Titre : La Presse
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1949-05-30
Contributeur : Girardin, Émile de (1806-1881). Directeur de publication
Contributeur : Laguerre, Georges (1858-1912). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 30 mai 1949 30 mai 1949
Description : 1949/05/30 (A5,N185)-1949/06/05. 1949/05/30 (A5,N185)-1949/06/05.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 28/11/2021
LE M7E RIEWCADALRE SANS7E7E
' DU PONT DE BOUGIVAL
é . EUX habitants de Bougi-
Be, val, le peintre David et
e dle forgeron Bidet, qui pê-
A chent à la ligne, le samedi
” t 8 avril 1920, à cinquante
829 mètres du pont de Bou-
- gival, ■ aperçoivent un paquet de fortes
dimensions qui flotte entre deux eaux.
. C’est un sac de couchage verdâtre
■ qu’entourent cinq courroies de cuir
jaune. Ouvert en présence des gendar
mes, il contient le tronc d’un homme
auquel manquent la tête et les jam
bes ; les bras sont liés, à hauteur du
coude, par une corde d'emballage. Le
'■' tout est enveloppé dans un tricot de
jersey blanc qui porte les mentions sui
vantes : « Indian Cauze English Mor-
ley’s flying wheel cotton ». L’auteur
du dépècement a opéré avec une re
marquable dextérité : les jambes ont
été sectionnées à ras du bassin ; un
trait de scie a tranché la quatrième
. vertèbre cervicale : « Beau travail, s’est
écrié le docteur Fleury, médecin-lé
giste, pas une.bavure! » Deux par
ticularités ont retenu son attention :
sur la poitrine, une épaisse touffe de
poils, bruns; plus bas, un volumineux
varicocèle du côté droit.
, Le premier soin ' du juge d’instruc-
tion Lacomblez, qui vient d’être com
mis par le parquet de Versailles, est
- de tenter l’identification du mort. Plu
sieurs disparitions ont été, tout' ré
cemment, signalées à la police : celle
de M. Desjardins, un riche rentier de
Chaville ; celle de M. Reynolds, avia
teur'de l’armée anglaise; celle d’un
certain Henri Paulet, batteur d’or ;
celle, enfin, d’un nommé Boris Dakan,
qui passe dans son quartier pour un
espion allemand. Mais le cadavre du
premier est repêché à Auteuil : il s’est
suicidé. Le batteur d’or a été arrêté
à Bruxelles et gémit dans les geôles bel
ges. Quant aux deux autres, leur taille
élevée ne correspond en rien à celle
que l’autopsie attribue au noyé de
Bougival. Toutes pistes que l'on aban
donne l’une après l’autre et, quinze
" jours plus tard, le dossier, clôturé par
un non-lieu, est classé. Et c’est tout
pour le moment.
Un journal tombe au rebut
Dix-huit mois se passent. De cette
macabre découverte qui a eu, au dé
but, les honneurs de la première page,
nul ne parle plus, d’autant que, depuis,
d’autres mystérieux dépècements ont
occupé l’attention du public. Au point
que le Matin a pu, dans son numéro
du 28 août 1921, consacrer une de ses
colonnes à ces crimes dont les auteurs
sont demeurés inconnus. Mais le ha-
- sard, ce dieu de la police, veille.
Le 31 août, le commissaire division
naire Faralicq, un de nos plus remar
quables policiers, reçoit la visite d’un
agent des P. T. T., qui lui apporte un
exemplaire du journal dans lequel l’ar
ticle en question a été encadré d’un
trait de crayon bleu. La feuille a été
jetée au rebut pour insuffisance d’a
dresse : le destinataire, en effet, n’a
pas été trouvé boulevard de Ménil-
montant, car l’expéditeur a omis de
mentionner son numéro. Le postier l’a
portée à la P. J., pensant que la chose
pouvait l’intéresser. Comme on va le
• voir, il a été bien inspiré.
. Parce qu’il ne faut rien négliger en •
pareille matière, M. Faralicq charge un
de ses meilleurs collaborateurs, le bri
gadier Chollet, de rechercher le mys
térieux correspondant. Enquête aisée,
grâce aux cartes d'alimentation qui ont
été distribuées aux Parisiens pendant
la grande guerre et dont les souches
ont été conservées dans les mairies.
C’est un jeu d'enfant, pour Chollet,
d’en trouver une au nom d’un certain
Paul Jobin, qui demeure III, boule
vard de Ménilmontant. Le journal lui
était bien adressé, et il le confirme en
ces termes, lorsque, convoqué par M.
Faralicq, il est entendu par lui _ :
« L’article du Matin m’a bien été
envoyé par ma sœur, qui habite à
Auvernier, dans le canton de Neuchâ
tel, en Suisse. Si elle a attiré' mon at
tention' dessus, c’est parce que notre
frère Charles a disparu mystérieuse
ment vers la fin du mois de mars de
l’année dernière et' que, depuis; il n’a
plus jamais donné de ses nouvelles.
Sommelier au Grand Hôtel, il était
marié et se plaignait beaucoup d’être
malheureux en ménage. A cette épo
que. surpris de n’avoir pas de lettre
de lui, je suis allé 254, rue de Vau-
girard, où il habitait. Sa femme m’a
dit qu’il était parti à l’étranger pour
échapper à la loi sur le recrutement.
Né en Suisse, comme moi, il eût dû,
à la déclaration de guerre, répudier la
nationalité française ; or, m’a-t-elle
expliqué, ne l’ayant pas fait, il crai
gnait d’être arrêté comme déserteur et
il a préféré s’enfuir. Mais j’ai su,
quelques mois plus tard, qu’elle men
tait car, m’étant renseigné, j’ai appris
que le cas de mon frère ne tombait
en aucune façon sous le coup de la
législation militaire. Très inquiet, je
suis retourné chez ma belle-sœur : elle
avait quitté Paris, et personne n’a pu
me dire où elle s’en était allée. Lorsque
ma sœur a lu l’article que vous savez,
elle a pensé que Charles était peut-
être une des victimes dont l'article
parlait et elle a fait, entre sa dispari
tion et ces mystérieuses autres dispa
ritions, un rapprochement qu’il vaut
sans doute la peine d’élucider >.
C’est bien l'avis de M. Faralicq qui
demande au Paul Jobin de lui donner
le signalement de son frère, afin de
voir s’il se rapproche de celui du noyé
de Bougival. Les similitudes sont frap
pantes : Charles Jobin mesurait 1 m.
62, était très velu et_ souffrait d’un
variocèle,
— Portait-il du linge anglais ?
— Je crois. Il m’a souvent dit, en
effet, que pendant la guerre, beau
coup des membres de l’armée britan
nique habitaient au Grand Hôtel et
qu’ils se défaisaient à vil prix de cer
tains de leurs effets d’équipement.
Tout cela, évidemment, ne constitue
que des présomptions ; mais elles
sont assez fortes pour justifier une en
quête plus approfondie. La première
chose à faire est de vérifier la situa
tion militaire de Charles Jobin. « La
recherche de son dossier, écrit M. Fa
ralicq dans ses souvenirs, fut très dif
ficile. Les hostilités terminées, on avait
laissé tous les documents dans des ba
raquements, et ces millions de che
mises étaient entassées sans, ordre et
sans méthode. Si bien que nous eûmes
toutes les peines du monde à retrouver
ce qui nous intéressait ».
La police met d’abord la main sur
le procès-verbal d’une visite médicale
qu’a subie le disparu : le varicocèle du
côté droit y est mentionné, et cela est
déjà important. Mais il y a plus : elle
découvre, datée du début de 1918, une
lettre anonyme adressée au Deuxième
Bureau dans laquelle Charles Jobin est
dénoncé comme un garçon peu recom
mandable, réfractaire en outre à la
loi militaire. Il apparaît que quelqu’un
a cherché à envoyer le malheureux à
la mort en le faisant incorporer dans
le service armé.
L’affaire devient de plus en plus
singulière. Reste à savoir à qui cette
dénonciation sains signature a bien pu
profiter. Le brigadier Chollet se rend
rue de Vaugirard, recueille les déposi ¬
tions de gens qui ont connu les Jobin
du temps qu’ils occupaient, au 254, un
petit appartement de trois pièces au
deuxième étage. Si tout le monde est
d’accord pour faire l’éloge du mari,
tous sont - unanimes pour traiter la
femme de gueuse et lui attribuer de
nombreux amants. Le dernier en date
a été un nommé René Burger, chef
d’étage au Grand Hôtel, que ce brave
Jobin a recueilli avec sa fille Sonia et
qu’il hébergeait chez lui avec l'enfant.
Après sa disparition, ce Burger et Es
telle ont continué à occuper l’apparte
ment où ils vivaient maritalement ;
en octobre, il ont vendu le mobilier
et sont partis pour Toul où ils ont
acheté, paraît-il, un hôtel qu’ils ex-
ploitent actuellement. Chollet a l’idée
de comparer la lettre anonyme avec
un spécimen de l’écriture de Burger :
il se rend au Grand Hôtel dont la di
rection a conservé les carnets sur les
quels le chef d’étage inscrivait les com
mandes de ses clients : là ressemblance
est criante.
Le doute n'est plus possible. Burger,
amant de Mme Jobin, a tout d’abord
cherché à éloigner le mari en le
faisant-envoyer au front ; n’y étant
pas parvenu, il s’est décidé à d’assassi-
nat, de complicité, sans doute, avec sa
maîtresse. Le Parquet de la Seine, saisi
de ces éléments, commet un juge d’ins-
truction, M. Warrain, qui délivre ■ à
M. Faralicq un double mandat d’ar-
-rêt que le commissaire divisionnaire
est autorisé à utiliser si. à Toul, il lui
apparaît que les coupables sont bien
les deux fugitifs.
La belle caissière
du café des Bosquets
il y a un an, Burger et sa maîtresse,
qui passe pour sa femme, ont acheté
de M. Auguste Madeleine le plus grand
hôtel de la ville, un établissement qui
jouit, là-bas, d’une solide réputation
locale. Situé place de la République,
en face du Cercle Militaire, le café des
Bosquets est le rendez-vous préféré des
commerçants et des officiers qui vien
nent, chaque soir, y faire leur belote
ou leur bridge. Estelle trône à la caisse:
c’est une fort jolie femme blonde, qui
reçoit, en reine, les hommages de ses
nombreux admirateurs. L’un d’eux, M.
Gobert, professeur au lycée, s’est fol
lement épris d'elle, l’a suppliée de s’en
fuir avec lui : comme elle s'y est re
fusée. il s’est suicidé. Cette fidélité
hautaine à celui que l’on croit être
son époux, lui a valu un renom d’hon
nête femme dont elle se fait une au
réole de vertu.
M. Faralicq, accompagné de Chollet,
est parti pour Toul.le 27 septembre.
Dès le lendemain matin, ils se mettent
en rapport avec le commissaire de po
lice Sevestre au bureau duquel Burger
est convoqué sous prétexte de vérifier
son livre- d’entrées: Au bout de quel
ques instants;’ Ml Faralicq interrompt
ses explications ; ' j ' - -
— Ce n’est pas de vos locataires
qu’il s’agit, mais de vous. Vous con
naissiez Jobin. Qu’est-il devenu ?
L’homme reste impassible. Pas un
muscle de son visage n’a tressailli. Le
commissaire divisionnaire, sans insis
ter, donne l’ordre de le garder au com
missariat et se rend à l’hôtel où il
trouve la femme ■ qui est encore cou
chée. Pendant qu’elle s’habille, il per
quisitionne. Sous le matelas, il trouve,
soigneusement ficelé, un paquet con
tenant les papiers personnels de Jobin,
ainsi qu’une liasse de titres au porteur.
Dans le salon, dissimulée derrière un
tableau, une enveloppe renfermant
vingt-sept mille francs en billets de
banque. Mme Jobin a suivi d’un œil
narquois les opérations du magistrat.
Mais c’est maintenant que la partie
décisive va se jouer.
— Savez-vous, madame, lui dit-il
brusquement, qu’on a repêché un
tronc humain dans la Seine et que ce
cadavre est celui de votre mari ?
La réaction est instantanée. Mme
Jobin devient livide et se cramponne
à un meuble pour ne pas tomber.
Brusquement, elle fond en larmes, de
venue, en un instant, une loque hu
maine qui n’est plus capable de résis
ter. Et voici le récit qu’elle fait, en
ayant soin toutefois, de minimiser le
rôle, qu'elle a personnellement joué :
— Le 23 mars, après dîner, mon
mari s'est couché. Burger, qui vivait
avec nous, est entré dans sa chambre.
Une discussion a aussitôt éclaté entre
eux.- Des injures, les deux hommes en
sont venus aux coups, et Burger a
saisi Charles à la gorge. Je me suis
alors retirée dans ma chambre où dor
mait la petite Sonia et je me suis cou
chée. Quelle n'a pas été ma surprise,
le lendemain matin, de m’entendre ap
peler par mon amant qui m'a avoué
qu’il avait tué mon mari, qu’il avait
passé la nuit à le dépecer et fait de
son corps trois paquets dont il me de
mandait de l’aider à se débarrasser.
Cest^ce que nous avons exécuté le jour
même. Le 24 au soir, nous avons pris
un taxi, lui, Sonia et moi, et, au pont
Mirabeau, nous avons jeté dans la
Seine le plus gros des trois colis. Au
pont de Grenelle nous en avons fait
et ses jolies boucles blondes s’échap
pent d’un ravissant bibi blanc qui
coiffe son visage de poupée. Ni l’un
ni l’autre ne paraissent le moins du
monde émus. Le fossoyeur Alphonse
Magnier accompagne un cortège com
posé du juge Warrain, du commissaire
Faralicq et du docteur Paul. C’est ce
lui-ci qui dirige les fouilles, au début
assez décevantes, car les deux assas
sins semblent éprouver quelque peine,
au bout d’une année et demie, à situer
l’endroit exact où ils ont enseveli la
tête de Jobin.
C'est le médecin
légiste qui, le pre
mier, trouve la sé
pulture, un trou
creusé dans le sol
et recouvert de
branchages. Il en
exhibe successivement des brins
de ficelle, un . morceau d’étoffe et
un corps dur auquel on entend
se heurter la pelle du fossoyeur.
C'est le crâne, maculé de sang et de
terre, coiffé encore de cheveux longs
et gris. Détail macabre : Burger, lors-
qu'il a sectionné la colonne vertébrale
de sa victime, a laissé tomber un petit
morceau d’os ; ne sachant qu’en faire,
il l’a repiqué dans la bouche du mal
heureux, où il se dresse comme une
pipe,- entre ses dents serrées. Et pen
dant que la tête passe de main en
main, le criminel, qui connaît les
usages, a retiré son chapeau.
— par
René MILLAUD
brun, mince, solidement bâti, il porte
allègrement ses trente-cinq ans. Figure
de bellâtre vulgaire, remarquable sur
tout par une absence totale de men
ton, signe, dit-on, de soumission à la
volonté d'autrui. Des petits yeux sour
nois qui clignotent d'inquiétude, des
cheveux plats gominés à l'excès. Estelle
est beaucoup plus, distinguée que son
complice. Le visage, que la détention
prolongée a un peu ravagé, est encore
fin sous les blonds cheveux vaporeux.
Un grand canotier de mélusine la coiffe
assez bien. Elle
devait être char
mante à la caisse
de ce café de
Toul qu’ils ont
acheté après
l’assassi nat et
très probable-
ment avec, l’argent de l’homme
qu ils ont tué. Pendant que le gref
fier lit l’acte d’accusation, elle baisse
candidement les yeux ; lui, il pétrit
entre ses mains un mouchoir dont il
se tamponne les paupières au rappel
des épisodes les plus horribles de son
crime. Mais il ne de trempe guère de
ses larmes.
Une haine égale, succédant à l’amour
de jadis, anime les deux accusés. Ils
se rejettent la responsabilité de l’as-
sassinat, chacun s’efforçant de sauver
sa peau. Elle affecte de l’appeler
€ monsieur Burger > et lui la traite
de € madame Jobin ». Il n’y a déci-
...De ses grosses mains velues, Burger étrangle le chétif Jobin.
autant du second. Enfin, le -lendemain,,
qui était un jeudi, jour de congé de
-Burger, nous nous sommes fait con
duire à Clamart. René avait emporté
une petite pioche et une bêche, et nous
avons enterré dans le bois la tête de
mon mari. A la famille comme à la
.police, j’ai déclaré que Charles était
parti à l’étranger et que j’ignorais où
il se trouvait. Vous savez le reste ».
Confrontée au commissariat avec
Burger, celui-ci voyant la partie per
due, confirme les aveux de sa maîtresse.
Il le fait avec cynisme et sans mar
quer le moindre remords. Les criminels
sont immédiatements conduits à Paris
et écroués. Dès le lendemain, un trans
port de justice a lieu. Estelle et son
amant sont amenés à Clamart. Burger
est coiffé d'un chapeau gris clair, fri
leusement enveloppé dans un confor
table pardessus mastic ; elle est vêtue
d’un tailleur bleu qui lui sied à ravir
L’instruction, qui dure assez ' long
temps, ne donne -lieu ..à. aucun inci-
dent. Ce n’est que le jeudi 22 juin
1922 que s’ouvre le procès devant la
cour d'assises de la Seine. Le conseil
ler Drioux préside : derrière la brous
saille de sa grosse moustache, la voix
sort forte, mais, le ton est bonhomme,
un tantinet jovial. Le siège du mi
nistère public est occupé par l'avocat-
général Barathon du Monceau. M*
Henry Darmon défend Burger et M°
Alcide Delmont sa maîtresse. M e Mau
rice Garçon, qui en est encore à ses
débuts, est au banc de la partie civile.
Sur la table des pièces à conviction,
on se montre un bocal qui contient,
baignant dans l’alcool, les mains ver
dâtres du mort.
Les accusés font leur entrée à treize
heures. Lui est un assez beau garçon
dément rien de tel qu’un meurtre com
mis'en commun-pour .briser les .plus
amoureuses unions. Car ils se sont,
paraît-il, ' passionnément chéris : c’est
elle, dira-t-il, qui l’a provoqué, lui. a
tendu ses lèvres, lui a ouvert un ma
tin son lit encore chaud du corps de
son mari, parti à l’aube pour aller ran
ger sa cave au Grand Hôtel. La veille,
Jobin s’était couché de bonne heure
et ils étaient partis au cinéma voir
« L’Amour plus fort que le devoir ».
un film éducateur, comme dira le pré
sident, qui a levé les derniers scru
pules de cet ami recueilli par charité
au foyer conjugal. L’adultère en valait
sans doute la peine : dans une lettre
qui sera lue à l'audience, Burger n’a-t-il
pas écrit à un ami : « Estelle est très
sensuelle, tandis que son mari est très
froid sur l'article. Elle a un de ces tem
péraments, je ne te dis que ça ! »
Très vite, elle a pris sur lui un em-
pire absolu, et qui se prolongs mêmé
aux assises, puisque M" Delmont» à un
moment donné, demande au nom de
son client :
— Monsieur le Président, faites en
sorte que l’accusée ne regarde pas Bur
ger ; dès qu’il est sous son regard, il
est comme hypnotisé et perd tous ses
moyens.
C’est cependant bien lui qui a tué t
lui qui, de ses grosses mains velues, a
étranglé le malheureux Jobin et qui
. n’a pas dû avoir beaucoup de peine
à venir, à bout de son chétif adver
saire. C’est lui,qui, après le meurtre,
a dépecé le cadavre, qui en a fait trois
paquets. Le docteur Paul donne, là-
dessus, des détails terrifiants. L’assas
sin a d’abord scié le cou avec une scie
à métaux, mais comme les vertèbres
cervicales ne se rompaient pas, il a
tiré le corps en le traînant par les
cheveux, l’a amené au bord de la ta
ble sur laquelle il « opérait », et se
servant de la tête comme d’une masse,
est venu à bout des dernières résis
tances osseuses. Mais c’est elle, et, elle
ne le nie point, qui est venue au se
cours de son amant pendant qu’il ache
vait de tuer le pauvre Charles. Comme
en se débattant, celui-ci avait ren
versé. la lampe et que l'étrangleur
« travaillait » dans l’obscurité, Bur
ger a senti, derrière lui, dit-il, madame
Jobin qui s’asseyait sur les jambes du
malheureux pour l'empêcher de remuer.
Le procès dure trois jours sans être
marqué d'incidents. Bon nombre de
témoins défilent à la barre : les uns
favorables à l’homme dont ils disent
qu’il est incapable de faire mal à une
mouche ; les autres qui sont d’accord
■pour considérer Estelle comme une
créature d’une douceur angélique. M’
Garçon, partie civile, plaide le crime
crapuleux ; les défenseurs essayent de
transformer J’affaire en crime passion
nel et sollicitent un verdict d’acquitte
ment. Mais les jurés se montrent im
pitoyables : la peine de mort pour
Burger, les travaux forcés à perpétuité
pour Mme Jobin. L’arrêt est rendu
à la nuit tombante : dans le clair-
obscur de la salle, le visage de l’homme
.se profile livide, et des gouttes de
sueur tombent, une à une, de son
front blême. Elle, prise d’un subit ver
tige, se cramponne au rebord du box
et quitte la salle en titubant.
L’expiation
La Cour de cassation a rejeté, leur
pourvoi le 6 octobre. Le jeudi 13, les
bois de justice sont dressés au coin du
boulevard Arago et de la rue de la
Santé. Le temps est froid, morne, hos
tile. Une horloge, au lointain, égrène
six coups mélancoliques. Burger, dans
sa cellule, a été réveillé par le bruit
de la porte qui a livré passage au
juge _ d'instruction, M. Warrain, au
substitut du Procureur de la Républi
que, M. Corde, au docteur Paul, à' M®
Darmon et à l’abbé Barthe, aumônier
de la prison. Les yeux du condamné
vont de l’un à l’autre, hagards, cher
chant en eux un soutien à cet instant
tragique où tout va lui manquer. Mais
il ne tarde pas à se ressaisir :
— C’est un assassinat, crie-t-il d’une
voix rauque. Je ne croyais pas avoir
fait toute la guerre pour en arriver
là !
Il se lève et s’habille avec un soin
méticuleux. Il se peigne et, à plusieurs
reprises, recommence sa raie « pour
qu’elle soit bien droite », dit-il. Il re
met, à son défenseur des croquis qu’il
a dessinés à la Santé et qu’il voudrait
.qu’ils- fussent remis à sa famille. Pen
dant qu’on procède à sa toiletté, il
.parle longuement de la petite Sonia :
— J’aurais tant voulu l’embrasser
avant...
Pendant tout le trajet, assis dans
la camionnette qui le mène au lieu
du supplice, il ne souffle mot. Mais
pendant qu’il marche à la guillotine, il
appelle M* Darmon, qui est à côté
de "lui" :
— Je vous en supplie, maître, rap
portez ma dernière pensée à madame
Jobin. Dites lui, dites lui...
Mais déjà il est sur la bascule : le
couperet tombe sans qu’il ait eu le
temps d’achever sa pensée.
Etait-ce une phrase d'amour ou une
phrase de haine ? Et pardonnait-il, en
cet instant suprême, à celle dont l’in
fluence néfaste le mena sur le chemin
du crime ?
(Illustrations de Sentis.)
""MMAA"WWNSAENAANNEANNNAHEAANMENNNAHHAAANSEEHSEM*MAAAMS*EH=MA========EE======mE====_===E=m==rr=rm=======n=r=n=sLmn=m_nsns===================z============
B. H. V., ces trois lettres résument
un prodigieux roman d'héritage.
d'affaires et d'argent
P ARADIS des bricoleurs et des ménagères industrieuses, le
Bazar de l’Hôtel de Ville — devenu en notre siècle de
synthèse le B.H.V. — a son histoire.
Une histoire de famille.
Une histoire passionnante mais où la passion joua à un
certain moment un rôle suffisamment néfaste pour mettre en
péril l’étonnante réussite du fondateur des fameux magasins
Xavier Ruel.
Originaire d’Annonay, Xavier Ruel avait longtemps vécu à
Lyon où il avait tâté d’un peu tous les métiers. Son grand rêve
avait été de devenir jockey, mais sa corpulence l’avait bientôt
éloigné de la pelouse. Marié à une foraine, il faisait les marchés
de la région lorsqu’il décida, un beau matin de 1853, de tenter
la conquête de Paris. Il avait trente et un ans.
Sa spêcialité était le lacet. Il
allait par les rues de la capitale,
une petite boîte sur le dos, propo
sant «a marchandise aux pas-
sants. Ses affaires ayant rapide-
ment prospéré, Ruel vendit en-
suite « au parapluie 3. Bonimen-
teur à la verve facile, camelot
astucieux, on le rencontrait à tous"
les carrefours de rues barrées,
faisant la joie des badauds et
aussi d’excellentes recettes. Bien
tôt il devint grossiste et approvi-
sionna en marchandises les came ¬
lots ses confrères. C'est alors qu’il
songea à s'établir d’une façon
plus confortable.
Il avait remarqué que, parmi
ses camelots, c’était toujours le
même qui venait, le premier, se
réapprovisionner, celui qu’il avait
posté à l’angle de la rue des Ar
chives et de la rue de Rivoli. Quel
que soit le vendeur — il en fit
l’expérience — la marchandise
s’écoulait là deux fois plus vite
qu’ailleurs. C’est donc là que Xa
vier Ruel décida, en 1856, de po
ser sa tente. En occurrence, une
échoppe de modeste apparence
dressée à la lisière d'un terrain
vague et qui devait être la base
même des actuels bâtiments du
B.H.V.
La première échoppe
Le succès aidant, Ruel ouvrit
d‘autres choppes à côté de la
sienne et engagea des vendeuses.
Ces vendeuses, il faut bien le dire,
étaient surtout des dames de pe
tite vertu qui, le soir venu, la
marchandise écoulée, n’hésitaient
pas à offrir leurs propres char
mes aux chalands.
Lorsque le nombre des échop
pes devint suffisamment impor
tant, le père Ruel — comme on
l'appelait dans le quartier — les
réunit sous le titre pompeux de
Bazar Napoléon. Sa femme trô
nait à la caisse. Elle devait y res
ter de longues années plus tard,
alors même que le Bazar était
classé parmi les plus importants
magasins de la capitale.
Le père Ruel devait devenir un
personnage important du commer
ce parisien. C'est à lui que l’on
doit, notamment, l’idée des prix
uniques où la qualité était sou
vent sacrifiée en faveur du prix.
C’est lui qui imagina ces « berge
ries » où le vendeur enfermé en
tre quatre comptoirs débitait la
marchandise, recevait l’argent sur
une pelle et le versait dans un
tronc fermé à clé, le client étant
tenu de faire l’appoint. Les arti-
des variaient de cinq centimes
à un franc quatre-vingt-dix, mais
c’était la belle époque et il s’en
débitait pour des dizaines de mil
liers de francs chaque jour !
Lorsqu’il mourut, le 29 janvier
1900, à Cannes, où il s’était retiré,
le père Ruel était multimillion
naire, unanimement respecté, che
valier dé la Légion d’honneur,
conseiller municipal et philan
thrope. La • petite échoppe de la
rue de Rivoli était devenue un
magnifique bâtiment de pierre
de taille, aux hautes baies vi
trées où s’affairaient plusieurs
centaines de vendeurs et de ven
deuses.
Les malheurs de Pauline
Cette prospérité, due à la sa
gesse d'un homme d’expérience,
allait être menacée par le plus
rocambolesque et le plus tragique
drame de famille. Xavier RuM
avait eu deux filles, Pauline et
Eugénie. Cette dernière, mariée à
Georges Viguier, un employé de
son père, ne devait pas faire par
ler d’elle plus que de raison. Il
ne devait pas en être de même
pour Pauline.
Mariée à vingt-deux ans, Pau
line demeurait veuve après quel
ques mois de mariage.
Elle se remarie, en 1880, avec
un artiste peintre, Alfred Becker,
qui d’ailleurs, sur les conseils de
son beau-père, abandonnera la
palette pour entrer comme simple
employé au Bazar. Elle connaît
alors quelques années de parfait
bonheur et met au monde deux
filles, Yvonne et May.
En 1902, Alfred Becker meurt.
C'est alors que vont commen
cer les malheurs de Pauline qui,
du fait du décès de son père, se
trouve à la tête d’une fortune con
sidérable. Sa fille Yvonne épousé
Paul Lillaz. Le jeune homme n’a
que quarante mille francs de dot;
la jeune mariée en apporte deux
millions trois cent mille !
Les Lillaz sont deux frères,
Paul et Henri, deux jeunes gens
de bonne famille, mais très « dans
le train » comme on dit à l'épo
que et terriblement ambitieux.
Henri surtout, jouisseur, joueur,
pilier de casinos et assez dénué
de scrupules. La réussite du ma
riage de son frère l’incite à ten
ter sa chance, il espère un mo
ment épouser la seconde fille de
Pauline Becker, May. Hélas ! cel
le-ci lui préfère un lieutenant de
dragons.
Henri ne se tient pas pour bat
tu. Par de savantes manœuvres,
il parvient, aidé de son frère et
de sa belle-sœur, à semer la dis
corde dans le ménage. May di
vorce bientôt et, les délais passés,
épouse Henri Lillaz.
A la suite de ces événements,
les relations entre la belle-mère
et les gendres ne sont pas, on
l’imagine, des plus cordiales. Pau ¬
line Becker n’a pas, en outre, été
accoutumée au genre de vie que
mènent ses enfants. Une vie mon
daine, tapageuse, luxueuse et —
pense-t-elle non sans raison —
ruineuse. Les frères Lillaz ont
pris en main la direction des af
faires du B.H.V. Pauline craint
pour ses intérêts, elle réclame des
comptes qu'on ne lui fournit pas.
Le fossé devient plus profond en-
tre la belle-mère et ses gendres.
Ses filles elles-mêmes prennent
parti pour leur mari. Pauline de
plus en plus se replie dans sa so
litude»
De la comédie au drame
La guerre bouleverse toutes
choses par le monde. Elle n’inter-
rompt point la sourde lutte fami
liale. Du moins, Pauline Becker
oublie ses craintes pour ne pen-
ser qu’à ses blessés, à sës filleuls
— elle en a vingt et un !
Parmi ceux-ci, Pierre Laveau,
un glorieux combattant, griève
ment blessé, l'intéresse plus par
ticulièrement. A l'armistice, elle
l’accueille chez elle, le soigne, lui
redonné goût à la vie, s’occupe de
ses intérêts.
Ce sera le début du véritable
drame.
Les Lillaz voient d'un très
mauvais œil l’intrusion de ce
« poilu » dans la vie privée de
leur belle-mère. Ils essaient d'a
bord la persuasion. Sans suc
cès. Pauline tient à son filleul et
ne cache pas son intention de
l’épouser. Ni les prières ni les
menaces ne la font changer
d'avis.
Henri Lillaz est devenu un
personnage important du monde
politique. Il trouve auprès de cer
tains grands médecins spécialis
tes les concours nécessaires et,
un beau matin, Pauline Becker
est enlevée rue Marbeuf, alors
qu'elle sort de son domicile, et
internée dans une maison de san
té de la banlieue ! Elle en sort,
grâce à Laveau.
Commence alors une attristante
et assez répugnante procédure
qui durera plusieurs années et qui
vise à « interdire » Pauline
Becker.
Les plus grands avocats, Ale
xandre Zévaès, Marius Moutet,
Camille Chautemps, Albert Bour-
goingt, de Monzie, Maurice Gar
çon auront à défendre tour à tour
la malheureuse contre les atta
ques de ses ennemis. Les plus
grands médecins, les docteurs
Briand, Florand, Vallon, Roubino-
vitch, Duhem, Loccry, Lépine, de
Fleury, se pencheront — pas tou
jours avec la sérénité, l’objecti-
vité qui conviendraient — sur son
cas. Le 23 juillet 1920, Pauline
Becker est interdite.
Lutte épuisante de tous les
instants que Pauline Becker a
retracée dans un récit extraordi
naire (1) qui eût inspiré à Bal
zac un nouveau chapitre de la
«Comédie humaine».
Un jour, ce sont ses filles qui
cambriolent son appartement. Un
autre, c’est Pierre Laveau qui est
arrêté et emprisonné pour mena-
ces de mort à l'adresse des Lil
laz. Une autre fois, elle échappe
aux poursuites d’Henri Lillaz qui
veut l’empêcher de signer son
contrat de mariage, en se cou-
chant sur le plancher d'un taxi
et en se réfugiant dans le quar
tier de cavalerie à Angers ! Trois
fois son mariage est annoncé.
Trois fois Henri Lillaz parvient,
à la dernière minute, à empêcher
la cérémonie à la mairie !
Le 23 juillet 1921 pourtant, Pau-
line Becker épouse devant le mai*
re du 13e arrondissement, et dans
le plus grand secret, Pierre La*
veau.
Henri Lillaz impose silence à
la presse. L’événement passe ina
perçu. Le 28 mars 1923, après de
multiples bagarres judiciaires, le
mariage est déclaré nul et Pau-
line Becker demeure interdite.
L’œuvre du père Ruel
était solide
Retirée à Cannes, Pauline Bec*
ker s’éteindra le 2 octobre 1944
sans que justice lui ait été pleine
ment rendue.
Ces démêlés tragi-comiques
n'avaient pas eu, on l’imagine,
une très heureuse influence sur
les affaires du B.H.V. L’œuvre
patiente du père Ruel était me
nacée de ruine. La gestion des
frères Lillaz s'avérait, à la veille
de la seconde guerre mondiale,
catastrophique.
Il faut toute la maîtrise du
comte de Rohan-Chabot pour re
mettre le bateau à flot.
Aujourd'hui, le Bazar connaît
une nouvelle prospérité, sous
l'impulsion de son président-di
recteur général, René Viguier,
fds d'Eugénie Ruel, qui, depuis
un demi-siècle, à Féoart dès his
toires de famille, n'a poursuivi
qu’un but : sauvegarder l'œuvre
de son grand-père.
L’ombre de Pauline Beckër
n'est pas absente non plus des
délibérations directoriales. Son
petit-fils, Georges Lillaz, son hé*
ritier, aujourd’hui âgé de trente-
sept ans, sur qui elle avait re
porté toute son affection, siège
au conseil d'administration à la
place de son frère Henri.
La tempête est passée sans
dommage. L’œuvre du père Ruel
était solide.
(1) Interdite. Edition sociale et
littéraire.
BBPAGF4
' DU PONT DE BOUGIVAL
é . EUX habitants de Bougi-
Be, val, le peintre David et
e dle forgeron Bidet, qui pê-
A chent à la ligne, le samedi
” t 8 avril 1920, à cinquante
829 mètres du pont de Bou-
- gival, ■ aperçoivent un paquet de fortes
dimensions qui flotte entre deux eaux.
. C’est un sac de couchage verdâtre
■ qu’entourent cinq courroies de cuir
jaune. Ouvert en présence des gendar
mes, il contient le tronc d’un homme
auquel manquent la tête et les jam
bes ; les bras sont liés, à hauteur du
coude, par une corde d'emballage. Le
'■' tout est enveloppé dans un tricot de
jersey blanc qui porte les mentions sui
vantes : « Indian Cauze English Mor-
ley’s flying wheel cotton ». L’auteur
du dépècement a opéré avec une re
marquable dextérité : les jambes ont
été sectionnées à ras du bassin ; un
trait de scie a tranché la quatrième
. vertèbre cervicale : « Beau travail, s’est
écrié le docteur Fleury, médecin-lé
giste, pas une.bavure! » Deux par
ticularités ont retenu son attention :
sur la poitrine, une épaisse touffe de
poils, bruns; plus bas, un volumineux
varicocèle du côté droit.
, Le premier soin ' du juge d’instruc-
tion Lacomblez, qui vient d’être com
mis par le parquet de Versailles, est
- de tenter l’identification du mort. Plu
sieurs disparitions ont été, tout' ré
cemment, signalées à la police : celle
de M. Desjardins, un riche rentier de
Chaville ; celle de M. Reynolds, avia
teur'de l’armée anglaise; celle d’un
certain Henri Paulet, batteur d’or ;
celle, enfin, d’un nommé Boris Dakan,
qui passe dans son quartier pour un
espion allemand. Mais le cadavre du
premier est repêché à Auteuil : il s’est
suicidé. Le batteur d’or a été arrêté
à Bruxelles et gémit dans les geôles bel
ges. Quant aux deux autres, leur taille
élevée ne correspond en rien à celle
que l’autopsie attribue au noyé de
Bougival. Toutes pistes que l'on aban
donne l’une après l’autre et, quinze
" jours plus tard, le dossier, clôturé par
un non-lieu, est classé. Et c’est tout
pour le moment.
Un journal tombe au rebut
Dix-huit mois se passent. De cette
macabre découverte qui a eu, au dé
but, les honneurs de la première page,
nul ne parle plus, d’autant que, depuis,
d’autres mystérieux dépècements ont
occupé l’attention du public. Au point
que le Matin a pu, dans son numéro
du 28 août 1921, consacrer une de ses
colonnes à ces crimes dont les auteurs
sont demeurés inconnus. Mais le ha-
- sard, ce dieu de la police, veille.
Le 31 août, le commissaire division
naire Faralicq, un de nos plus remar
quables policiers, reçoit la visite d’un
agent des P. T. T., qui lui apporte un
exemplaire du journal dans lequel l’ar
ticle en question a été encadré d’un
trait de crayon bleu. La feuille a été
jetée au rebut pour insuffisance d’a
dresse : le destinataire, en effet, n’a
pas été trouvé boulevard de Ménil-
montant, car l’expéditeur a omis de
mentionner son numéro. Le postier l’a
portée à la P. J., pensant que la chose
pouvait l’intéresser. Comme on va le
• voir, il a été bien inspiré.
. Parce qu’il ne faut rien négliger en •
pareille matière, M. Faralicq charge un
de ses meilleurs collaborateurs, le bri
gadier Chollet, de rechercher le mys
térieux correspondant. Enquête aisée,
grâce aux cartes d'alimentation qui ont
été distribuées aux Parisiens pendant
la grande guerre et dont les souches
ont été conservées dans les mairies.
C’est un jeu d'enfant, pour Chollet,
d’en trouver une au nom d’un certain
Paul Jobin, qui demeure III, boule
vard de Ménilmontant. Le journal lui
était bien adressé, et il le confirme en
ces termes, lorsque, convoqué par M.
Faralicq, il est entendu par lui _ :
« L’article du Matin m’a bien été
envoyé par ma sœur, qui habite à
Auvernier, dans le canton de Neuchâ
tel, en Suisse. Si elle a attiré' mon at
tention' dessus, c’est parce que notre
frère Charles a disparu mystérieuse
ment vers la fin du mois de mars de
l’année dernière et' que, depuis; il n’a
plus jamais donné de ses nouvelles.
Sommelier au Grand Hôtel, il était
marié et se plaignait beaucoup d’être
malheureux en ménage. A cette épo
que. surpris de n’avoir pas de lettre
de lui, je suis allé 254, rue de Vau-
girard, où il habitait. Sa femme m’a
dit qu’il était parti à l’étranger pour
échapper à la loi sur le recrutement.
Né en Suisse, comme moi, il eût dû,
à la déclaration de guerre, répudier la
nationalité française ; or, m’a-t-elle
expliqué, ne l’ayant pas fait, il crai
gnait d’être arrêté comme déserteur et
il a préféré s’enfuir. Mais j’ai su,
quelques mois plus tard, qu’elle men
tait car, m’étant renseigné, j’ai appris
que le cas de mon frère ne tombait
en aucune façon sous le coup de la
législation militaire. Très inquiet, je
suis retourné chez ma belle-sœur : elle
avait quitté Paris, et personne n’a pu
me dire où elle s’en était allée. Lorsque
ma sœur a lu l’article que vous savez,
elle a pensé que Charles était peut-
être une des victimes dont l'article
parlait et elle a fait, entre sa dispari
tion et ces mystérieuses autres dispa
ritions, un rapprochement qu’il vaut
sans doute la peine d’élucider >.
C’est bien l'avis de M. Faralicq qui
demande au Paul Jobin de lui donner
le signalement de son frère, afin de
voir s’il se rapproche de celui du noyé
de Bougival. Les similitudes sont frap
pantes : Charles Jobin mesurait 1 m.
62, était très velu et_ souffrait d’un
variocèle,
— Portait-il du linge anglais ?
— Je crois. Il m’a souvent dit, en
effet, que pendant la guerre, beau
coup des membres de l’armée britan
nique habitaient au Grand Hôtel et
qu’ils se défaisaient à vil prix de cer
tains de leurs effets d’équipement.
Tout cela, évidemment, ne constitue
que des présomptions ; mais elles
sont assez fortes pour justifier une en
quête plus approfondie. La première
chose à faire est de vérifier la situa
tion militaire de Charles Jobin. « La
recherche de son dossier, écrit M. Fa
ralicq dans ses souvenirs, fut très dif
ficile. Les hostilités terminées, on avait
laissé tous les documents dans des ba
raquements, et ces millions de che
mises étaient entassées sans, ordre et
sans méthode. Si bien que nous eûmes
toutes les peines du monde à retrouver
ce qui nous intéressait ».
La police met d’abord la main sur
le procès-verbal d’une visite médicale
qu’a subie le disparu : le varicocèle du
côté droit y est mentionné, et cela est
déjà important. Mais il y a plus : elle
découvre, datée du début de 1918, une
lettre anonyme adressée au Deuxième
Bureau dans laquelle Charles Jobin est
dénoncé comme un garçon peu recom
mandable, réfractaire en outre à la
loi militaire. Il apparaît que quelqu’un
a cherché à envoyer le malheureux à
la mort en le faisant incorporer dans
le service armé.
L’affaire devient de plus en plus
singulière. Reste à savoir à qui cette
dénonciation sains signature a bien pu
profiter. Le brigadier Chollet se rend
rue de Vaugirard, recueille les déposi ¬
tions de gens qui ont connu les Jobin
du temps qu’ils occupaient, au 254, un
petit appartement de trois pièces au
deuxième étage. Si tout le monde est
d’accord pour faire l’éloge du mari,
tous sont - unanimes pour traiter la
femme de gueuse et lui attribuer de
nombreux amants. Le dernier en date
a été un nommé René Burger, chef
d’étage au Grand Hôtel, que ce brave
Jobin a recueilli avec sa fille Sonia et
qu’il hébergeait chez lui avec l'enfant.
Après sa disparition, ce Burger et Es
telle ont continué à occuper l’apparte
ment où ils vivaient maritalement ;
en octobre, il ont vendu le mobilier
et sont partis pour Toul où ils ont
acheté, paraît-il, un hôtel qu’ils ex-
ploitent actuellement. Chollet a l’idée
de comparer la lettre anonyme avec
un spécimen de l’écriture de Burger :
il se rend au Grand Hôtel dont la di
rection a conservé les carnets sur les
quels le chef d’étage inscrivait les com
mandes de ses clients : là ressemblance
est criante.
Le doute n'est plus possible. Burger,
amant de Mme Jobin, a tout d’abord
cherché à éloigner le mari en le
faisant-envoyer au front ; n’y étant
pas parvenu, il s’est décidé à d’assassi-
nat, de complicité, sans doute, avec sa
maîtresse. Le Parquet de la Seine, saisi
de ces éléments, commet un juge d’ins-
truction, M. Warrain, qui délivre ■ à
M. Faralicq un double mandat d’ar-
-rêt que le commissaire divisionnaire
est autorisé à utiliser si. à Toul, il lui
apparaît que les coupables sont bien
les deux fugitifs.
La belle caissière
du café des Bosquets
il y a un an, Burger et sa maîtresse,
qui passe pour sa femme, ont acheté
de M. Auguste Madeleine le plus grand
hôtel de la ville, un établissement qui
jouit, là-bas, d’une solide réputation
locale. Situé place de la République,
en face du Cercle Militaire, le café des
Bosquets est le rendez-vous préféré des
commerçants et des officiers qui vien
nent, chaque soir, y faire leur belote
ou leur bridge. Estelle trône à la caisse:
c’est une fort jolie femme blonde, qui
reçoit, en reine, les hommages de ses
nombreux admirateurs. L’un d’eux, M.
Gobert, professeur au lycée, s’est fol
lement épris d'elle, l’a suppliée de s’en
fuir avec lui : comme elle s'y est re
fusée. il s’est suicidé. Cette fidélité
hautaine à celui que l’on croit être
son époux, lui a valu un renom d’hon
nête femme dont elle se fait une au
réole de vertu.
M. Faralicq, accompagné de Chollet,
est parti pour Toul.le 27 septembre.
Dès le lendemain matin, ils se mettent
en rapport avec le commissaire de po
lice Sevestre au bureau duquel Burger
est convoqué sous prétexte de vérifier
son livre- d’entrées: Au bout de quel
ques instants;’ Ml Faralicq interrompt
ses explications ; ' j ' - -
— Ce n’est pas de vos locataires
qu’il s’agit, mais de vous. Vous con
naissiez Jobin. Qu’est-il devenu ?
L’homme reste impassible. Pas un
muscle de son visage n’a tressailli. Le
commissaire divisionnaire, sans insis
ter, donne l’ordre de le garder au com
missariat et se rend à l’hôtel où il
trouve la femme ■ qui est encore cou
chée. Pendant qu’elle s’habille, il per
quisitionne. Sous le matelas, il trouve,
soigneusement ficelé, un paquet con
tenant les papiers personnels de Jobin,
ainsi qu’une liasse de titres au porteur.
Dans le salon, dissimulée derrière un
tableau, une enveloppe renfermant
vingt-sept mille francs en billets de
banque. Mme Jobin a suivi d’un œil
narquois les opérations du magistrat.
Mais c’est maintenant que la partie
décisive va se jouer.
— Savez-vous, madame, lui dit-il
brusquement, qu’on a repêché un
tronc humain dans la Seine et que ce
cadavre est celui de votre mari ?
La réaction est instantanée. Mme
Jobin devient livide et se cramponne
à un meuble pour ne pas tomber.
Brusquement, elle fond en larmes, de
venue, en un instant, une loque hu
maine qui n’est plus capable de résis
ter. Et voici le récit qu’elle fait, en
ayant soin toutefois, de minimiser le
rôle, qu'elle a personnellement joué :
— Le 23 mars, après dîner, mon
mari s'est couché. Burger, qui vivait
avec nous, est entré dans sa chambre.
Une discussion a aussitôt éclaté entre
eux.- Des injures, les deux hommes en
sont venus aux coups, et Burger a
saisi Charles à la gorge. Je me suis
alors retirée dans ma chambre où dor
mait la petite Sonia et je me suis cou
chée. Quelle n'a pas été ma surprise,
le lendemain matin, de m’entendre ap
peler par mon amant qui m'a avoué
qu’il avait tué mon mari, qu’il avait
passé la nuit à le dépecer et fait de
son corps trois paquets dont il me de
mandait de l’aider à se débarrasser.
Cest^ce que nous avons exécuté le jour
même. Le 24 au soir, nous avons pris
un taxi, lui, Sonia et moi, et, au pont
Mirabeau, nous avons jeté dans la
Seine le plus gros des trois colis. Au
pont de Grenelle nous en avons fait
et ses jolies boucles blondes s’échap
pent d’un ravissant bibi blanc qui
coiffe son visage de poupée. Ni l’un
ni l’autre ne paraissent le moins du
monde émus. Le fossoyeur Alphonse
Magnier accompagne un cortège com
posé du juge Warrain, du commissaire
Faralicq et du docteur Paul. C’est ce
lui-ci qui dirige les fouilles, au début
assez décevantes, car les deux assas
sins semblent éprouver quelque peine,
au bout d’une année et demie, à situer
l’endroit exact où ils ont enseveli la
tête de Jobin.
C'est le médecin
légiste qui, le pre
mier, trouve la sé
pulture, un trou
creusé dans le sol
et recouvert de
branchages. Il en
exhibe successivement des brins
de ficelle, un . morceau d’étoffe et
un corps dur auquel on entend
se heurter la pelle du fossoyeur.
C'est le crâne, maculé de sang et de
terre, coiffé encore de cheveux longs
et gris. Détail macabre : Burger, lors-
qu'il a sectionné la colonne vertébrale
de sa victime, a laissé tomber un petit
morceau d’os ; ne sachant qu’en faire,
il l’a repiqué dans la bouche du mal
heureux, où il se dresse comme une
pipe,- entre ses dents serrées. Et pen
dant que la tête passe de main en
main, le criminel, qui connaît les
usages, a retiré son chapeau.
— par
René MILLAUD
brun, mince, solidement bâti, il porte
allègrement ses trente-cinq ans. Figure
de bellâtre vulgaire, remarquable sur
tout par une absence totale de men
ton, signe, dit-on, de soumission à la
volonté d'autrui. Des petits yeux sour
nois qui clignotent d'inquiétude, des
cheveux plats gominés à l'excès. Estelle
est beaucoup plus, distinguée que son
complice. Le visage, que la détention
prolongée a un peu ravagé, est encore
fin sous les blonds cheveux vaporeux.
Un grand canotier de mélusine la coiffe
assez bien. Elle
devait être char
mante à la caisse
de ce café de
Toul qu’ils ont
acheté après
l’assassi nat et
très probable-
ment avec, l’argent de l’homme
qu ils ont tué. Pendant que le gref
fier lit l’acte d’accusation, elle baisse
candidement les yeux ; lui, il pétrit
entre ses mains un mouchoir dont il
se tamponne les paupières au rappel
des épisodes les plus horribles de son
crime. Mais il ne de trempe guère de
ses larmes.
Une haine égale, succédant à l’amour
de jadis, anime les deux accusés. Ils
se rejettent la responsabilité de l’as-
sassinat, chacun s’efforçant de sauver
sa peau. Elle affecte de l’appeler
€ monsieur Burger > et lui la traite
de € madame Jobin ». Il n’y a déci-
...De ses grosses mains velues, Burger étrangle le chétif Jobin.
autant du second. Enfin, le -lendemain,,
qui était un jeudi, jour de congé de
-Burger, nous nous sommes fait con
duire à Clamart. René avait emporté
une petite pioche et une bêche, et nous
avons enterré dans le bois la tête de
mon mari. A la famille comme à la
.police, j’ai déclaré que Charles était
parti à l’étranger et que j’ignorais où
il se trouvait. Vous savez le reste ».
Confrontée au commissariat avec
Burger, celui-ci voyant la partie per
due, confirme les aveux de sa maîtresse.
Il le fait avec cynisme et sans mar
quer le moindre remords. Les criminels
sont immédiatements conduits à Paris
et écroués. Dès le lendemain, un trans
port de justice a lieu. Estelle et son
amant sont amenés à Clamart. Burger
est coiffé d'un chapeau gris clair, fri
leusement enveloppé dans un confor
table pardessus mastic ; elle est vêtue
d’un tailleur bleu qui lui sied à ravir
L’instruction, qui dure assez ' long
temps, ne donne -lieu ..à. aucun inci-
dent. Ce n’est que le jeudi 22 juin
1922 que s’ouvre le procès devant la
cour d'assises de la Seine. Le conseil
ler Drioux préside : derrière la brous
saille de sa grosse moustache, la voix
sort forte, mais, le ton est bonhomme,
un tantinet jovial. Le siège du mi
nistère public est occupé par l'avocat-
général Barathon du Monceau. M*
Henry Darmon défend Burger et M°
Alcide Delmont sa maîtresse. M e Mau
rice Garçon, qui en est encore à ses
débuts, est au banc de la partie civile.
Sur la table des pièces à conviction,
on se montre un bocal qui contient,
baignant dans l’alcool, les mains ver
dâtres du mort.
Les accusés font leur entrée à treize
heures. Lui est un assez beau garçon
dément rien de tel qu’un meurtre com
mis'en commun-pour .briser les .plus
amoureuses unions. Car ils se sont,
paraît-il, ' passionnément chéris : c’est
elle, dira-t-il, qui l’a provoqué, lui. a
tendu ses lèvres, lui a ouvert un ma
tin son lit encore chaud du corps de
son mari, parti à l’aube pour aller ran
ger sa cave au Grand Hôtel. La veille,
Jobin s’était couché de bonne heure
et ils étaient partis au cinéma voir
« L’Amour plus fort que le devoir ».
un film éducateur, comme dira le pré
sident, qui a levé les derniers scru
pules de cet ami recueilli par charité
au foyer conjugal. L’adultère en valait
sans doute la peine : dans une lettre
qui sera lue à l'audience, Burger n’a-t-il
pas écrit à un ami : « Estelle est très
sensuelle, tandis que son mari est très
froid sur l'article. Elle a un de ces tem
péraments, je ne te dis que ça ! »
Très vite, elle a pris sur lui un em-
pire absolu, et qui se prolongs mêmé
aux assises, puisque M" Delmont» à un
moment donné, demande au nom de
son client :
— Monsieur le Président, faites en
sorte que l’accusée ne regarde pas Bur
ger ; dès qu’il est sous son regard, il
est comme hypnotisé et perd tous ses
moyens.
C’est cependant bien lui qui a tué t
lui qui, de ses grosses mains velues, a
étranglé le malheureux Jobin et qui
. n’a pas dû avoir beaucoup de peine
à venir, à bout de son chétif adver
saire. C’est lui,qui, après le meurtre,
a dépecé le cadavre, qui en a fait trois
paquets. Le docteur Paul donne, là-
dessus, des détails terrifiants. L’assas
sin a d’abord scié le cou avec une scie
à métaux, mais comme les vertèbres
cervicales ne se rompaient pas, il a
tiré le corps en le traînant par les
cheveux, l’a amené au bord de la ta
ble sur laquelle il « opérait », et se
servant de la tête comme d’une masse,
est venu à bout des dernières résis
tances osseuses. Mais c’est elle, et, elle
ne le nie point, qui est venue au se
cours de son amant pendant qu’il ache
vait de tuer le pauvre Charles. Comme
en se débattant, celui-ci avait ren
versé. la lampe et que l'étrangleur
« travaillait » dans l’obscurité, Bur
ger a senti, derrière lui, dit-il, madame
Jobin qui s’asseyait sur les jambes du
malheureux pour l'empêcher de remuer.
Le procès dure trois jours sans être
marqué d'incidents. Bon nombre de
témoins défilent à la barre : les uns
favorables à l’homme dont ils disent
qu’il est incapable de faire mal à une
mouche ; les autres qui sont d’accord
■pour considérer Estelle comme une
créature d’une douceur angélique. M’
Garçon, partie civile, plaide le crime
crapuleux ; les défenseurs essayent de
transformer J’affaire en crime passion
nel et sollicitent un verdict d’acquitte
ment. Mais les jurés se montrent im
pitoyables : la peine de mort pour
Burger, les travaux forcés à perpétuité
pour Mme Jobin. L’arrêt est rendu
à la nuit tombante : dans le clair-
obscur de la salle, le visage de l’homme
.se profile livide, et des gouttes de
sueur tombent, une à une, de son
front blême. Elle, prise d’un subit ver
tige, se cramponne au rebord du box
et quitte la salle en titubant.
L’expiation
La Cour de cassation a rejeté, leur
pourvoi le 6 octobre. Le jeudi 13, les
bois de justice sont dressés au coin du
boulevard Arago et de la rue de la
Santé. Le temps est froid, morne, hos
tile. Une horloge, au lointain, égrène
six coups mélancoliques. Burger, dans
sa cellule, a été réveillé par le bruit
de la porte qui a livré passage au
juge _ d'instruction, M. Warrain, au
substitut du Procureur de la Républi
que, M. Corde, au docteur Paul, à' M®
Darmon et à l’abbé Barthe, aumônier
de la prison. Les yeux du condamné
vont de l’un à l’autre, hagards, cher
chant en eux un soutien à cet instant
tragique où tout va lui manquer. Mais
il ne tarde pas à se ressaisir :
— C’est un assassinat, crie-t-il d’une
voix rauque. Je ne croyais pas avoir
fait toute la guerre pour en arriver
là !
Il se lève et s’habille avec un soin
méticuleux. Il se peigne et, à plusieurs
reprises, recommence sa raie « pour
qu’elle soit bien droite », dit-il. Il re
met, à son défenseur des croquis qu’il
a dessinés à la Santé et qu’il voudrait
.qu’ils- fussent remis à sa famille. Pen
dant qu’on procède à sa toiletté, il
.parle longuement de la petite Sonia :
— J’aurais tant voulu l’embrasser
avant...
Pendant tout le trajet, assis dans
la camionnette qui le mène au lieu
du supplice, il ne souffle mot. Mais
pendant qu’il marche à la guillotine, il
appelle M* Darmon, qui est à côté
de "lui" :
— Je vous en supplie, maître, rap
portez ma dernière pensée à madame
Jobin. Dites lui, dites lui...
Mais déjà il est sur la bascule : le
couperet tombe sans qu’il ait eu le
temps d’achever sa pensée.
Etait-ce une phrase d'amour ou une
phrase de haine ? Et pardonnait-il, en
cet instant suprême, à celle dont l’in
fluence néfaste le mena sur le chemin
du crime ?
(Illustrations de Sentis.)
""MMAA"WWNSAENAANNEANNNAHEAANMENNNAHHAAANSEEHSEM*MAAAMS*EH=MA========EE======mE====_===E=m==rr=rm=======n=r=n=sLmn=m_nsns===================z============
B. H. V., ces trois lettres résument
un prodigieux roman d'héritage.
d'affaires et d'argent
P ARADIS des bricoleurs et des ménagères industrieuses, le
Bazar de l’Hôtel de Ville — devenu en notre siècle de
synthèse le B.H.V. — a son histoire.
Une histoire de famille.
Une histoire passionnante mais où la passion joua à un
certain moment un rôle suffisamment néfaste pour mettre en
péril l’étonnante réussite du fondateur des fameux magasins
Xavier Ruel.
Originaire d’Annonay, Xavier Ruel avait longtemps vécu à
Lyon où il avait tâté d’un peu tous les métiers. Son grand rêve
avait été de devenir jockey, mais sa corpulence l’avait bientôt
éloigné de la pelouse. Marié à une foraine, il faisait les marchés
de la région lorsqu’il décida, un beau matin de 1853, de tenter
la conquête de Paris. Il avait trente et un ans.
Sa spêcialité était le lacet. Il
allait par les rues de la capitale,
une petite boîte sur le dos, propo
sant «a marchandise aux pas-
sants. Ses affaires ayant rapide-
ment prospéré, Ruel vendit en-
suite « au parapluie 3. Bonimen-
teur à la verve facile, camelot
astucieux, on le rencontrait à tous"
les carrefours de rues barrées,
faisant la joie des badauds et
aussi d’excellentes recettes. Bien
tôt il devint grossiste et approvi-
sionna en marchandises les came ¬
lots ses confrères. C'est alors qu’il
songea à s'établir d’une façon
plus confortable.
Il avait remarqué que, parmi
ses camelots, c’était toujours le
même qui venait, le premier, se
réapprovisionner, celui qu’il avait
posté à l’angle de la rue des Ar
chives et de la rue de Rivoli. Quel
que soit le vendeur — il en fit
l’expérience — la marchandise
s’écoulait là deux fois plus vite
qu’ailleurs. C’est donc là que Xa
vier Ruel décida, en 1856, de po
ser sa tente. En occurrence, une
échoppe de modeste apparence
dressée à la lisière d'un terrain
vague et qui devait être la base
même des actuels bâtiments du
B.H.V.
La première échoppe
Le succès aidant, Ruel ouvrit
d‘autres choppes à côté de la
sienne et engagea des vendeuses.
Ces vendeuses, il faut bien le dire,
étaient surtout des dames de pe
tite vertu qui, le soir venu, la
marchandise écoulée, n’hésitaient
pas à offrir leurs propres char
mes aux chalands.
Lorsque le nombre des échop
pes devint suffisamment impor
tant, le père Ruel — comme on
l'appelait dans le quartier — les
réunit sous le titre pompeux de
Bazar Napoléon. Sa femme trô
nait à la caisse. Elle devait y res
ter de longues années plus tard,
alors même que le Bazar était
classé parmi les plus importants
magasins de la capitale.
Le père Ruel devait devenir un
personnage important du commer
ce parisien. C'est à lui que l’on
doit, notamment, l’idée des prix
uniques où la qualité était sou
vent sacrifiée en faveur du prix.
C’est lui qui imagina ces « berge
ries » où le vendeur enfermé en
tre quatre comptoirs débitait la
marchandise, recevait l’argent sur
une pelle et le versait dans un
tronc fermé à clé, le client étant
tenu de faire l’appoint. Les arti-
des variaient de cinq centimes
à un franc quatre-vingt-dix, mais
c’était la belle époque et il s’en
débitait pour des dizaines de mil
liers de francs chaque jour !
Lorsqu’il mourut, le 29 janvier
1900, à Cannes, où il s’était retiré,
le père Ruel était multimillion
naire, unanimement respecté, che
valier dé la Légion d’honneur,
conseiller municipal et philan
thrope. La • petite échoppe de la
rue de Rivoli était devenue un
magnifique bâtiment de pierre
de taille, aux hautes baies vi
trées où s’affairaient plusieurs
centaines de vendeurs et de ven
deuses.
Les malheurs de Pauline
Cette prospérité, due à la sa
gesse d'un homme d’expérience,
allait être menacée par le plus
rocambolesque et le plus tragique
drame de famille. Xavier RuM
avait eu deux filles, Pauline et
Eugénie. Cette dernière, mariée à
Georges Viguier, un employé de
son père, ne devait pas faire par
ler d’elle plus que de raison. Il
ne devait pas en être de même
pour Pauline.
Mariée à vingt-deux ans, Pau
line demeurait veuve après quel
ques mois de mariage.
Elle se remarie, en 1880, avec
un artiste peintre, Alfred Becker,
qui d’ailleurs, sur les conseils de
son beau-père, abandonnera la
palette pour entrer comme simple
employé au Bazar. Elle connaît
alors quelques années de parfait
bonheur et met au monde deux
filles, Yvonne et May.
En 1902, Alfred Becker meurt.
C'est alors que vont commen
cer les malheurs de Pauline qui,
du fait du décès de son père, se
trouve à la tête d’une fortune con
sidérable. Sa fille Yvonne épousé
Paul Lillaz. Le jeune homme n’a
que quarante mille francs de dot;
la jeune mariée en apporte deux
millions trois cent mille !
Les Lillaz sont deux frères,
Paul et Henri, deux jeunes gens
de bonne famille, mais très « dans
le train » comme on dit à l'épo
que et terriblement ambitieux.
Henri surtout, jouisseur, joueur,
pilier de casinos et assez dénué
de scrupules. La réussite du ma
riage de son frère l’incite à ten
ter sa chance, il espère un mo
ment épouser la seconde fille de
Pauline Becker, May. Hélas ! cel
le-ci lui préfère un lieutenant de
dragons.
Henri ne se tient pas pour bat
tu. Par de savantes manœuvres,
il parvient, aidé de son frère et
de sa belle-sœur, à semer la dis
corde dans le ménage. May di
vorce bientôt et, les délais passés,
épouse Henri Lillaz.
A la suite de ces événements,
les relations entre la belle-mère
et les gendres ne sont pas, on
l’imagine, des plus cordiales. Pau ¬
line Becker n’a pas, en outre, été
accoutumée au genre de vie que
mènent ses enfants. Une vie mon
daine, tapageuse, luxueuse et —
pense-t-elle non sans raison —
ruineuse. Les frères Lillaz ont
pris en main la direction des af
faires du B.H.V. Pauline craint
pour ses intérêts, elle réclame des
comptes qu'on ne lui fournit pas.
Le fossé devient plus profond en-
tre la belle-mère et ses gendres.
Ses filles elles-mêmes prennent
parti pour leur mari. Pauline de
plus en plus se replie dans sa so
litude»
De la comédie au drame
La guerre bouleverse toutes
choses par le monde. Elle n’inter-
rompt point la sourde lutte fami
liale. Du moins, Pauline Becker
oublie ses craintes pour ne pen-
ser qu’à ses blessés, à sës filleuls
— elle en a vingt et un !
Parmi ceux-ci, Pierre Laveau,
un glorieux combattant, griève
ment blessé, l'intéresse plus par
ticulièrement. A l'armistice, elle
l’accueille chez elle, le soigne, lui
redonné goût à la vie, s’occupe de
ses intérêts.
Ce sera le début du véritable
drame.
Les Lillaz voient d'un très
mauvais œil l’intrusion de ce
« poilu » dans la vie privée de
leur belle-mère. Ils essaient d'a
bord la persuasion. Sans suc
cès. Pauline tient à son filleul et
ne cache pas son intention de
l’épouser. Ni les prières ni les
menaces ne la font changer
d'avis.
Henri Lillaz est devenu un
personnage important du monde
politique. Il trouve auprès de cer
tains grands médecins spécialis
tes les concours nécessaires et,
un beau matin, Pauline Becker
est enlevée rue Marbeuf, alors
qu'elle sort de son domicile, et
internée dans une maison de san
té de la banlieue ! Elle en sort,
grâce à Laveau.
Commence alors une attristante
et assez répugnante procédure
qui durera plusieurs années et qui
vise à « interdire » Pauline
Becker.
Les plus grands avocats, Ale
xandre Zévaès, Marius Moutet,
Camille Chautemps, Albert Bour-
goingt, de Monzie, Maurice Gar
çon auront à défendre tour à tour
la malheureuse contre les atta
ques de ses ennemis. Les plus
grands médecins, les docteurs
Briand, Florand, Vallon, Roubino-
vitch, Duhem, Loccry, Lépine, de
Fleury, se pencheront — pas tou
jours avec la sérénité, l’objecti-
vité qui conviendraient — sur son
cas. Le 23 juillet 1920, Pauline
Becker est interdite.
Lutte épuisante de tous les
instants que Pauline Becker a
retracée dans un récit extraordi
naire (1) qui eût inspiré à Bal
zac un nouveau chapitre de la
«Comédie humaine».
Un jour, ce sont ses filles qui
cambriolent son appartement. Un
autre, c’est Pierre Laveau qui est
arrêté et emprisonné pour mena-
ces de mort à l'adresse des Lil
laz. Une autre fois, elle échappe
aux poursuites d’Henri Lillaz qui
veut l’empêcher de signer son
contrat de mariage, en se cou-
chant sur le plancher d'un taxi
et en se réfugiant dans le quar
tier de cavalerie à Angers ! Trois
fois son mariage est annoncé.
Trois fois Henri Lillaz parvient,
à la dernière minute, à empêcher
la cérémonie à la mairie !
Le 23 juillet 1921 pourtant, Pau-
line Becker épouse devant le mai*
re du 13e arrondissement, et dans
le plus grand secret, Pierre La*
veau.
Henri Lillaz impose silence à
la presse. L’événement passe ina
perçu. Le 28 mars 1923, après de
multiples bagarres judiciaires, le
mariage est déclaré nul et Pau-
line Becker demeure interdite.
L’œuvre du père Ruel
était solide
Retirée à Cannes, Pauline Bec*
ker s’éteindra le 2 octobre 1944
sans que justice lui ait été pleine
ment rendue.
Ces démêlés tragi-comiques
n'avaient pas eu, on l’imagine,
une très heureuse influence sur
les affaires du B.H.V. L’œuvre
patiente du père Ruel était me
nacée de ruine. La gestion des
frères Lillaz s'avérait, à la veille
de la seconde guerre mondiale,
catastrophique.
Il faut toute la maîtrise du
comte de Rohan-Chabot pour re
mettre le bateau à flot.
Aujourd'hui, le Bazar connaît
une nouvelle prospérité, sous
l'impulsion de son président-di
recteur général, René Viguier,
fds d'Eugénie Ruel, qui, depuis
un demi-siècle, à Féoart dès his
toires de famille, n'a poursuivi
qu’un but : sauvegarder l'œuvre
de son grand-père.
L’ombre de Pauline Beckër
n'est pas absente non plus des
délibérations directoriales. Son
petit-fils, Georges Lillaz, son hé*
ritier, aujourd’hui âgé de trente-
sept ans, sur qui elle avait re
porté toute son affection, siège
au conseil d'administration à la
place de son frère Henri.
La tempête est passée sans
dommage. L’œuvre du père Ruel
était solide.
(1) Interdite. Edition sociale et
littéraire.
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