l'Europe du Nord à
plus de cent mille exemplaires; il y pré-
conise l'usage habituel des tricots de
chanvre ou de lin à larges mailles, rudes
à l'épiderme pour exciter un peu le fonc-
tionnement de la peau, assez lâches pour
qu'une couche d'air chaud s'interpose
entre eux et la chair. C'est, de beaucoup,
le vêtement intime le plus rationnel, le
plus hygiénique.
Mais ne l'adoptez point d'emblée ni
sans transitions. On ne renonce pas du
jour au lendemain à être frileux. Pour
ne plus redouter le froid, une .accoutu-
mance avec progression est indispensa-
ble. Il faut, en outre, iie pas vivre dans la
perpétuelle inertie musculaire, et faire un
peu plus d'exercices que n'en exige le
seul fait de sauter dans un omnibus pour
gagner son bureau. Il faut, enfin, par des
frictions et des lavages quotidiens, assu-
rer le fonctionnement régulier de notre
gaine cutanée. Nous reviendrons sur ce
sujet.
Dr Maurice de Fleury.
Gazette des Tribunaux
NOUVELLES JUDICIAIRES
On sait que, d'après l'article.443, para-
graphe 2 du Code d'instruction crimi-
nelle, la revision peut être demandée
lorsque « après une condamnation, un
» nouvel arrêt aura condamné, pour le
» même fait, un autre accusé et que les
» deux condamnations ne pouvant se
» concilier, leur contradiction sera la
» preuve de l'innocence de l'un ou de
» l'autre condamné ».
C'est afin d'obtenir cette contrariété
d'arrêts, de nature à provoquer un procès
en revision, que le Parquet de la Cour de
Paris poursuivait hier, devant la Cour
d'assises de la Seine, sous l'accusation
d'homicide volontaire, Mlle Léonie Roch,
blanchisseuse, âgée de vingt-trois ans.
Le 14 août dernier, à la sortie d'un
bal-musette du boulevard de La Villette,
où elle avait eu une discussion avec
quelques amies, Mlle Louise Lallemant
était, proche du refuge de la station du
Métropolitain, frappée de deux coups de
couteau, l'un, sans gravité, au ventre,
l'autre, mortel, au coeur. Quel était
l'auteur de cette agression? Vraisembla-
blement une des filles avec lesquelles
Louise Lallemant avait eu une -discus-
sion.
Le lendemain du crime, Mlle Augus-
tine Fleury se rendait au commissariat
.de police, dù quartier et avouait que
c'était elle qui avait frappé de deux
coups de couteau Louise Lallemant.
Le 28 décembre dernier, devant la Cour
d'assises de la Seine où elle fut poursui-
vie sous l'inculpation de meurtre, Au-
gustine Pleury renouvela ses aveux et
fut condamnée à six ans de travaux
forcés.
Quelques jours après, la condamnée
revenait sur ses aveux et déclarait très
énergiquement n'être pas l'auteur du
crime.
- Si, ajoutait-elle, je me suis recon-
nue coupable, c'est que j'ai voulu éviter
à une de mes amies, Marcelle Lavigne,
qui a trois enfants, de comparaître en
Cour d'assises. Mais je ne croyais pas
qu'on me condamnerait comme on l'a
fait...
Une instruction fut ouverte, instruc-
tion touffue, compliquée, qui finit par
amener l'arrestation de Mlle Léonie
Roch, blanchisseuse.
Celle-ci comparaissait hier devant la
Cour d'assises de la Seine, sous l'accusa-
tion de meurtre sur la personne de
Louise Lallemant, meurtre pour lequel,
comme on sait, le 28 décembre, Augus-
tine Pleury a été condamnée à six ans de
travaux forcés.
A l'audience, Léonie Roch, une petite
femme toute en os, a fait cette déclara-
tion :
- Je reconnais avoir donné un coup de
couteau dons le ventre de Louise Lallemant,
mais j'affirme que ce n'est pas moi qui ai
donné le coup de couteau mortel, c'est-à-dire
le coup de couteau dans le coeur.
Parmi les nombreux témoins entendus
se trouvait Augustine Fleury, actuelle-
ment à la maison centrale de Rennes.
Sur les questions de M. le président
Bertulus, insistant pour obtenir d'Augus-
tine Pleury la raison « vraisemblable »
qui l'a fait se déclarer coupable d'un
crime dont elle n'est pas l'auteur, la pen-
sionnaire de la maison centrale de Ren-
nes a répondu :
. - Le 14 août, étant ivre, je me suis, au
sortir du bal-musette, disputée avec une
femme... Après, on s'est battu... J'ai donné
un coup de couteau à mon adversaire... Je ne
sais pas s'il a porté. Mais, le lendemain, ap-
prenant que Louise Lallemant avait été tuée
d'un coup de couteau, j'ai cru que c'était moi
qui avais commis le crime, et pourtant ce n'é-
tait pas moi.
Lé président. - S'il a porté, votre coup de
couteau ferait partie d'une autre affaire.
Après réquisitoire de M. l'avocat gé-
néral Thomas et plaidoirie de M° Jamier,
la Cour a condamné Léonie Roch à six
ans de réclusion.
Avec cet arrêt, Augustine Pleury va
pouvoir demander la revision de son
procès.
Intérim.
(DE NOS CORRESPONDANTS)
LE MANS. - L'attestation inutile. - Au
mois do mai dernier, M. Cassarini, professeur
départemental d'agriculture, envoyait ses té-
moins à M. Gouin, ingénieur agronome, an-
cien marchand de beurre au Mans, lui de-
mander une explication ou une réparation
par les armes. M. Gouin donna l'explication.
Il la fournit par écrit en ces termes :
Je soussigné, Raoul Gouin, demeurant, 238,
avenue de Pontlieue, au Mans, déclare sur l'hon-
neur - devant MM. Ernest Devèze, avocat à la
Cour d'appel de Paris, et Georges Cassarini, lieu-
tenant d infanterie coloniale, témoins dépêchés
près de moi par M. Louis Cassarini, profes-
seur départemental d'agriculture, pour réclamer
éclaircissement de certains faits douteux dont
la faute m'incombe, ou la réparation par les ar-
mes, - que je n'ai pas eu de relations coupables
avec Mme Louis Cassarini et que je ne me suis
jamais permis do lui adresser de propositions
malhonnêtes.
Je certifie, au contraire, que je lui ai toujours
témoigné le plus grand respect et que sa con-
duite et son attitude sont et demeurent au-des-
sus de tout soupçon.
En foi de quoi j'ai donné la présente décla-
ration à MM. Devèze et Georges Cassarini en
leur qualité de témoins de M. Louis Cassarini
pour être remis à ce dernier en lui présentant
mes regrets et toutes mes excuses.
Fait au Mans, à mon domicile, 1e 30 mai 1905.
Signé : R. GOUIN.
M. Cassarini, quoiqu'il ne se fût pas battu,
se déclara content. Il ne le fut pas longtemps,
car il crut bientôt savoir que l'attestation de
M. Gouin n'était qu'un galant parjure. Il ne
lui renvoya pas ses témoins, mais s'en alla
l'attendre dans la rue et lui tira deux balles
de revolver, sans résultat.
Poursuivi pour tentative d'assassinat, il a
comparu hier devant la Cour d'assises du
Mans, qui l'a acquitté.
M. Gouin s'était porté partie civile.
Constantine. - Aujourd'hui est venue de-
vant le conseilde guerre de Constantine l'af-
faire du tirailleur algérien Habab-Mohamed
ben Ali.
En avril dernier, ce militaire quittait
Soukahras en emportant cinq cents cartou-
ches Lebel, un fusil et une baïonnette ainsi
que la carte de la province de Constantine.
Cinq jours après, Habab sortait de la brousse
où il s'était caché et se rendait à la ferme de
Rouecker, où il tua d'un coup de fusil Mme
Bevaqua. Le surlendemain du crime, le
meurtrier était arrêté par un détachement de
tirailleurs et de gendarmes envoyés à sa
poursuite.
Habab a été condamné à vingt ans de tra-
vaux forcés et à la dégradation militaire. -
VALLET. I .
Les Grèves de Pont-à-Mousson
Pont-à-Monsson, 11 septembre.
M. le général Pillon, adjoint au comman-
dant supérieur de la défense de Verdun, est
arrivé ici pour prendre le commandement des
troupes qui forment aujourd'hui l'effectif
d'une brigade. Deux nouveaux commissaires
de police sont également venus aider M.
Vinner dans sa tâche, savoir : MM. Dupin de
La Fourcade, commissaire dû ministère de
l'intérieur, et Marchetti, commissaire spécial
à la gare de l'Est à Paris.
La-première réunion des délégués à l'arbi-
trage du juge de paix a donné quelques résul-
tats satisfaisants. Cinq questions sur trois
ont été tranchées :
10 Affichage du tarif des prix dans" tous les
chantiers ; . ,
2° Suppression de plusieurs prix et poids
pour les mêmes travaux ;
3° Répartition des prix d'une façon plus
juste, afin de faire disparaître ce qu'on ap-
pelle le mauvais travail ;
4<> Le service de la réception des pièces aux
ébarbages sera fait d'une façon plus cor-
recte ;
5<> Affichage des coulées deux fois par se-
maine.
Les autres questions, notamment la réinté-
gration de l'ouvrier Liébig, congédié dans les
circonstances que le Figaro a précédemment
rapportées, n'ont pas reçu de solution. Les
ouvriers ont encore apporté deux nouvelles
revendications. Les délégués patronaux ont
alors déclaré qu'ils se voyaient dans l'obliga-
tion de les étudier et ont demandé le renvoi
de la prochaine réunion à deux ou trois
jours.
La circulaire adressée par le ministre de la
guerre aux officiers de service à la grève a
produit la plus détestable impression dans
tous les milieux. Elle n'était, d'ailleurs, en
aucune façon, justifiée par les circonstances.
Jamais, en effet, la troupe - officiers et sol-
dats - n'a montré autant qu'à Pont-à-Mous-
son, de longanimité et de muette patience.
Or, la circulaire est tombée, en pleine grève,
comme un pavé dans une mare aux gre-
nouilles.
Les grévistes, que le ministre paraît avoir
voulu flatter, ont immédiatement interprété
la circulaire dans le sens le plus favorable à
leur cause. Us y ont vu un blâme indirect aux
officiers présents à Pont-à-Mousson et surtout
au préfet de Meurthe-et-Moselle, M. Humbert ;
ceci est tout à fait injuste ; les officiers ont fait
stoïquement leur devoir.Quant àM. Humbert,il
déploie à Pont-à-Mousson, comme il l'avait
fait précédemment à Neuves-Maisons et à
Longwy, la plus généreuse activité. Il reste
personnellement sur la brèche, avec un sang-
froid et un courage vraiment louables et l'on
peut dire que, sans sa fermeté et les mesures
qu'il a prises, les incidents les plus graves
auraient éclatés ici. Le préfet Humbert est
journellement insulté avec abondanceet il
a bien mérité des Mussipontains qu'il a effi-
cacement protégés.
Un meeting, où près de cinq cents person-
nes avaient pris place, a démontré que les
grévistes attachaient à la circulaire ministé-
rielle le plus haut prix. L'un des orateurs l'a
vivement et longuement commentéé en insis-
tant sur ce qu'elle constituait un « blâme
énergique » aux officiers présents à la grève
et surtout au préfet Humbert. Là-dessus, la
salle entière a copieusement insulté celui-ci
et, à la sortie, les grévistes criaient : « Cons-
puez le préfet ! » sur l'air des Lampions.
11 a fallu recourir à la cavalerie pour dis-
perser les manifestants qui cherchaient, vers
minuit, à entourer M. Humbert, en uniforme
et ceint de son écharpe, auprès de qui mar-
chaient MM. Venner, Dupin de La Fourcade
et Marchetti.
Les villages avoisinant Pont-à-Mousson
sont gardés par la troupe, en prévision de
troubles possibles.
A Montauville, un plâtrier a été assailli à
coups de pierres et blessé. M. Mangin, de Pa-
gny a, lui aussi, été frappé. M. Pasderoute,
cantonier à Vandières, a été rossé à coups de
bâton. M. Joseph Martz, do Boozville, a été
victime d'une attaque de grévistes et, aussi,
un négociant rentrant de Pierpont, à Nancy,
qu'a dù protéger et accompagner sur la route
un piquet de soldats.
Le lieutenant Lacroix, du 8e dragons, est
tombé de cheval et s'est blessé à la jambe.
Le cheval avait butté contre un tesson de
bouteille jeté'sur la route par les grévistes.
M. Lacroix a été reconduit a Lunéville où lï
est soigné.
J. du Montrut.
AVIS DIVERS
BIBLIOTHÈQUE DE MA FILLE
COLLECTION DE DÉLICIEUX ROMANS
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cils et vos sourcils, la Sève sourcilière de
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donne à vos yeux des regards de feu.
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Feuilleton du FIGARO du 12 Septembre
4
Les Fautes sont personnelles
NOUVELLE
III
Le carillon de l'église continuait, mêlé
à des détonations d'espingoles et de cara-
bines. Troys-la-Tour s'agitait, semblable
à quelque fourmilière piétinée par un
passant. Toutefois les bruits allaient en
se disciplinant peu ù peu. Evidemment,
il allait bientôt se passer quelque chose
de solennel et d'extraordinaire, si l'on
en jugeait par les figures affairées des
gens qui entraient en ville. Camille ex-
prima le désir de voir ce fameux ser-
ment. La question de toilette était réso-
lue d'avance, car les robes claires des
deux Parisiennes et leurs chapeaux de
voyage l'emportaient en luxe sur l'accou-
trement des rares bourgeoises cossues
qu'on eût aperçues jusqu'alors. Les
ombrelles déployées, Estefania fit ses
dernières recommandations :
- Prenez la rue toujours tout droit, en
montant jusqu'à la place Notre-Dame...
Sa Grâce, Monseigneur le Principal va
sortir de la Maison - Rouge, tout en
face de l'église dont vous voyez d'ici
le double clocher... Pour revenir, mes-
dames, on passe devant l'hôtel, à l'angle
de la rue Amour-de-Dieu. La première
rue à droitè, c'est la rue Française; à
gauche est la rue Pobre Pueblo, là rue du
« Pauvre-Monde », comme nous disons.
La maison de M. de Saint-Loup est à
vingt pas de là, rue des Morisques; c'est
la seule qui ait un mirador.
Mme Verdot, étonnée, quelque peu
distraite, ouvrait de grands yeux à cha-
que parole de la vieille servante. Mais
E#productioe et trsdvjction intsrditat
| Camille ne perdait point la tète. Après
un nouveau colloque avec Estefania, elle
se mit résolument en route.
- Verrai-je mon oncle?
- Oui, mademoiselle. Don Fernand
marchera en tête de la maîtrise avec le
Conseil des notables et les corporations
de la république... N'oubliez pas ; la
maison au mirador. Bonté de Bios!
Sur ces derniers mots, là loquace
gouvernante entra dans l'auberge pour
s'occuper du transport des malles et des
cartons.
- Allons, maman, du courage! dit
Camille. Tu n'es pas fatiguée, n'est-ce
pas? D'après ce que j'ai cru comprendre
à travers le verbiage de la vieille, c'est
le fameux prince, le patron de l'oncle
Fernand, qui est en scène... Allons voir.
Ce doit être curieux.
En trois minutes, elles avaient monté
la ruelle et atteint une grande place car-
rée, plantée de deux rangées de sycomo-
res entre lesquels s'apercevait une fon-
taine. Toute la population se tenait là,
attentive et recueillie. Ce point forme le
sommet du plateau où est posé Troys-la-
Tour. De là on domine la ville, la cam-
pagne, la chaîne des Pyrénées françaises
et espagnoles, les premiers contreforts
de r Aragon. Le ciel, clair comme un ciel
de l'Attique, permet aux moindres yeux
de distinguer nettement le mont Perdu,
malgré son grand éloignement, car tout
le côté méridional de la place est privé
de maisons, par suite de la déclivité du
sol.
Dans le bas, à deux ou trois cents
mètres, au milieu d'une agréable prairie,
verte comme l'émeraude, c'est d'abord la
façade blanche du château de Porten-
cohèdre, résidence du premier magistrat
de la république et sa propriété person-
nelle. Derrière sont des bois, des vignes,
des coteaux, des champs bien cultivés,
où coule la Laudette, la plus jolie des
deux rivières qui arrosent la Turrie. A
l'orée du bois, on aperçoit les ruines
d'une tour abandonnée, puissante cons-
truction qui remonte au temps des Mau- ;
res, décapitée depuis longtemps de ses
créneaux et traversée d'une crevasse
comme d'un gigantesque coup de [sabre
par lequel la tour dévide peu à peu, tous
les jours, ses noires entrailles de pierres.
Troys tient d'elle son surnom. Il y a dix
ans, l'ayuntamiento du lieu y logeait la
pompe à incendie. Aujourd'hui elle sert
simplement d'asile à de nombreuses
familles d'orfraies et de chouettes grises.
Viollet Le Duc, qui l'a visitée au cours
d'une de ses missions, la compare au
donjon de Beaugency pour la masse, au
Vésone de Périgueux pour l'élégance et
le style. Derrière la tour maugrabine, un
sentier blanc comme un galon d'argent
va rejoindre, en serpentant à travers des
massifs d'arbousiers, la route de Zaca-
pétéquès où sont les plus riches domai-
nes du prince, et par où l'on pousse jus-
qu'à Langaragga et Torquamadur.
Sur le côté oriental de la place s'élève
Notre-Dame, vaste église du plus pur
gothique, à triple portail comme nos
cathédrales de la grande époque. Deux
hauts clochers, fluets et bien dentelés, la
décorent. Ils sont de l'architecte langue-
docien Pierre Sigallon. La coquette mai-
son blanche, aux toits d'ardoise, qui
longe l'abside sert de palais au curé-
archidiacre. En face se voit le seul hôtel
du pays, le « Grand Hôtel de Turrie », dont
l'unique étage percé de petites fenêtres
répond mal à ce titre pompeux. Le rez-
de-chaussée est occupé par un café où
l'on débite des boissons glacées en été, et
l'hiver des bols de vin chaud à la fran-
çaise. Ce café sert de Bourse aux com-
merçants, surtout le samedi, jour d'arri-
vage en Turrie des chorizos, ou saucisses
de l'Estrémadure, des salaisons de Bis-
caye, de la marée de Santander.
Une étroite ruelle sépare l'hôtel de la
Casa de la Gobernacion, maison où siè-
gent le gouvernement turrian et le corps
de ville de Trôys-la-Tour. C'est une ?
antique masure barbouillée d'un horri-
ble enduit mi-parti des deux couleurs
rouge et crème en train de tourner. Le
peuple ne la désigne pas autrement que
par le nom de « Maison-Rouge ». Sous le
mirador, ou balcon moucharabié déco-
rant l'édifice, se voit sculpté un écusson,
qui s'efface lentement sous la pluie et le
vent. Les hachures horizontales du champ
d'azur, la devise : Turris eburnea, ont à
peu près disparu ; mais la tour d'argent
subsiste, ainsi que les deux levrettes for-
mant supports. Il y a près de la porte de
la Casa un Cadre de bois grillagé où l'on
affiche les ordonnances du pouvoir cen-
tral.
Pour la fontaine publique de Troys,
elle a de quoi faire rêver un philosophe.
C'est un carré maçonné portant un mo-
nolithe de dix pieds de haut et coiffé
d'une espèce d'édicule, où sont accou-
plés les bustes - de piètre bustes - de
ces deux implacables adversaires, Fran-
çois Ier et Charles-Quint. On dirait deux
gros marrons sculptés par un apprenti
folâtre. A mi-hauteur de la pyramide,
cette date : 1529 se répète sur chacun des
quatre côtés. Ici se remarque une parti-
cularité assez étrange. Le monarque
espagnol a la face orientée au nord,
c'est-à-dire dans la direction de Paris,
tandis que le vainqueur de Marignan re-
garde du côté de Madrid. Y a-t-on mis
quelque malice? Les uns affirment, les
autres nient. C'est probablement une
distraction de l'architecte, Camilo Cottar
y Vega, dont on lit le nom gravé autour
d'une gargouille. La distraction est para-
fée, la gent architecte étant, de toutes les
espèces artistes, celle qui tient le plus à
la gloire.
Brusquement la cloche de Notre-
Dame cessa de sonner.
Environ deux mille individus de tout
âge et de tout sexe entouraient un large
espace libre autour de la fontaine. Grâce
à l'ôbligeance dequelques bourgeois, Mme
Verdot et sa fille purent parvenir, non
sans difficulté, au premier rang de la
foule. De là elles jetèrent de curieux re-
gards sur les spectateurs. Tout ce popu-
laire présentait à l'oeil un pittoresque
amalgame de costumes aux tons écla-
tants, de figures basanées, tannées
comme le cuir cordouan ou pâles comme
un reflet de lune. Les femmes du peu-
ple étaient pour la plupart tête nue,
en jupes bleues rayées de rouge; les jeu-
nes filles portaient de longues nattes
brunes oui leur tombaient dans le dos,
selon la mode navarraise. D'humbles
paysannes, belles comme des madones,
aux larges yeux noirs, rappelaient les
beaux types espagnols peints par Goya,
Fortuny et Regnault. Parfois une cheve-
lure rousse flamboyait violemment au
milieu des têtes brunes, et l'on surpre-
nait encore un notable de Troys en cor-
recte redingote noire et chapeau haut de
forme tout à côté d'un groupe de bergers
venus de Langaragga, - des tètes de
gitanos, des faces cuites à coup de soleil.
Beaucoup d'hommes portaient le long
bonnet catalan retombant sur l'épaule.
Les bérets blancs et'bruns, plus rares,
dénotaient les citadins. Dans un coin, un
touriste anglais, ahuri, affolé par toute
cette expansion gréco-latine, donnait le
bras à sa fille et se tuait à lui demander
des explications :
- Ada, comprenez-vous la bizarrerie
de ces gens? Une solennité à cinq heu-
res du soir! Improper! Souvenez-vous
qu'à Manchester, à l'occasion du prince
de Galles...
- Pardon, mon père ; le maître d'hô-
tel dit que cela est tout naturel.
L'hôtelier, qui se trouvait près d'eux,
les entendit.
- Songez, milord, dit-il à l'insulaire,
songez que c'est un vieil usage... Sept
jours francs après le scrutin...Or, comme
Sa Grâce le Principal a été réélu diman-
che dernier à cinq heures...
Cependant, pour maintenir la foule,
les cinq gardes forestiers des cinq
« plants » de . Turrie, seule force armée
permanente de la petite république, vin-
rent former un cordon, de l'église à la
Maison-Rouge. Ils étaient vêtus de vert,
béret compris, guêtrés de noir, et por-
taient le gros briquet à dragonne de
laine et la carabine du premier Empire.
Leur chef, le garde-mayor, reconnaissa-
ble à deux cors de chasse d'argent cou-
sus sur la poitrine, leur fit mettre l'arme
au pied. Par la rue voisine débouchaient
maintenant un choeur de petites filles en
blanc et écharpe bleue, gentilles à cro-
quer avec leur chevelure nattée et la rose
fraîche à la main, puis la maîtrise de
Notre-Dame, les dames du catéchisme
de persévérance, . les cinq députations
populaires de Troys, Valence, Langa-
ragga, Zacapétéquès et Torquamadur,-
chacune avec sa bannière triangulaire,
sur laquelle le nom du « plant » est
brodé en soie. Tout ce petit pays étale
aux yeux un grand catholicisme. Il vint
encore un groupe de chevriers turrians,
la peau de bique sur l'épaule, les ou-
vriers de la tannerie de Troys et une
vingtaine de gens en livrée verte, la
domesticité du château. Les cinq tam-
bours de ville se tenaient à droite de la
Gobernacion, la gauche étant occupée
par les fifres et les hautbois.
Quand chacun fut à sa place, un vigou-
reux montagnard sortit de la foule,
ouvrit à deux battants la porte de la
Maison-Rouge et disparut sous la voûte.
Il revint la seconde d'après, une lance à
feu dans la main. On le vit qui traversait
rapidement la place pour disparaître à
l'angle de Notre-Dame.
Le portail central de l'église s'ouvrit
lentement et l'on entendit retentir sur
les dalles le bruit d'une hallebarde. Le
suisse, Joséphin Lanchusque, une ma-
nière de géant recruté sur le pavé de-
Toulouse, montra gravement à la foule
sa barbe d'un roux fauve; puis, ayant par
trois fois salué la façade du palais des
pouvoirs publics, il descendit les six
marches du porche avec une majesté
concentrée. Derrière lui l'archidiacre
parut en grand habillement sacerdotal,
entouré de son vicaire et de ses quatre
succursalistes. Presque aussitôt reten-
tirent deux formidables détonations, et
la foule battit des mains... La poudre
ayant parlé, la cérémonie officielle com-
mençait. Tout ce bruit provenait de deux
humbles mortiers de bronze nommés
« crapauds », le fleuron d'un lot de vieux
matériel Gribeauval acheté à la France
sous Louis-Philippe. Un immense cri de
Vive la liberté! déchira l'air : le prince
don Maxence La Tapie de Portencohèdre
venait d'apparaître au seuil de la Mai-
son-Rouge.
(A suivre.) Tancrède Martel.
UK FIGARO - MARDI 12 SEPTEMBRE 1905
partisan convaincu des beaux livres do-
rés qu'on donne en récompense aux'
-élèves qui furent travailleurs ou heu-
! reux, et il nous donne à l'appui de son
opinion des arguments d'une sérieuse et
sobre philosophie. Je n'en attendais pas
moins du poète inspiré, si largement et
si noblement humain de l'Or des mi-
nutes :
Mes projets littéraires pour la prochaine
saison ?
Puisqu'il vous plaît de le savoir, je publie-
rai des poèmes nouveaux dans plusieurs re-
vues, et il est possible que je songe à une
pièce de théâtre. :
Le Concours général '? Je ne comprends pas
pourquoi on l'a supprimé. C'était une vieille
institution, un peu hasardeuse sans doute,
mais jolie et populaire, - et en tous cas inof-
fensive.
Si j'ai'eu des prix au lycée et au Concours
général ? Hélas ! que me demandez-vous là ?
Aujourd'hui, aux yeux de nos naïfs « révol-
tés », survivants du mauvais romantisme et
qui en sont restés à l'antique Désordre et Gé-
nie, de Dumas père, avoir été un cancre sur
les bancs de la classe est une condition né-
cessaire pour être quelqu'un dans la vie. Il
m'est donc très pénible d'avouer en public que
j'ai eu des prix au lycée, et même, au « grand
Concours » en rhétorique, un premier prix de
discours français. Circonstance atténuante, le
sujet m'avait favorisé : il fallait « dévelop-
per » cette pensée de Bersot : « La poésie ne
défigure pas, elle transfigure. » - Ce dont j'é-
tais déjà bien persuadé.
La suppression des distributions de prix?
- Là, non plus, je ne comprends pas. Si
j'en juge par mes souvenirs, les lycéens y pre-
naient du plaisir, quoi qu'on en dise. Au lycée
Michelet, pour les mélancoliques internes que
nous étions,la distribution des prix était, avec
la Saint-Charlemagne et la première commu-
nion, une des trois cérémonies de l'année,
une fête joyouse et pompeuse, une grande
liesse et la meilleure d'être la dernière. Au
? lycée Condorcet, où les externes sont déjà
plus blasés sur les joies de ce monde, n'y ve-
naient guère que ceux qui avaient chance
d'être nommés ;.les élèves moins heureux s'é-
taient déjà dispersés dans les villégiatures
où ils se reposaient sur les lauriers des au-
tres ; et ainsi tous étaient contents.
La Solution qui consisterait à remplacer
'les livres de prix par des prix en espèces
n'est vraiment pas assez idéaliste. On ne peut
récompenser un enfant qui traduit vingt vers
de Pindare sans contresens, comme un cy-
cliste qui, avec ses jambes et sur une bonne
machine, bat le record de l'heure. Il faut tout
de même que le prix attribué fasse sentir que
cela est d'un autre ordre que ceci. Et les
vieux bouquins dorés sur tranche avaient l'a-
vantage de récompenser, si je puis dire, l'es-
prit par l'esprit.
Sans compter que certains étaient les très
bienvenus pour nos adolescences avides de
lecture, mais à qui nos « économies » per-
mettaient rarement d'acheter des livres : c'est
dans un volume de prix qu'en troisième j'ai
lu pour la première fois les Harmonies poé-
tiques. Et d'ailleurs, c'est encore dans mon
exemplaire du Concours général avec les no-
tes de Marty-Laveaux, que je relis le plus
fréquemment Racine, l'un dés plus grands
poètes du monde, où beaucoup d'entre nous
pourraient encore prendre utilement la noble
maladie de la perfection.
Voilà, je crois, votre questionnaire épuisé,
mon cher confrère, et mon devoir de vacan-
ces terminé.
: Fernand GREGH.
' ***
M. le comte Robert de Montesquiou,
dont les Professionnelles Beautés eurent
la saison dernière tant de retentisse-
ment, et dont je n'ai pu dire assez, à bette
place, tout le piquant intérêt - qu'au-
rais-je pu dire après la page vibrante
qu'elles inspirèrent à M. Henry Bataille?
- professe à l'égard des prix une olym-
pienne indifférence, et il ne faut pas
compter sur le poète des Odeurs suaves
et des Chauves-Souris pour les attaquer
ni pour les défendre...
Quelques lignes de réponse à vos questions
obligeantes.
Je me souviens d'avoir lu, dans une ré-
plique de Barrés à des demandes du même
genre, quelque chose d'équivalent à ceci :
« Un auteur a toujours dix volumes en train. »
-"Il ne s'ensuit pas que le meilleur ne soit
pas le onzième. Qu'importe ? Les autres lui
peuvent céder le pas.
Rien n'est fait aujourd'hui, tout sera fait demain.
En ce qui me concerne, j'achève les « Recueils
d'Essais» qui font suite à ceux-ci, déjà publiés :
Roseaux pensants, Autels privilégiés, Profes-
sionnelles Beautés. - Puissent ceux qui vont
suivre retrouver le petit nombre de lecteurs
choisis, dont l'attention est une faveur !
Flots d'amis renaissants, puissent mes destinées
Vous amener à moi, de dix en dix années,
attentifs à mon oeuvre... et, pour moi, c'est assez !
Ce n'est rien annoncer de bien nouveau,
que de reparler d'un mien travail sur Mme de
Castiglione, duquel plusieurs veulent bien
avoir souci.
Puisse-t-il ne s'inspirer ni de Quiquen-
grogne, ni des Polichinelles,- deux chefs-
d'oeuvre qui s'obstinèrent à demeurer in-
connus.
Des vers, aussi, probablement; encore un
peu; plus beaucoup. - L'heure ne s'appro-
che-t-elle pas plutôt, pour moi, de jeter un
regard, sinon sévère, du moins sérieux, sur
ceux de mes poèmes anciens, qui réclament
encore,
Avant de descendre au cercueil,
Un peu de rouge à la pommette,
Un peu de noir au bord de l'oeil"?
Et ce me fut une joie récente, de me ren-
contrer, sur ce point, avec Henry Bataille,
dans l'intéressant article qu'il a bien voulu
me consacrer, ici même, à propos de mon
dernier ouvrage, lorsqu'il écrivit : Il est à
souhaiter que l'Auteur fasse, un jour, une édi-
tion de ses oeuvres complètes, épurées, débar-
rassées des scories et des fantaisies de jeu-
nesse : - elle sera déjà considérable et passa-
blement diaprée.
Puis, plus tard, des souvenirs, des por-
traits.
Mais tout cela doit, pour le moment, s'ef-
facer devant le livre que je veux consacrer à
l'éloge d'un Ami défunt.
Celui-là, j'appelle sur lui les grâces des
Moires, le deuil des mémoires et le parfum
de Thanastô !
Quant aux distributions de prix, ce ne serait
non plus rien vous eh dire de bien neuf, cons-
tater avec, et après bien d'autres, que leurs
lauriers de papier vert peuvent se poser sur
des têtes prédestinées, non moins que sur des
caboches sans avenir. - Tout comme les
verdoyantes palmes des habits académiques
se peuvent broder sur des cols de cygnes; et,
aussi, sur d'autres, moins précieux, moins
gracieux.
Comte Robert de MONTESQUIOU.
***
M. Maurice Leblanc, le très alerte et
très moderne écrivain qui maria na-
guère les sports et la littérature dans son
curieux recueil de nouvelles, Gueule
rouge, 80 chevaux, est bien dur pour les
prix que lui décernèrent sans lésiner ses
professeurs, - il en a 88 dans sa carrière
d'écolier! - Sans doute ils furent trop,
et c'est pourquoi M. Maurice Leblanc les
méprise à ce point...
lo A la rentrée, une pièce en trois actes
chez Antoine, la Pitié, déjà répétée, mais que
les destins du théâtre ont retardée à la saison
prochaine.
Dans le courant de l'hiver, un roman au-
quel je travaille depuis trois ans. Puis un
.livre de contes, les Lèvres jointes, seconde
série.
En outre, deux pièces à peu près achevées
- quelle bonne nouvelle pour les directeurs !
2° Je crois que les prix et les récompenses
n'ont jamais stimulé aucun collégien, pas
plus que les punitions, d'ailleurs. Le seul
travail utile est celui qu'on accomplit pour le
seul plaisir de travailler.
Quant aux 88 prix que j'ai obtenus en pen-
sion et au lycée, je n'y pense jamais que pour
regretter les efforts qu'ils m'ont coûtés. Que
de temps perdu, que j'aurais mieux employé
à jouer ou h ne rien faire !
Et pour les livres qu'on nous donnait !
Tous, trop sérieux, ennuyeux ou imbéciles.
Un seul a laissé quelque trace dans mon
souvenir, les Pensées de Pascal, édition
expurgée (?) et illustrée ! Une vignette repré-
sentait l'homme sous la forme d'un roseau,
avec cette explication : « Mais c'est un roseau
pensant 1
Maurice LEBLANC.
***
Guy Chantepleure est le pseudonyme
- fort connu et apprécié - d'une, des
femmes de lettres les plus sympathiques
et les plus douéesqui soient dans la jeune
génération. Guy Chantepleure est une
jeune: fille, mais c'est loin d'être une dé-
butante, et il y a déjà quelques années
que l'Académie couronna son premier
roman, ainsi qu'elle nous le rappèlle fort
gentiment :
Votre lettre me trouve à la campagne,
assez souffrante et, malheureusement, tout à
fait oisive.
1» Lorsqu'il me sera permis de le faire, je
consacrerai tout mon effort et toutes mes
heures de travail à un roman dont le scénario
est prêt et qui devrait être en oeuvre, depuis
longtemps, pour avoir son tour dans une
revue ou un grand journal, avant de paraî-
tre en librairie. Titre provisoire : Dans la
vie.
2° Mes bonnes notes d'enfant n'ont pas eu
la consécration des brillants volumes gravés
d'or et des couronnes couleur d'espérance.
Ayant pris, d'abord, des leçons particulières
et suivi, plus tard, les classes supérieures
d'un cours où les témoignages de satisfaction
gardaient une forme abstraite, je n'avais en-
core jamais reçu de prix, quand l'Académie
française s'avisa de réparer cette injustice du
sort et de m'en accorder un pour mon livre
de début...
Mon contentement ravi fut bien run peu
celui d'une écolière qu'on récompense...J'étais
très jeune et j'avais assez de bon sens pour
ne pas exagérer, au bénéfice de ma vanité, la
portée de l'encouragement qui m'était donné ;
mais quelle confiance, quelle ardeur, quels
beaux espoirs il éveillait ou renouvelait en
moi!... Les récompenses qui font crédit,
parce qu'on a devant soi tout l'avenir, sont de
toutes, peut-être les plus douces, sinon les
plus glorieuses...
Et mes impressions de lauréat m'ont laissé
le souvenir d'une joie si fraîche et si sincère
que je me sentirais très hypocrite, si je n'étais
pas, aujourd'hui, tout acquise à la cause des
enfants qui veulent avoir des prix et au parti
des hommes qui jugent aimable et sage la
coutume de leur en donner.
Guy CHANTEPLEURE.
*
Pour Mme Jeanne Marni il n'est pas
besoin, je pense, de redire ici l'estime
profonde dans laquelle nous tenons son
remarquable talent, si prenant, si dou-
loureux etsi profond, aussi je me conten-
terai pour une fois de lui faire un re-
proche, celui d'avoir répondu un peu
brièvement aux questions que je lui po-
sais :
Votre lettre me parvient ici, ce qui vous
expliquera et excusera, sans doute, le retard
de ma réponse.
Voici ce que je prépare pour la saison pro-
chaine :
Pierre Tisserand, roman, 2e partie du Li-
vre d'une amoureuse, pour lequel vous vous
êtes montré si bienveillant.
Deux comédies en collaboration, un vo-
lume de dialogues : Théâtre de Madame, les-
quels dialogues paraissent, en ce moment,
dans le Temps.
Enfin, trois actes, les Averties.
C'est tout.
C'est tout! nous dit Mme Marni, - je
ne le vois que trop, et nos lecteurs aussi,
condamnés à ignorer son opinion sur les
lauriers scolaires...
Ph.-Emmanuel Glaser.
(A suivre.)
Quelques conseils
pour vivre vieux w
Comment il faut se vêtir
Signe des temps, la mode, moins ca-
pricieuse, incline à se soumettre aux lois
de l'hygiène. Sans doute ne le fait-elle
pas exprès : qu'importe, si le résultat est
acquis. Les robes de ville ont mainte-
nant des jupes courtes qui découvrent le
pied ; et l'on voit, quel que soit le temps,
des hommes élégants s'en aller par les
rues le bas de leur pantalon retroussé
d'un beau pli. C'est, j'en conviens, un
genre qu'on se donne; mais c'est aussi,
qu'on le veuille expressément ou non,
une bonne manière de ne point ramas-
ser, chemin faisant, ces boues et ces
poussières surchargées de microbes par
la coupable désinvolture des tubercu-
leux que n'ont point convaincus les
exhortations de la Société de préserva-
tion par l'éducation populaire.
Et Voyez le corset. Jadis il ne s'atta-
chait qu'à vous faire, mesdames, une
taille arrondie et aussi mince qu'il pou-
vait. Un mot affreux, mais expressif,
donne idée de son action malfaisante : à
la lettre, « il vous étripait », gênant la res-
piration, et refoulant en bas, d'une pous-
sée impitoyable et continue, de délicats
organes, que la nature n'a pas très soli-
dement suspendus. A présent, il se
préoccupe de ne point tant donner d'ou-
vrage aux médecins des ptôses et aux
gynécologues. Il s'applique à tout main-
tenir dans un équilibre normal. Le cor-
set droit - heureuse invention d'une
femme-médecin, - est la victoire du bon
sens sur l'incohérence des modes. Il
triomphe partout, et l'esthétique n'y
perd rien.
Pour tout le reste, nos vêtements mo-
dernes ne sont point trop déraisonna-
bles; et je ne vois guère à redire qu'à
ceux-là mêmes qui sont en contact per-
manent avec votre épiderme.
Hormis le cas de maladie, je ne crois
[1) Voir lé Figaro des 10, 15, 19, 23 aout, l
point qu'il faille se vêtir de flanelles et
de lainages aux molles tiédeurs. Dans sa
Lysistrata, Maurice Donnay nous mont
tre, douillettement vêtu de vêtements en
édredon, Taraxion, le mol époux de
Lampita l'impétueuse. C'est un juste
symbole. Les peuples que M. Roosevelt
nomme les peuples à types flasques sont
cagnards et frileux. Tâchons de n'en pas
être. Un ancien officier du génie danois
- en Danemark, les officiers s'occupent
volontiers d'hygiène, et le colonel Thù-
rebrand est l'inventeur célèbre d'un
mode de massage - le lieutenant en re-
traite J. P.Muller, est l'auteur d'un petit
livre vendu dans l'Europe du Nord à
plus de cent mille exemplaires; il y pré-
conise l'usage habituel des tricots de
chanvre ou de lin à larges mailles, rudes
à l'épiderme pour exciter un peu le fonc-
tionnement de la peau, assez lâches pour
qu'une couche d'air chaud s'interpose
entre eux et la chair. C'est, de beaucoup,
le vêtement intime le plus rationnel, le
plus hygiénique.
Mais ne l'adoptez point d'emblée ni
sans transitions. On ne renonce pas du
jour au lendemain à être frileux. Pour
ne plus redouter le froid, une .accoutu-
mance avec progression est indispensa-
ble. Il faut, en outre, iie pas vivre dans la
perpétuelle inertie musculaire, et faire un
peu plus d'exercices que n'en exige le
seul fait de sauter dans un omnibus pour
gagner son bureau. Il faut, enfin, par des
frictions et des lavages quotidiens, assu-
rer le fonctionnement régulier de notre
gaine cutanée. Nous reviendrons sur ce
sujet.
Dr Maurice de Fleury.
Gazette des Tribunaux
NOUVELLES JUDICIAIRES
On sait que, d'après l'article.443, para-
graphe 2 du Code d'instruction crimi-
nelle, la revision peut être demandée
lorsque « après une condamnation, un
» nouvel arrêt aura condamné, pour le
» même fait, un autre accusé et que les
» deux condamnations ne pouvant se
» concilier, leur contradiction sera la
» preuve de l'innocence de l'un ou de
» l'autre condamné ».
C'est afin d'obtenir cette contrariété
d'arrêts, de nature à provoquer un procès
en revision, que le Parquet de la Cour de
Paris poursuivait hier, devant la Cour
d'assises de la Seine, sous l'accusation
d'homicide volontaire, Mlle Léonie Roch,
blanchisseuse, âgée de vingt-trois ans.
Le 14 août dernier, à la sortie d'un
bal-musette du boulevard de La Villette,
où elle avait eu une discussion avec
quelques amies, Mlle Louise Lallemant
était, proche du refuge de la station du
Métropolitain, frappée de deux coups de
couteau, l'un, sans gravité, au ventre,
l'autre, mortel, au coeur. Quel était
l'auteur de cette agression? Vraisembla-
blement une des filles avec lesquelles
Louise Lallemant avait eu une -discus-
sion.
Le lendemain du crime, Mlle Augus-
tine Fleury se rendait au commissariat
.de police, dù quartier et avouait que
c'était elle qui avait frappé de deux
coups de couteau Louise Lallemant.
Le 28 décembre dernier, devant la Cour
d'assises de la Seine où elle fut poursui-
vie sous l'inculpation de meurtre, Au-
gustine Pleury renouvela ses aveux et
fut condamnée à six ans de travaux
forcés.
Quelques jours après, la condamnée
revenait sur ses aveux et déclarait très
énergiquement n'être pas l'auteur du
crime.
- Si, ajoutait-elle, je me suis recon-
nue coupable, c'est que j'ai voulu éviter
à une de mes amies, Marcelle Lavigne,
qui a trois enfants, de comparaître en
Cour d'assises. Mais je ne croyais pas
qu'on me condamnerait comme on l'a
fait...
Une instruction fut ouverte, instruc-
tion touffue, compliquée, qui finit par
amener l'arrestation de Mlle Léonie
Roch, blanchisseuse.
Celle-ci comparaissait hier devant la
Cour d'assises de la Seine, sous l'accusa-
tion de meurtre sur la personne de
Louise Lallemant, meurtre pour lequel,
comme on sait, le 28 décembre, Augus-
tine Pleury a été condamnée à six ans de
travaux forcés.
A l'audience, Léonie Roch, une petite
femme toute en os, a fait cette déclara-
tion :
- Je reconnais avoir donné un coup de
couteau dons le ventre de Louise Lallemant,
mais j'affirme que ce n'est pas moi qui ai
donné le coup de couteau mortel, c'est-à-dire
le coup de couteau dans le coeur.
Parmi les nombreux témoins entendus
se trouvait Augustine Fleury, actuelle-
ment à la maison centrale de Rennes.
Sur les questions de M. le président
Bertulus, insistant pour obtenir d'Augus-
tine Pleury la raison « vraisemblable »
qui l'a fait se déclarer coupable d'un
crime dont elle n'est pas l'auteur, la pen-
sionnaire de la maison centrale de Ren-
nes a répondu :
. - Le 14 août, étant ivre, je me suis, au
sortir du bal-musette, disputée avec une
femme... Après, on s'est battu... J'ai donné
un coup de couteau à mon adversaire... Je ne
sais pas s'il a porté. Mais, le lendemain, ap-
prenant que Louise Lallemant avait été tuée
d'un coup de couteau, j'ai cru que c'était moi
qui avais commis le crime, et pourtant ce n'é-
tait pas moi.
Lé président. - S'il a porté, votre coup de
couteau ferait partie d'une autre affaire.
Après réquisitoire de M. l'avocat gé-
néral Thomas et plaidoirie de M° Jamier,
la Cour a condamné Léonie Roch à six
ans de réclusion.
Avec cet arrêt, Augustine Pleury va
pouvoir demander la revision de son
procès.
Intérim.
(DE NOS CORRESPONDANTS)
LE MANS. - L'attestation inutile. - Au
mois do mai dernier, M. Cassarini, professeur
départemental d'agriculture, envoyait ses té-
moins à M. Gouin, ingénieur agronome, an-
cien marchand de beurre au Mans, lui de-
mander une explication ou une réparation
par les armes. M. Gouin donna l'explication.
Il la fournit par écrit en ces termes :
Je soussigné, Raoul Gouin, demeurant, 238,
avenue de Pontlieue, au Mans, déclare sur l'hon-
neur - devant MM. Ernest Devèze, avocat à la
Cour d'appel de Paris, et Georges Cassarini, lieu-
tenant d infanterie coloniale, témoins dépêchés
près de moi par M. Louis Cassarini, profes-
seur départemental d'agriculture, pour réclamer
éclaircissement de certains faits douteux dont
la faute m'incombe, ou la réparation par les ar-
mes, - que je n'ai pas eu de relations coupables
avec Mme Louis Cassarini et que je ne me suis
jamais permis do lui adresser de propositions
malhonnêtes.
Je certifie, au contraire, que je lui ai toujours
témoigné le plus grand respect et que sa con-
duite et son attitude sont et demeurent au-des-
sus de tout soupçon.
En foi de quoi j'ai donné la présente décla-
ration à MM. Devèze et Georges Cassarini en
leur qualité de témoins de M. Louis Cassarini
pour être remis à ce dernier en lui présentant
mes regrets et toutes mes excuses.
Fait au Mans, à mon domicile, 1e 30 mai 1905.
Signé : R. GOUIN.
M. Cassarini, quoiqu'il ne se fût pas battu,
se déclara content. Il ne le fut pas longtemps,
car il crut bientôt savoir que l'attestation de
M. Gouin n'était qu'un galant parjure. Il ne
lui renvoya pas ses témoins, mais s'en alla
l'attendre dans la rue et lui tira deux balles
de revolver, sans résultat.
Poursuivi pour tentative d'assassinat, il a
comparu hier devant la Cour d'assises du
Mans, qui l'a acquitté.
M. Gouin s'était porté partie civile.
Constantine. - Aujourd'hui est venue de-
vant le conseilde guerre de Constantine l'af-
faire du tirailleur algérien Habab-Mohamed
ben Ali.
En avril dernier, ce militaire quittait
Soukahras en emportant cinq cents cartou-
ches Lebel, un fusil et une baïonnette ainsi
que la carte de la province de Constantine.
Cinq jours après, Habab sortait de la brousse
où il s'était caché et se rendait à la ferme de
Rouecker, où il tua d'un coup de fusil Mme
Bevaqua. Le surlendemain du crime, le
meurtrier était arrêté par un détachement de
tirailleurs et de gendarmes envoyés à sa
poursuite.
Habab a été condamné à vingt ans de tra-
vaux forcés et à la dégradation militaire. -
VALLET. I .
Les Grèves de Pont-à-Mousson
Pont-à-Monsson, 11 septembre.
M. le général Pillon, adjoint au comman-
dant supérieur de la défense de Verdun, est
arrivé ici pour prendre le commandement des
troupes qui forment aujourd'hui l'effectif
d'une brigade. Deux nouveaux commissaires
de police sont également venus aider M.
Vinner dans sa tâche, savoir : MM. Dupin de
La Fourcade, commissaire dû ministère de
l'intérieur, et Marchetti, commissaire spécial
à la gare de l'Est à Paris.
La-première réunion des délégués à l'arbi-
trage du juge de paix a donné quelques résul-
tats satisfaisants. Cinq questions sur trois
ont été tranchées :
10 Affichage du tarif des prix dans" tous les
chantiers ; . ,
2° Suppression de plusieurs prix et poids
pour les mêmes travaux ;
3° Répartition des prix d'une façon plus
juste, afin de faire disparaître ce qu'on ap-
pelle le mauvais travail ;
4<> Le service de la réception des pièces aux
ébarbages sera fait d'une façon plus cor-
recte ;
5<> Affichage des coulées deux fois par se-
maine.
Les autres questions, notamment la réinté-
gration de l'ouvrier Liébig, congédié dans les
circonstances que le Figaro a précédemment
rapportées, n'ont pas reçu de solution. Les
ouvriers ont encore apporté deux nouvelles
revendications. Les délégués patronaux ont
alors déclaré qu'ils se voyaient dans l'obliga-
tion de les étudier et ont demandé le renvoi
de la prochaine réunion à deux ou trois
jours.
La circulaire adressée par le ministre de la
guerre aux officiers de service à la grève a
produit la plus détestable impression dans
tous les milieux. Elle n'était, d'ailleurs, en
aucune façon, justifiée par les circonstances.
Jamais, en effet, la troupe - officiers et sol-
dats - n'a montré autant qu'à Pont-à-Mous-
son, de longanimité et de muette patience.
Or, la circulaire est tombée, en pleine grève,
comme un pavé dans une mare aux gre-
nouilles.
Les grévistes, que le ministre paraît avoir
voulu flatter, ont immédiatement interprété
la circulaire dans le sens le plus favorable à
leur cause. Us y ont vu un blâme indirect aux
officiers présents à Pont-à-Mousson et surtout
au préfet de Meurthe-et-Moselle, M. Humbert ;
ceci est tout à fait injuste ; les officiers ont fait
stoïquement leur devoir.Quant àM. Humbert,il
déploie à Pont-à-Mousson, comme il l'avait
fait précédemment à Neuves-Maisons et à
Longwy, la plus généreuse activité. Il reste
personnellement sur la brèche, avec un sang-
froid et un courage vraiment louables et l'on
peut dire que, sans sa fermeté et les mesures
qu'il a prises, les incidents les plus graves
auraient éclatés ici. Le préfet Humbert est
journellement insulté avec abondanceet il
a bien mérité des Mussipontains qu'il a effi-
cacement protégés.
Un meeting, où près de cinq cents person-
nes avaient pris place, a démontré que les
grévistes attachaient à la circulaire ministé-
rielle le plus haut prix. L'un des orateurs l'a
vivement et longuement commentéé en insis-
tant sur ce qu'elle constituait un « blâme
énergique » aux officiers présents à la grève
et surtout au préfet Humbert. Là-dessus, la
salle entière a copieusement insulté celui-ci
et, à la sortie, les grévistes criaient : « Cons-
puez le préfet ! » sur l'air des Lampions.
11 a fallu recourir à la cavalerie pour dis-
perser les manifestants qui cherchaient, vers
minuit, à entourer M. Humbert, en uniforme
et ceint de son écharpe, auprès de qui mar-
chaient MM. Venner, Dupin de La Fourcade
et Marchetti.
Les villages avoisinant Pont-à-Mousson
sont gardés par la troupe, en prévision de
troubles possibles.
A Montauville, un plâtrier a été assailli à
coups de pierres et blessé. M. Mangin, de Pa-
gny a, lui aussi, été frappé. M. Pasderoute,
cantonier à Vandières, a été rossé à coups de
bâton. M. Joseph Martz, do Boozville, a été
victime d'une attaque de grévistes et, aussi,
un négociant rentrant de Pierpont, à Nancy,
qu'a dù protéger et accompagner sur la route
un piquet de soldats.
Le lieutenant Lacroix, du 8e dragons, est
tombé de cheval et s'est blessé à la jambe.
Le cheval avait butté contre un tesson de
bouteille jeté'sur la route par les grévistes.
M. Lacroix a été reconduit a Lunéville où lï
est soigné.
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Feuilleton du FIGARO du 12 Septembre
4
Les Fautes sont personnelles
NOUVELLE
III
Le carillon de l'église continuait, mêlé
à des détonations d'espingoles et de cara-
bines. Troys-la-Tour s'agitait, semblable
à quelque fourmilière piétinée par un
passant. Toutefois les bruits allaient en
se disciplinant peu ù peu. Evidemment,
il allait bientôt se passer quelque chose
de solennel et d'extraordinaire, si l'on
en jugeait par les figures affairées des
gens qui entraient en ville. Camille ex-
prima le désir de voir ce fameux ser-
ment. La question de toilette était réso-
lue d'avance, car les robes claires des
deux Parisiennes et leurs chapeaux de
voyage l'emportaient en luxe sur l'accou-
trement des rares bourgeoises cossues
qu'on eût aperçues jusqu'alors. Les
ombrelles déployées, Estefania fit ses
dernières recommandations :
- Prenez la rue toujours tout droit, en
montant jusqu'à la place Notre-Dame...
Sa Grâce, Monseigneur le Principal va
sortir de la Maison - Rouge, tout en
face de l'église dont vous voyez d'ici
le double clocher... Pour revenir, mes-
dames, on passe devant l'hôtel, à l'angle
de la rue Amour-de-Dieu. La première
rue à droitè, c'est la rue Française; à
gauche est la rue Pobre Pueblo, là rue du
« Pauvre-Monde », comme nous disons.
La maison de M. de Saint-Loup est à
vingt pas de là, rue des Morisques; c'est
la seule qui ait un mirador.
Mme Verdot, étonnée, quelque peu
distraite, ouvrait de grands yeux à cha-
que parole de la vieille servante. Mais
E#productioe et trsdvjction intsrditat
| Camille ne perdait point la tète. Après
un nouveau colloque avec Estefania, elle
se mit résolument en route.
- Verrai-je mon oncle?
- Oui, mademoiselle. Don Fernand
marchera en tête de la maîtrise avec le
Conseil des notables et les corporations
de la république... N'oubliez pas ; la
maison au mirador. Bonté de Bios!
Sur ces derniers mots, là loquace
gouvernante entra dans l'auberge pour
s'occuper du transport des malles et des
cartons.
- Allons, maman, du courage! dit
Camille. Tu n'es pas fatiguée, n'est-ce
pas? D'après ce que j'ai cru comprendre
à travers le verbiage de la vieille, c'est
le fameux prince, le patron de l'oncle
Fernand, qui est en scène... Allons voir.
Ce doit être curieux.
En trois minutes, elles avaient monté
la ruelle et atteint une grande place car-
rée, plantée de deux rangées de sycomo-
res entre lesquels s'apercevait une fon-
taine. Toute la population se tenait là,
attentive et recueillie. Ce point forme le
sommet du plateau où est posé Troys-la-
Tour. De là on domine la ville, la cam-
pagne, la chaîne des Pyrénées françaises
et espagnoles, les premiers contreforts
de r Aragon. Le ciel, clair comme un ciel
de l'Attique, permet aux moindres yeux
de distinguer nettement le mont Perdu,
malgré son grand éloignement, car tout
le côté méridional de la place est privé
de maisons, par suite de la déclivité du
sol.
Dans le bas, à deux ou trois cents
mètres, au milieu d'une agréable prairie,
verte comme l'émeraude, c'est d'abord la
façade blanche du château de Porten-
cohèdre, résidence du premier magistrat
de la république et sa propriété person-
nelle. Derrière sont des bois, des vignes,
des coteaux, des champs bien cultivés,
où coule la Laudette, la plus jolie des
deux rivières qui arrosent la Turrie. A
l'orée du bois, on aperçoit les ruines
d'une tour abandonnée, puissante cons-
truction qui remonte au temps des Mau- ;
res, décapitée depuis longtemps de ses
créneaux et traversée d'une crevasse
comme d'un gigantesque coup de [sabre
par lequel la tour dévide peu à peu, tous
les jours, ses noires entrailles de pierres.
Troys tient d'elle son surnom. Il y a dix
ans, l'ayuntamiento du lieu y logeait la
pompe à incendie. Aujourd'hui elle sert
simplement d'asile à de nombreuses
familles d'orfraies et de chouettes grises.
Viollet Le Duc, qui l'a visitée au cours
d'une de ses missions, la compare au
donjon de Beaugency pour la masse, au
Vésone de Périgueux pour l'élégance et
le style. Derrière la tour maugrabine, un
sentier blanc comme un galon d'argent
va rejoindre, en serpentant à travers des
massifs d'arbousiers, la route de Zaca-
pétéquès où sont les plus riches domai-
nes du prince, et par où l'on pousse jus-
qu'à Langaragga et Torquamadur.
Sur le côté oriental de la place s'élève
Notre-Dame, vaste église du plus pur
gothique, à triple portail comme nos
cathédrales de la grande époque. Deux
hauts clochers, fluets et bien dentelés, la
décorent. Ils sont de l'architecte langue-
docien Pierre Sigallon. La coquette mai-
son blanche, aux toits d'ardoise, qui
longe l'abside sert de palais au curé-
archidiacre. En face se voit le seul hôtel
du pays, le « Grand Hôtel de Turrie », dont
l'unique étage percé de petites fenêtres
répond mal à ce titre pompeux. Le rez-
de-chaussée est occupé par un café où
l'on débite des boissons glacées en été, et
l'hiver des bols de vin chaud à la fran-
çaise. Ce café sert de Bourse aux com-
merçants, surtout le samedi, jour d'arri-
vage en Turrie des chorizos, ou saucisses
de l'Estrémadure, des salaisons de Bis-
caye, de la marée de Santander.
Une étroite ruelle sépare l'hôtel de la
Casa de la Gobernacion, maison où siè-
gent le gouvernement turrian et le corps
de ville de Trôys-la-Tour. C'est une ?
antique masure barbouillée d'un horri-
ble enduit mi-parti des deux couleurs
rouge et crème en train de tourner. Le
peuple ne la désigne pas autrement que
par le nom de « Maison-Rouge ». Sous le
mirador, ou balcon moucharabié déco-
rant l'édifice, se voit sculpté un écusson,
qui s'efface lentement sous la pluie et le
vent. Les hachures horizontales du champ
d'azur, la devise : Turris eburnea, ont à
peu près disparu ; mais la tour d'argent
subsiste, ainsi que les deux levrettes for-
mant supports. Il y a près de la porte de
la Casa un Cadre de bois grillagé où l'on
affiche les ordonnances du pouvoir cen-
tral.
Pour la fontaine publique de Troys,
elle a de quoi faire rêver un philosophe.
C'est un carré maçonné portant un mo-
nolithe de dix pieds de haut et coiffé
d'une espèce d'édicule, où sont accou-
plés les bustes - de piètre bustes - de
ces deux implacables adversaires, Fran-
çois Ier et Charles-Quint. On dirait deux
gros marrons sculptés par un apprenti
folâtre. A mi-hauteur de la pyramide,
cette date : 1529 se répète sur chacun des
quatre côtés. Ici se remarque une parti-
cularité assez étrange. Le monarque
espagnol a la face orientée au nord,
c'est-à-dire dans la direction de Paris,
tandis que le vainqueur de Marignan re-
garde du côté de Madrid. Y a-t-on mis
quelque malice? Les uns affirment, les
autres nient. C'est probablement une
distraction de l'architecte, Camilo Cottar
y Vega, dont on lit le nom gravé autour
d'une gargouille. La distraction est para-
fée, la gent architecte étant, de toutes les
espèces artistes, celle qui tient le plus à
la gloire.
Brusquement la cloche de Notre-
Dame cessa de sonner.
Environ deux mille individus de tout
âge et de tout sexe entouraient un large
espace libre autour de la fontaine. Grâce
à l'ôbligeance dequelques bourgeois, Mme
Verdot et sa fille purent parvenir, non
sans difficulté, au premier rang de la
foule. De là elles jetèrent de curieux re-
gards sur les spectateurs. Tout ce popu-
laire présentait à l'oeil un pittoresque
amalgame de costumes aux tons écla-
tants, de figures basanées, tannées
comme le cuir cordouan ou pâles comme
un reflet de lune. Les femmes du peu-
ple étaient pour la plupart tête nue,
en jupes bleues rayées de rouge; les jeu-
nes filles portaient de longues nattes
brunes oui leur tombaient dans le dos,
selon la mode navarraise. D'humbles
paysannes, belles comme des madones,
aux larges yeux noirs, rappelaient les
beaux types espagnols peints par Goya,
Fortuny et Regnault. Parfois une cheve-
lure rousse flamboyait violemment au
milieu des têtes brunes, et l'on surpre-
nait encore un notable de Troys en cor-
recte redingote noire et chapeau haut de
forme tout à côté d'un groupe de bergers
venus de Langaragga, - des tètes de
gitanos, des faces cuites à coup de soleil.
Beaucoup d'hommes portaient le long
bonnet catalan retombant sur l'épaule.
Les bérets blancs et'bruns, plus rares,
dénotaient les citadins. Dans un coin, un
touriste anglais, ahuri, affolé par toute
cette expansion gréco-latine, donnait le
bras à sa fille et se tuait à lui demander
des explications :
- Ada, comprenez-vous la bizarrerie
de ces gens? Une solennité à cinq heu-
res du soir! Improper! Souvenez-vous
qu'à Manchester, à l'occasion du prince
de Galles...
- Pardon, mon père ; le maître d'hô-
tel dit que cela est tout naturel.
L'hôtelier, qui se trouvait près d'eux,
les entendit.
- Songez, milord, dit-il à l'insulaire,
songez que c'est un vieil usage... Sept
jours francs après le scrutin...Or, comme
Sa Grâce le Principal a été réélu diman-
che dernier à cinq heures...
Cependant, pour maintenir la foule,
les cinq gardes forestiers des cinq
« plants » de . Turrie, seule force armée
permanente de la petite république, vin-
rent former un cordon, de l'église à la
Maison-Rouge. Ils étaient vêtus de vert,
béret compris, guêtrés de noir, et por-
taient le gros briquet à dragonne de
laine et la carabine du premier Empire.
Leur chef, le garde-mayor, reconnaissa-
ble à deux cors de chasse d'argent cou-
sus sur la poitrine, leur fit mettre l'arme
au pied. Par la rue voisine débouchaient
maintenant un choeur de petites filles en
blanc et écharpe bleue, gentilles à cro-
quer avec leur chevelure nattée et la rose
fraîche à la main, puis la maîtrise de
Notre-Dame, les dames du catéchisme
de persévérance, . les cinq députations
populaires de Troys, Valence, Langa-
ragga, Zacapétéquès et Torquamadur,-
chacune avec sa bannière triangulaire,
sur laquelle le nom du « plant » est
brodé en soie. Tout ce petit pays étale
aux yeux un grand catholicisme. Il vint
encore un groupe de chevriers turrians,
la peau de bique sur l'épaule, les ou-
vriers de la tannerie de Troys et une
vingtaine de gens en livrée verte, la
domesticité du château. Les cinq tam-
bours de ville se tenaient à droite de la
Gobernacion, la gauche étant occupée
par les fifres et les hautbois.
Quand chacun fut à sa place, un vigou-
reux montagnard sortit de la foule,
ouvrit à deux battants la porte de la
Maison-Rouge et disparut sous la voûte.
Il revint la seconde d'après, une lance à
feu dans la main. On le vit qui traversait
rapidement la place pour disparaître à
l'angle de Notre-Dame.
Le portail central de l'église s'ouvrit
lentement et l'on entendit retentir sur
les dalles le bruit d'une hallebarde. Le
suisse, Joséphin Lanchusque, une ma-
nière de géant recruté sur le pavé de-
Toulouse, montra gravement à la foule
sa barbe d'un roux fauve; puis, ayant par
trois fois salué la façade du palais des
pouvoirs publics, il descendit les six
marches du porche avec une majesté
concentrée. Derrière lui l'archidiacre
parut en grand habillement sacerdotal,
entouré de son vicaire et de ses quatre
succursalistes. Presque aussitôt reten-
tirent deux formidables détonations, et
la foule battit des mains... La poudre
ayant parlé, la cérémonie officielle com-
mençait. Tout ce bruit provenait de deux
humbles mortiers de bronze nommés
« crapauds », le fleuron d'un lot de vieux
matériel Gribeauval acheté à la France
sous Louis-Philippe. Un immense cri de
Vive la liberté! déchira l'air : le prince
don Maxence La Tapie de Portencohèdre
venait d'apparaître au seuil de la Mai-
son-Rouge.
(A suivre.) Tancrède Martel.
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