Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1844-04-25
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32747578p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 25 avril 1844 25 avril 1844
Description : 1844/04/25 (Numéro 116). 1844/04/25 (Numéro 116).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6667074
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
JEUDI 25 AVRIL 1844.
NUMERO 116
't • I
JOURNAL DU C03IMERCE, POLITfOUE ET LITTERAIRE.
ON S'ABONNE A PARIS, RUE MONTMARTRE, N. 121.
et, dans les départemens, chez les directeurs ses postes,
et A toutes les messageries.
PARIS.
OT ASt 40 FR.
six mois 20
trois mois... 10
DEPARTEMENS.
un an
six mois..i:
trois mois. .
48 fr.
2i
12
ÉTRANGER.
01* AN .'. 72 FR.
six mois 36
trois mois. . . 18
INSERTIONS.
La ligne. 75 centimes.
toute insertion doit être agréée par le gérant.
Les lettres non affranchies seront rigoureusement refusées.
PARIS , 34 AVRIL.
La chambre des pairs a en ce moment à examiner trois projets
•de loi sur l'instruction secondaire: celui du gouvernement, celui
■de la commission, et un troisième qu'ont rédigé collectivement
MM. le baron Séguier, le marquis de Barthélémy, le comte Beu
gnot, le marquis de Gabriac. Ce troisième projet; qui est le projet
ecclésiastique, ne contient pas moins de vingt-trois articles nou
veaux sur trente. 11 a pour point de départ la haine du corps en
seignant tel qu'il est aujourd'hui constitué, et il organise une
guerre permanente entre l'Université laïque et l'Université cléri
cale.
Tout bachelier ès-lettres, muni d'un certificat de moralité,
peut, dans le système de M. Séguier et de.ses collègues, ouvrir
«ne école secondaire. Tout élève de ces écoles peut se présenter à
l 'épreuve du baccalauréat sans indiquer dans quel établissement
il a suivi les cours de rhétorique et de philosophie.
Rien ne mettra plus obstacle à ce que les Jésuites couvrent la
iFrançe de leurs écoles; les petits séminaires se transformeront
aussitôt en collèges; et les nombreuses congrégations nées ou à
naître, se disputeront la jeunesse de nos départemens et de nos
villes.
Le grade de bachelier est, comme on voit, la seule preuve de
'capacité que les nouveaux instituteurs seront obligés de fournir.
Mais les professeurs de Faculté confèrent ce grade, et comme ils
appartiennent à l'Université , ils sont suspects aux yeux de
Mm. Beugnot, Séguier, de Barthélémy et de Gabriac. On réforme
donc l'institution des Facultés. Désormais , les jurys chargés
d'examiner les candidats au baccalauréat seront composés d'au
tant de notables que de professeurs. Ce n'est pas tout. Les chai
res de Faculté ne sont plus mises au concours ; elles sont données
par ordonnance royale, et sur une double présentation dont nous
aie pouvons faire comprendre les conditions au lecteur qu'après
avoir parlé d'une institution toute nouvelle inventée par MM. de
Gabriac, de Barthélémy, Beugnot et Séguier.
A côté du conseil royal, les quatre pairs de France proposent de
créer un conseil supérieur dès établissemens particuliers d'instruc
tion secondaire, composé de magistrats, de membres de l'Institut,
de chefs d'institution libre et de M. l'archevêque de Paris. Ce
conseil, qui serait, comme l'autre, présidé par le ministre de l'ins
truction publique, présenterait un candidat pour chaque chaire
de Faculté, pendant que le conseil royal en présenterait un autre;
il donnerait son avis sur le programme du baccalauréat ; il aurait
des inspecteurs sous ses ordres ; il pourrait prononcer, dans cer
tains cas, la réprimande contre les instituteurs.
Ainsi le ministre de l'instruction publique placé entre deux
conseils rivaux, entre deux armées ennemies d'inspecteurs, entre
deux Universités dont l'une aurait les évêques à sa tête, et dont
l 'autre serait désavouée par l'état, aurait à remplir la mission im
possible de faire vivre en paix des gens armés par la loi pour se
faire la guerre, et de gouverner par dès conflits. Entre les deux
Universités, le ministre accusé sans cesse de sacrifier l'une à
l 'autre, suspect à toutes deux, n'aurait bientôt ni pouvoir ni res
ponsabilité.
D'ailleurs l'Université cléricale, aidée puissamment par
l'esprit de parti, soutenue par toute l'influence de l'église, gou
vernée par l'habileté des Jésuites, prépagée par l'activité des con
grégations, aurait encore l'immense et funeste avantage de pou
voir donner l'instruction au rabais. La guerre ainsi entretenue au
sein des écoles se continuerait bientôt dans la société; deux es
prits opposés, deux tendances contraires se partageraient les gé
nérations instruites ; on serait Jésuite où universitaire ; la contre-
révolution aurait des forces nouvelles, et la liberté courrait de nou
veaux périls.
M. Beugnot a présenté aujourd'hui à la chambre des pairs l'ex
posé des motifs de ce projet nouveau. Bien peu d'orateurs disent,
sur cette question, leur pensée tout entière ; M. Beugnot n,'a pas
eu plus de franchise que les autres. ,Pourquoi redouter, dit-il, la
part que l'église et les congrégations pourraient prendre à l'ensei
gnement public? Eh mon Dieu ! l'église suffit à peine aux besoins
du saint ministère, et les Jésuites sont "si peu nombreux, si mo
destes , ils existent si peu, que ce n'est pas la peine d'en parler.
Si M. le comte Beugoot était bien persuadé de ce qu'il affirme,
il n'aurait pas pris la parole aujourd'hui, et ne se serait pas associé
à la rédaction au projet des quatre pairs. Mais il sait bien qu'un
grand nombre de jésuites français, aujourd'hui à l'étranger, atten
dent la loi nouvelle pour rentrer en France et concourir avec les
206 confrères du père Ravignan à l'organisation des écoles dites
catholiques. II sait bien que le clergé s'est accru de sept mille prê
tres depuis les ordonnances relatives aux petits séminaires, et
que cet accroissement progressif encourage les évêques à diriger
les vues d'un certain nombre d'ecclésiastiques vers l'enseigne
ment public. M. Beugnot sait tout cela, et c'est ce qui excite son
ardeur et enflamme son courage. Il lui tarde de voir le jour où,
comme l'a dit M. Rossi, la France ne sera plus qu'un grand sé
minaire.
M. Rossi, dans un excellent discours, avait confondu à l'avance
les prétentions des avocats du clergé et des Jésuites. M. Rossi est
un esprit éminent. 11 est à la fois ingénieux et élevé ; il observe
avec sagacité et généralise avec puissance. Dans la région des
théories, sa pensée est ferme et indépendante. Malheureusement,
lorsqu'il descend à l'application, sa volonté chancelle et ne le sou
tient plus ; il est prêt à admettre tout ce que son intelligence avait
rejeté ; il oublie ses meilleurs argumens pour ne plus songer
qu'à ses amis les ministres. Son discours était presque tout entier
une irréfutable condamnation de l'art. 47. Aussi ses conclusions
pouvaient-elles exciter un juste étonnement. Après avoir résumé
son opinion en disant qu'au fond il partageait l'avis de M. Cousin,
il à fini par annoncer qu'il voterait cependant en faveur de l'art.
17. Seulement il voudrait que cet article; ne fût qu'une sorte dp
transaction provisoire que le clergé refusât généreusement d'ac
cepter pour l'avenir. Vit-on jamais de contradiction plus flagrante!
Accorder une transaction avec l'espoir qu'elle sera refusée ! Voter
à titre permanent un article dont on redouterait la durée ! Accepter
en pratique ce que l'on vient de condamner en théorie! On le voit,
M. Rossi a imité M. Villemain et M. le duc de Broglie : il a parlé
dans un sens et conclu dans l'autre. Nous espérons que la cham
bre, cédant à leur éloquence, rejettera leur article 17 et n'imitera
pas leur vote.
Si l'on en juge par le mouvement que le ministère se donne, il
doit vivement désirer l'adoption du projet de loi sur les prisons,
bien qu'il ne puisse pas éprouver, pour cette création un peu exo
tique, la faiblesse paternelle d'un auteur. Il pleut sur la chambre
une multitude de brochures pensylvaniennes, dont l'état fait tes
frais. Les publicistes officiels ou officieux ne paraissent pas avoir
été choisis avec un grand discernement; car ils injurient'plus
qu'ils ne raisonnent. Quiconque a le malheur de penser autre
ment qu'eux, est passé par les armes; on le traite comme les dé
putés de l'opposition étaient traités, en 1839, par les écrivains du
Bulletin Français. M. de Beaumonta cru consoler M. de Laroche-
fouiï'îld des attaques dont il était l'objet, en lui disant hier que
ces attaques s'adressaient non à sa personne, mais à la doctrine
3ue l'honorable député avait défendue ; comme si la polémique
evait jamais s'emporter contre les opinions à des agressions que
l'on aurait honte de diriger contre les personnes !
A cette espèce d ! intimidation que l'on exerce sur les hommes de
cœur, en lançant après eux des agresseurs dont ils ne peuventque
se détourner avec dégoût, on joint désormais une propagande ac
tive, engageante et empressée. On prend les députés un à un , on
les chambre; on donne aux uns des provisions de chiffres, aux au
tres des promesses; on fait échange de services; on séduit les in-
différens par des politesses de salon. « Je parlerai, dans cette dis
cussion, disait un député influent, parce que cela fera plaisir au
ministre. » Que pensez-vous de ces façons d'agir? et le système
représentatif, ainsi entendu, ne ressemble-t-il pas beaucoup à ces
gouvernemens absolus dans lesquels Voltaire expliquait les évé-
nemens par le caprice d'une maîtresse ou par la volonté d'un con
fesseur?
Heureusement, la tribune est là pour faire justice aussi bien
des petites manœuvres que des indignités. Dans le débat qui dure
depuis trois jours, l'avantage appartenait jusqu'ici sans contesta
tion aux adversaires du projet. M Léon de Maleville et M. de
Peyramont sont venus aujourd'hui achever la conviction de la
chambre. Il reste maintenant peu de chose à dire pour décider le
rejet de la loi.
M. de Maleville est un homme pratique. Il a fait partie de cette
administration du mars qui, ayant aussi à vider la difficulté
des prisons, n'avait pas affiché la prétention d'aller plus loin que
la science, et s'était borné à proposer l'emprisonnement cellulaire
pour les accusés et pour les prévenus. C'est donc avec l'autorité
d'une expérience acquise dans le maniement des grandes affaires
qu'il condamne le projet de 1843. Nous n'insisterons pas sur les
objections que M. de Maleville élève contre le système pensylva-
nien ; ce sont les mêmes que nous : avons exposées, et que M.'Car-
no t développait hier avec l'approbation de la chambre. Mais voici
une observation qui lui est propre, et qui nous paraît aussi ingé
nieuse qu'elle est de bon aloi. M. de Maleville fait remarquer
l'attitude embarrassée de la commission ; pour défendre le système
pensylvanien, il faut qu'elle se jette dans des distinctions, dans
des explications, dans des subtilités, en un mot, qui peuvent
éblouir un moment, mais qui ne prévaudront pas contre la vérité
nue. Parle-t-on de la mortalité dans le pénitencier de Philadel
phie? la commission s'en prend aux prisonniers de race noire, et
met sur leur compte l'accroissement de ce triste budget. Vient-on
à citer les cas multipliés de démence? la commission allègue une
X-EVXXJUEiTOSr SU CONSTITDTIQXTNXIi, SU 25 AVRIL
(1)
JEANNE.
PROLOGUE.
DÉDJCACI A FIAUÇOISI MILLAHT.
« T* ne sais pas lire, ma paisible amie, mais ta fille et la mienne
» ont été à l'école. Quelque jour, à la veillée d'hiver, pendant
» que tu fileras ta quenouille, elles te raconteront cette his-'
» toire qui deviendra beaucoup plus jolie en passant par leurs
► bouches. »
Dan» les montagnes de la Creuse, en tirant vers le Bourbonnais, et
le pays de Combraille, au milieu du site le plus pauvre, le plus triste, le
plus désert qui soit en France, le plus inconnu aux industriels et aux ar
tistes, vous voudrez bien remarquer, si vous y passez jamais, une colline
haute et nue, couronnée de quelques roches qui nefrapperaient guères votre
attention, sans l'avertissementquejevais vous donner. Gravissez cettecol-
line; votre cheval vous portera, sans grandeffort, jusqu'à son sommet; et là,
vous examinerez ces roches disposées dans un certain ordre mystérieux,
et assises, par masses énormes, sur de moindres pierres où elles se tien
nent depuis une trentaine de siècles dans un équilibre inaltérable. Une
seule s'est laissée choir sous les coups des premières populations chré
tiennes, ou sous l'effort du vent d'hiver qui gronde avec persistance au
tour decescollines dépouillées deleurs antiquesforêts.Leschênesprophé-
tiques ontà jamais disparu de cette contrée, et les druidesses n'y trouve
raient plus un rameau de gui sacré pour parer l'autel d'Hésus.
Ces blocs posés comme des champignons gigantesques sur leur étroite
bise, ce sont les menhirs, les dolmens, les cromlechs des anciens Gau
lois, vestiges de temples cyclopéens d'où le culte de la force semblait
bannir par principe le culte du beau ; tables monstrueuses où les dieux
barbares venaient se rassasier de chair humaine, et s'enivrer du sang
•des victimes ; autels effroyables où l'on égorgeait les prisonniers et
les esclave* , pour apaiser de farouches divinités. Des cuvettes et des
cannelures creusées aan» les angles de ces blocs, semblent révéler leur
abominable usage, et avoir servi à faire écouler le sang. Il y a un groupe
plus formidable que les autres qui enferme une étroite enceinte. C'était
■peut-être là le sanctuaire de l'oracle, la demeure mystérieuse du prê
tre. Aujourd'hui ce n'est, au premier coup d'oeil, qu'un jeu de la na
ture, un de ces refuges que la rencontre de quelques roches offre au
voyageur ou au pâtre. De longues herbes ont recouvert la tracé des an
tiques bûchers, les jolies fleurs sauvages des terrains de bruyère en
veloppent le socle des funestes autels, et, à peu de distance, une petite
fontaine froide comme la glace et d'un goût saumâtre, comme la plu-
(1) Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage, est interdite, et
serait poursuivie comme contrefaçon.
part de celles du pays Marchois, se cache sous des buissons rongés par
la dent des boucs. Ce lieu sinistre , sans grandeur , sans beauté, mais
rempli d'un sentiment d'abandon et de désolation, on l'appelle les Pierres
JomAtres.
Vers les derniers jours d'août 18t6, trois jeunes gens de bonne mine
chassaient au chien couchant , au pied de la montagne aux pierres,
comme on dit dans le pays.
— Amis, dit le plus jeune, je meurs de soif, et je sais par ici une
fontaine vers laquelle mon chien court déjà, comme à une bonne
connaissance. Si vous voulez me suivre, sir Arthur sera peut-être bien
aise de voir de près ces pierres druidiques, bien qu'il en ait vu sans
doute de plus curieuses en Ecosse et en Irlande.
— Je verrai toujours, répondit sir Arthur, avec un accent britanni
que bien marqué; et il se mit à gravir la colline par son côté le plus
roide, pour marcher en ligne droite aux pierres jomâtres.
— Quant à moi, dit le troisième chasseur, qui avait l'air moins dis
tingué que les deux autres, quoique sa physionomie eût plus d'expres
sion et son œil plus de vivacité : je n'espère pas trouver ici de gibier,
c'est un endroit maudit ; mais je vais à la recherche de quelque chèvre
pour la soulager de son lait.
— Vous ne devez pas! dit l'Anglais, dont le parler était toujours
obscur à force de laconisme.
— Prenez garde, Marsillat, cria le premier interlocuteur, le jeune
Guillaume de Boussac, qui se dirigeait vers la fontaine; vous savez bien
que sir Arthur est le grand redresseur de nos torts, et qu'il ne voit pas
de bon œil vos attentats contre la propriété. Il ne veut pas qu'on sac
cage les murs de clôture, qu'on gâte les sarrasins, ni qu'on tue la poule
du paysan.
— Bah ! reprit le jeune licencié en droit, le paysan sait bien prendre
sa revanche au centuple !
Sir Arthur était déjà loin. II avait une manière de marcher en rasant
la terre, qui n'avait l'air ni active ni dégagée, mais qui gagnait le dou
ble en vitesse sur celle de ses compagnons. C'était un chasseur modèle ;
il n'avait jamais ni faim ni soif, et les jeunes gens qui le suivaient avec
émulation maudissaient souvent son infatigable persévérance. •
Bien que Guillaume de Boussac et Léon Marsillat ne fissent que bon
dir et s'essouffler, l'Anglais, pareil à la tortue de la fable, qui gagne sur
le lièvre le prix de la course, examinait depuis un quart-d'heure la dis
position et les qualités minéralogiques des pierres jomâtres,' quand ses
deux amis vinrent le rejoindre.
— Diable de fontaine ! disait M. de Boussac en faisant la grimace ;
elle a un goût de cuivre qui ne me donne pas grande idée du trésor !
— Ces maudites chèvres , disait Marsillat, n'ont pas une goutte de
lait! au lieu de brouter, elles ne songent qu'à lécher les pierres. Est-ce
qu'elles auraient le goût de l'or? *
— Or? trésor? demanda sir Arthur, en les regardant d'un air étonne.
— C'est qu'il faut vous dire, répartit Guillaume de Boussac, qu'il y a
une tradition, une légende sur cet endroit-ci. Vous n'ôteriez pas de la
tête de nos paysans, à ce que prétend Marsillat, qu'un trésor est enfoui
dans cette région.
—.Cette croyance les rend fous, dit Marsillat. Les uns supposentee tré
sor. enterré sous ces pierres druidiques; d'autres, le cherchent plus loin,
dans la montagne .de Toull-Sainte-Croix, que vous voyez là-bâs, à une
heure de chemin d'ici.
L'Anglais regarda le sol maigre et pierreux, lesbruyèresquiétouffaient
le fourrage, les chèvres efflanquées qui erraient à quelque distance.
— Il y a un trésor dans les terres incultes, dit-il; mais il faut un au
tre trésor pour l'en retirer.
— Oui, des capitaux! dit Marsillat.
— Et des paysans! ajouta Guillaume. Cette terre est dépeuplée.
— Des hommes, et puis des hommes, reprit l'Anglais.
— Comprends pas , dit Guillaume en souriant, à Marsillat.
— Pas de maîtres et pas d'esclaves ; des hommes et des hommes ! re-
Ï)rit sir Arthur, étonné de n'avoir pas été compris, lui qui croyait par
er clair.
— Est-ce qu'il y a des esclaves, en France? s'écria Marsillat on haus
sant les épaules.
— Oui, et'en Angleterre aussi ! répondit l'Anglais sans se déconcerter.
— La philosophie m'ennuie, reprit à demi-voix Marsillat, en s'adres-
sant à son jeune compatriote; votre Anglais medégoûterait d'être libéral.
Combien voulez-vous parier , Guillaume , ajouta-t-il tout haut, que je
monte sur la plus haute et la plus lisse des pieiyes jomâtres?
— Je parie que non, répondit M. de Boussac.
— Voulez-vous parier ce que nous avons d'argent sur nous?
— Volontiers, cela ne me ruinera pas. Je n'ai qu'un louis.
— Eh pardieu, je n'ai qu'une pièce de 5 francs, moi, reprit Marsillat
après avoir fouillé toutes ses poches.
— C'est égal, je tiens ! dit M. de Boussac.
— Et vous, Mylord ? reprit Marsillat : que pariez-vous?
— Je parie une pièce de 5 sous de France, répondit sir Arthur.
— Fi donc ! j'ai cru, dit Marsillat, que les Anglais étaient fous des
paris. Ils ne méritent guères leur réputation. 5 sous pour monter là-
dessus !
— C'est plus que cela ne vaut.
— Par exemple! Il y a de quoi se casser bras et jambes !
— Alors, je ne parie rien, ou je parie 4,000 livres sterling contre
vous que vous y monterez.,
— L'argent n'est rien, la gloire est tout, s'écria gatment Marsillat;
je tiens vos 5 sous, et je monte.
— C 'est comme cela qu'on se tue, dit Arthur en lui ôtant froidement
des mains son fusil armé dont il voulait s'aider.
Marsillat fit des efforts inouis, des miracles d'adresse, et après s'être
écorché les mains en glissant plus d'une fois, jusqu'à terre, après avoir
cassé ses bretelles, et mis au désespoir son. chien qui ne pouvait
le suivre, il parvint à se dresser d'un air de triomphe sur la plate-forme
du dolmen. Savez-vouS, s'écria-t-il, que ces pierres étaient des idoles?
me voilà sur les épaules d'un Dieu!
— Écoutez, Léon, lui cria le jeune de Boussac, si vous trouvez là
haut la druidesse Velléda, faites-nous en part.
— Bah ! Je n'aim.e pas plus votre druidesse que votre Châteaubriand t
répondit Marsillat qui se piquait de libéralisme. Vive Lisette ! vive le
charmant Béranger ! "
— Ecrivain de mauvaise compagnie, reprit le jeune homme avec dé
dain ; n'est-ce pas sir Arthur? est-ce que vous pouvez supporter ce
NUMERO 116
't • I
JOURNAL DU C03IMERCE, POLITfOUE ET LITTERAIRE.
ON S'ABONNE A PARIS, RUE MONTMARTRE, N. 121.
et, dans les départemens, chez les directeurs ses postes,
et A toutes les messageries.
PARIS.
OT ASt 40 FR.
six mois 20
trois mois... 10
DEPARTEMENS.
un an
six mois..i:
trois mois. .
48 fr.
2i
12
ÉTRANGER.
01* AN .'. 72 FR.
six mois 36
trois mois. . . 18
INSERTIONS.
La ligne. 75 centimes.
toute insertion doit être agréée par le gérant.
Les lettres non affranchies seront rigoureusement refusées.
PARIS , 34 AVRIL.
La chambre des pairs a en ce moment à examiner trois projets
•de loi sur l'instruction secondaire: celui du gouvernement, celui
■de la commission, et un troisième qu'ont rédigé collectivement
MM. le baron Séguier, le marquis de Barthélémy, le comte Beu
gnot, le marquis de Gabriac. Ce troisième projet; qui est le projet
ecclésiastique, ne contient pas moins de vingt-trois articles nou
veaux sur trente. 11 a pour point de départ la haine du corps en
seignant tel qu'il est aujourd'hui constitué, et il organise une
guerre permanente entre l'Université laïque et l'Université cléri
cale.
Tout bachelier ès-lettres, muni d'un certificat de moralité,
peut, dans le système de M. Séguier et de.ses collègues, ouvrir
«ne école secondaire. Tout élève de ces écoles peut se présenter à
l 'épreuve du baccalauréat sans indiquer dans quel établissement
il a suivi les cours de rhétorique et de philosophie.
Rien ne mettra plus obstacle à ce que les Jésuites couvrent la
iFrançe de leurs écoles; les petits séminaires se transformeront
aussitôt en collèges; et les nombreuses congrégations nées ou à
naître, se disputeront la jeunesse de nos départemens et de nos
villes.
Le grade de bachelier est, comme on voit, la seule preuve de
'capacité que les nouveaux instituteurs seront obligés de fournir.
Mais les professeurs de Faculté confèrent ce grade, et comme ils
appartiennent à l'Université , ils sont suspects aux yeux de
Mm. Beugnot, Séguier, de Barthélémy et de Gabriac. On réforme
donc l'institution des Facultés. Désormais , les jurys chargés
d'examiner les candidats au baccalauréat seront composés d'au
tant de notables que de professeurs. Ce n'est pas tout. Les chai
res de Faculté ne sont plus mises au concours ; elles sont données
par ordonnance royale, et sur une double présentation dont nous
aie pouvons faire comprendre les conditions au lecteur qu'après
avoir parlé d'une institution toute nouvelle inventée par MM. de
Gabriac, de Barthélémy, Beugnot et Séguier.
A côté du conseil royal, les quatre pairs de France proposent de
créer un conseil supérieur dès établissemens particuliers d'instruc
tion secondaire, composé de magistrats, de membres de l'Institut,
de chefs d'institution libre et de M. l'archevêque de Paris. Ce
conseil, qui serait, comme l'autre, présidé par le ministre de l'ins
truction publique, présenterait un candidat pour chaque chaire
de Faculté, pendant que le conseil royal en présenterait un autre;
il donnerait son avis sur le programme du baccalauréat ; il aurait
des inspecteurs sous ses ordres ; il pourrait prononcer, dans cer
tains cas, la réprimande contre les instituteurs.
Ainsi le ministre de l'instruction publique placé entre deux
conseils rivaux, entre deux armées ennemies d'inspecteurs, entre
deux Universités dont l'une aurait les évêques à sa tête, et dont
l 'autre serait désavouée par l'état, aurait à remplir la mission im
possible de faire vivre en paix des gens armés par la loi pour se
faire la guerre, et de gouverner par dès conflits. Entre les deux
Universités, le ministre accusé sans cesse de sacrifier l'une à
l 'autre, suspect à toutes deux, n'aurait bientôt ni pouvoir ni res
ponsabilité.
D'ailleurs l'Université cléricale, aidée puissamment par
l'esprit de parti, soutenue par toute l'influence de l'église, gou
vernée par l'habileté des Jésuites, prépagée par l'activité des con
grégations, aurait encore l'immense et funeste avantage de pou
voir donner l'instruction au rabais. La guerre ainsi entretenue au
sein des écoles se continuerait bientôt dans la société; deux es
prits opposés, deux tendances contraires se partageraient les gé
nérations instruites ; on serait Jésuite où universitaire ; la contre-
révolution aurait des forces nouvelles, et la liberté courrait de nou
veaux périls.
M. Beugnot a présenté aujourd'hui à la chambre des pairs l'ex
posé des motifs de ce projet nouveau. Bien peu d'orateurs disent,
sur cette question, leur pensée tout entière ; M. Beugnot n,'a pas
eu plus de franchise que les autres. ,Pourquoi redouter, dit-il, la
part que l'église et les congrégations pourraient prendre à l'ensei
gnement public? Eh mon Dieu ! l'église suffit à peine aux besoins
du saint ministère, et les Jésuites sont "si peu nombreux, si mo
destes , ils existent si peu, que ce n'est pas la peine d'en parler.
Si M. le comte Beugoot était bien persuadé de ce qu'il affirme,
il n'aurait pas pris la parole aujourd'hui, et ne se serait pas associé
à la rédaction au projet des quatre pairs. Mais il sait bien qu'un
grand nombre de jésuites français, aujourd'hui à l'étranger, atten
dent la loi nouvelle pour rentrer en France et concourir avec les
206 confrères du père Ravignan à l'organisation des écoles dites
catholiques. II sait bien que le clergé s'est accru de sept mille prê
tres depuis les ordonnances relatives aux petits séminaires, et
que cet accroissement progressif encourage les évêques à diriger
les vues d'un certain nombre d'ecclésiastiques vers l'enseigne
ment public. M. Beugnot sait tout cela, et c'est ce qui excite son
ardeur et enflamme son courage. Il lui tarde de voir le jour où,
comme l'a dit M. Rossi, la France ne sera plus qu'un grand sé
minaire.
M. Rossi, dans un excellent discours, avait confondu à l'avance
les prétentions des avocats du clergé et des Jésuites. M. Rossi est
un esprit éminent. 11 est à la fois ingénieux et élevé ; il observe
avec sagacité et généralise avec puissance. Dans la région des
théories, sa pensée est ferme et indépendante. Malheureusement,
lorsqu'il descend à l'application, sa volonté chancelle et ne le sou
tient plus ; il est prêt à admettre tout ce que son intelligence avait
rejeté ; il oublie ses meilleurs argumens pour ne plus songer
qu'à ses amis les ministres. Son discours était presque tout entier
une irréfutable condamnation de l'art. 47. Aussi ses conclusions
pouvaient-elles exciter un juste étonnement. Après avoir résumé
son opinion en disant qu'au fond il partageait l'avis de M. Cousin,
il à fini par annoncer qu'il voterait cependant en faveur de l'art.
17. Seulement il voudrait que cet article; ne fût qu'une sorte dp
transaction provisoire que le clergé refusât généreusement d'ac
cepter pour l'avenir. Vit-on jamais de contradiction plus flagrante!
Accorder une transaction avec l'espoir qu'elle sera refusée ! Voter
à titre permanent un article dont on redouterait la durée ! Accepter
en pratique ce que l'on vient de condamner en théorie! On le voit,
M. Rossi a imité M. Villemain et M. le duc de Broglie : il a parlé
dans un sens et conclu dans l'autre. Nous espérons que la cham
bre, cédant à leur éloquence, rejettera leur article 17 et n'imitera
pas leur vote.
Si l'on en juge par le mouvement que le ministère se donne, il
doit vivement désirer l'adoption du projet de loi sur les prisons,
bien qu'il ne puisse pas éprouver, pour cette création un peu exo
tique, la faiblesse paternelle d'un auteur. Il pleut sur la chambre
une multitude de brochures pensylvaniennes, dont l'état fait tes
frais. Les publicistes officiels ou officieux ne paraissent pas avoir
été choisis avec un grand discernement; car ils injurient'plus
qu'ils ne raisonnent. Quiconque a le malheur de penser autre
ment qu'eux, est passé par les armes; on le traite comme les dé
putés de l'opposition étaient traités, en 1839, par les écrivains du
Bulletin Français. M. de Beaumonta cru consoler M. de Laroche-
fouiï'îld des attaques dont il était l'objet, en lui disant hier que
ces attaques s'adressaient non à sa personne, mais à la doctrine
3ue l'honorable député avait défendue ; comme si la polémique
evait jamais s'emporter contre les opinions à des agressions que
l'on aurait honte de diriger contre les personnes !
A cette espèce d ! intimidation que l'on exerce sur les hommes de
cœur, en lançant après eux des agresseurs dont ils ne peuventque
se détourner avec dégoût, on joint désormais une propagande ac
tive, engageante et empressée. On prend les députés un à un , on
les chambre; on donne aux uns des provisions de chiffres, aux au
tres des promesses; on fait échange de services; on séduit les in-
différens par des politesses de salon. « Je parlerai, dans cette dis
cussion, disait un député influent, parce que cela fera plaisir au
ministre. » Que pensez-vous de ces façons d'agir? et le système
représentatif, ainsi entendu, ne ressemble-t-il pas beaucoup à ces
gouvernemens absolus dans lesquels Voltaire expliquait les évé-
nemens par le caprice d'une maîtresse ou par la volonté d'un con
fesseur?
Heureusement, la tribune est là pour faire justice aussi bien
des petites manœuvres que des indignités. Dans le débat qui dure
depuis trois jours, l'avantage appartenait jusqu'ici sans contesta
tion aux adversaires du projet. M Léon de Maleville et M. de
Peyramont sont venus aujourd'hui achever la conviction de la
chambre. Il reste maintenant peu de chose à dire pour décider le
rejet de la loi.
M. de Maleville est un homme pratique. Il a fait partie de cette
administration du mars qui, ayant aussi à vider la difficulté
des prisons, n'avait pas affiché la prétention d'aller plus loin que
la science, et s'était borné à proposer l'emprisonnement cellulaire
pour les accusés et pour les prévenus. C'est donc avec l'autorité
d'une expérience acquise dans le maniement des grandes affaires
qu'il condamne le projet de 1843. Nous n'insisterons pas sur les
objections que M. de Maleville élève contre le système pensylva-
nien ; ce sont les mêmes que nous : avons exposées, et que M.'Car-
no t développait hier avec l'approbation de la chambre. Mais voici
une observation qui lui est propre, et qui nous paraît aussi ingé
nieuse qu'elle est de bon aloi. M. de Maleville fait remarquer
l'attitude embarrassée de la commission ; pour défendre le système
pensylvanien, il faut qu'elle se jette dans des distinctions, dans
des explications, dans des subtilités, en un mot, qui peuvent
éblouir un moment, mais qui ne prévaudront pas contre la vérité
nue. Parle-t-on de la mortalité dans le pénitencier de Philadel
phie? la commission s'en prend aux prisonniers de race noire, et
met sur leur compte l'accroissement de ce triste budget. Vient-on
à citer les cas multipliés de démence? la commission allègue une
X-EVXXJUEiTOSr SU CONSTITDTIQXTNXIi, SU 25 AVRIL
(1)
JEANNE.
PROLOGUE.
DÉDJCACI A FIAUÇOISI MILLAHT.
« T* ne sais pas lire, ma paisible amie, mais ta fille et la mienne
» ont été à l'école. Quelque jour, à la veillée d'hiver, pendant
» que tu fileras ta quenouille, elles te raconteront cette his-'
» toire qui deviendra beaucoup plus jolie en passant par leurs
► bouches. »
Dan» les montagnes de la Creuse, en tirant vers le Bourbonnais, et
le pays de Combraille, au milieu du site le plus pauvre, le plus triste, le
plus désert qui soit en France, le plus inconnu aux industriels et aux ar
tistes, vous voudrez bien remarquer, si vous y passez jamais, une colline
haute et nue, couronnée de quelques roches qui nefrapperaient guères votre
attention, sans l'avertissementquejevais vous donner. Gravissez cettecol-
line; votre cheval vous portera, sans grandeffort, jusqu'à son sommet; et là,
vous examinerez ces roches disposées dans un certain ordre mystérieux,
et assises, par masses énormes, sur de moindres pierres où elles se tien
nent depuis une trentaine de siècles dans un équilibre inaltérable. Une
seule s'est laissée choir sous les coups des premières populations chré
tiennes, ou sous l'effort du vent d'hiver qui gronde avec persistance au
tour decescollines dépouillées deleurs antiquesforêts.Leschênesprophé-
tiques ontà jamais disparu de cette contrée, et les druidesses n'y trouve
raient plus un rameau de gui sacré pour parer l'autel d'Hésus.
Ces blocs posés comme des champignons gigantesques sur leur étroite
bise, ce sont les menhirs, les dolmens, les cromlechs des anciens Gau
lois, vestiges de temples cyclopéens d'où le culte de la force semblait
bannir par principe le culte du beau ; tables monstrueuses où les dieux
barbares venaient se rassasier de chair humaine, et s'enivrer du sang
•des victimes ; autels effroyables où l'on égorgeait les prisonniers et
les esclave* , pour apaiser de farouches divinités. Des cuvettes et des
cannelures creusées aan» les angles de ces blocs, semblent révéler leur
abominable usage, et avoir servi à faire écouler le sang. Il y a un groupe
plus formidable que les autres qui enferme une étroite enceinte. C'était
■peut-être là le sanctuaire de l'oracle, la demeure mystérieuse du prê
tre. Aujourd'hui ce n'est, au premier coup d'oeil, qu'un jeu de la na
ture, un de ces refuges que la rencontre de quelques roches offre au
voyageur ou au pâtre. De longues herbes ont recouvert la tracé des an
tiques bûchers, les jolies fleurs sauvages des terrains de bruyère en
veloppent le socle des funestes autels, et, à peu de distance, une petite
fontaine froide comme la glace et d'un goût saumâtre, comme la plu-
(1) Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage, est interdite, et
serait poursuivie comme contrefaçon.
part de celles du pays Marchois, se cache sous des buissons rongés par
la dent des boucs. Ce lieu sinistre , sans grandeur , sans beauté, mais
rempli d'un sentiment d'abandon et de désolation, on l'appelle les Pierres
JomAtres.
Vers les derniers jours d'août 18t6, trois jeunes gens de bonne mine
chassaient au chien couchant , au pied de la montagne aux pierres,
comme on dit dans le pays.
— Amis, dit le plus jeune, je meurs de soif, et je sais par ici une
fontaine vers laquelle mon chien court déjà, comme à une bonne
connaissance. Si vous voulez me suivre, sir Arthur sera peut-être bien
aise de voir de près ces pierres druidiques, bien qu'il en ait vu sans
doute de plus curieuses en Ecosse et en Irlande.
— Je verrai toujours, répondit sir Arthur, avec un accent britanni
que bien marqué; et il se mit à gravir la colline par son côté le plus
roide, pour marcher en ligne droite aux pierres jomâtres.
— Quant à moi, dit le troisième chasseur, qui avait l'air moins dis
tingué que les deux autres, quoique sa physionomie eût plus d'expres
sion et son œil plus de vivacité : je n'espère pas trouver ici de gibier,
c'est un endroit maudit ; mais je vais à la recherche de quelque chèvre
pour la soulager de son lait.
— Vous ne devez pas! dit l'Anglais, dont le parler était toujours
obscur à force de laconisme.
— Prenez garde, Marsillat, cria le premier interlocuteur, le jeune
Guillaume de Boussac, qui se dirigeait vers la fontaine; vous savez bien
que sir Arthur est le grand redresseur de nos torts, et qu'il ne voit pas
de bon œil vos attentats contre la propriété. Il ne veut pas qu'on sac
cage les murs de clôture, qu'on gâte les sarrasins, ni qu'on tue la poule
du paysan.
— Bah ! reprit le jeune licencié en droit, le paysan sait bien prendre
sa revanche au centuple !
Sir Arthur était déjà loin. II avait une manière de marcher en rasant
la terre, qui n'avait l'air ni active ni dégagée, mais qui gagnait le dou
ble en vitesse sur celle de ses compagnons. C'était un chasseur modèle ;
il n'avait jamais ni faim ni soif, et les jeunes gens qui le suivaient avec
émulation maudissaient souvent son infatigable persévérance. •
Bien que Guillaume de Boussac et Léon Marsillat ne fissent que bon
dir et s'essouffler, l'Anglais, pareil à la tortue de la fable, qui gagne sur
le lièvre le prix de la course, examinait depuis un quart-d'heure la dis
position et les qualités minéralogiques des pierres jomâtres,' quand ses
deux amis vinrent le rejoindre.
— Diable de fontaine ! disait M. de Boussac en faisant la grimace ;
elle a un goût de cuivre qui ne me donne pas grande idée du trésor !
— Ces maudites chèvres , disait Marsillat, n'ont pas une goutte de
lait! au lieu de brouter, elles ne songent qu'à lécher les pierres. Est-ce
qu'elles auraient le goût de l'or? *
— Or? trésor? demanda sir Arthur, en les regardant d'un air étonne.
— C'est qu'il faut vous dire, répartit Guillaume de Boussac, qu'il y a
une tradition, une légende sur cet endroit-ci. Vous n'ôteriez pas de la
tête de nos paysans, à ce que prétend Marsillat, qu'un trésor est enfoui
dans cette région.
—.Cette croyance les rend fous, dit Marsillat. Les uns supposentee tré
sor. enterré sous ces pierres druidiques; d'autres, le cherchent plus loin,
dans la montagne .de Toull-Sainte-Croix, que vous voyez là-bâs, à une
heure de chemin d'ici.
L'Anglais regarda le sol maigre et pierreux, lesbruyèresquiétouffaient
le fourrage, les chèvres efflanquées qui erraient à quelque distance.
— Il y a un trésor dans les terres incultes, dit-il; mais il faut un au
tre trésor pour l'en retirer.
— Oui, des capitaux! dit Marsillat.
— Et des paysans! ajouta Guillaume. Cette terre est dépeuplée.
— Des hommes, et puis des hommes, reprit l'Anglais.
— Comprends pas , dit Guillaume en souriant, à Marsillat.
— Pas de maîtres et pas d'esclaves ; des hommes et des hommes ! re-
Ï)rit sir Arthur, étonné de n'avoir pas été compris, lui qui croyait par
er clair.
— Est-ce qu'il y a des esclaves, en France? s'écria Marsillat on haus
sant les épaules.
— Oui, et'en Angleterre aussi ! répondit l'Anglais sans se déconcerter.
— La philosophie m'ennuie, reprit à demi-voix Marsillat, en s'adres-
sant à son jeune compatriote; votre Anglais medégoûterait d'être libéral.
Combien voulez-vous parier , Guillaume , ajouta-t-il tout haut, que je
monte sur la plus haute et la plus lisse des pieiyes jomâtres?
— Je parie que non, répondit M. de Boussac.
— Voulez-vous parier ce que nous avons d'argent sur nous?
— Volontiers, cela ne me ruinera pas. Je n'ai qu'un louis.
— Eh pardieu, je n'ai qu'une pièce de 5 francs, moi, reprit Marsillat
après avoir fouillé toutes ses poches.
— C'est égal, je tiens ! dit M. de Boussac.
— Et vous, Mylord ? reprit Marsillat : que pariez-vous?
— Je parie une pièce de 5 sous de France, répondit sir Arthur.
— Fi donc ! j'ai cru, dit Marsillat, que les Anglais étaient fous des
paris. Ils ne méritent guères leur réputation. 5 sous pour monter là-
dessus !
— C'est plus que cela ne vaut.
— Par exemple! Il y a de quoi se casser bras et jambes !
— Alors, je ne parie rien, ou je parie 4,000 livres sterling contre
vous que vous y monterez.,
— L'argent n'est rien, la gloire est tout, s'écria gatment Marsillat;
je tiens vos 5 sous, et je monte.
— C 'est comme cela qu'on se tue, dit Arthur en lui ôtant froidement
des mains son fusil armé dont il voulait s'aider.
Marsillat fit des efforts inouis, des miracles d'adresse, et après s'être
écorché les mains en glissant plus d'une fois, jusqu'à terre, après avoir
cassé ses bretelles, et mis au désespoir son. chien qui ne pouvait
le suivre, il parvint à se dresser d'un air de triomphe sur la plate-forme
du dolmen. Savez-vouS, s'écria-t-il, que ces pierres étaient des idoles?
me voilà sur les épaules d'un Dieu!
— Écoutez, Léon, lui cria le jeune de Boussac, si vous trouvez là
haut la druidesse Velléda, faites-nous en part.
— Bah ! Je n'aim.e pas plus votre druidesse que votre Châteaubriand t
répondit Marsillat qui se piquait de libéralisme. Vive Lisette ! vive le
charmant Béranger ! "
— Ecrivain de mauvaise compagnie, reprit le jeune homme avec dé
dain ; n'est-ce pas sir Arthur? est-ce que vous pouvez supporter ce
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